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Afghanistan

Calme étrange après la colère anti-américaine

De nombreux badauds sont venus voir les dégâts après les émeutes qui ont secoué Kaboul hier, ce mardi a été étrangement calme.(Photo : Anne Le Troquer / RFI)
De nombreux badauds sont venus voir les dégâts après les émeutes qui ont secoué Kaboul hier, ce mardi a été étrangement calme.
(Photo : Anne Le Troquer / RFI)
Kaboul a été placée sous couvre-feu après les incidents violents qui ont vu, lundi, des manifestants s’en prendre aux étrangers et aux symboles de leur présence dans le pays. A l’origine de cet accès de fièvre, un accident de la circulation impliquant un véhicule militaire américain.

De notre correspondante à Kaboul

Un calme étrange règne sur Kaboul. Les rues sont presque vides, les gardiens dans le quartier des ambassades jouent au volley par dessus les barricades, de nombreuses boutiques sont fermées comme la plupart des écoles.

A la même heure, lundi, une partie de la capitale était saccagée par des milliers de manifestants aux cris de « à mort l’Amérique! à mort Karzai ». Vitrines brisées, voitures incendiées, n’importe quel signe de richesse, qu’il soit étranger ou non y est passé.

A l’origine de cette brusque colère un accident de la circulation entre un convoi américain et une dizaine de voitures qui aurait fait entre un et cinq morts selon les sources. Le bruit a couru très rapidement dans tout Kaboul que des Américains avaient tué jusqu’à 300 personnes et la foule en colère s’est dirigée de la banlieue nord, où cet accident a eu lieu, vers le centre-ville.

« Ils ont attaqué notre restaurant parce que les policiers les empêchaient de passer dans la rue d’à côté », raconte Rafi, le fils du propriétaire d’une pizzeria. « Ils avaient des armes, nous menaçaient et la police n’a rien fait ». L’immeuble entier a été brûlé, la famille n’a plus rien pour vivre. Mêmes images de désolation dans des magasins de photos, de téléphonie mobile...

Des tirs résonnent pendant plus de trois heures

Des tirs ont résonné dans tous les sens pendant plus de trois heures, les policiers débordés ont fait feu à plusieurs reprises sur la foule. Peut-être huit manifestants auraient ainsi perdu la vie, selon le bilan de quelques hôpitaux, mais aucun chiffre officiel n’a été donné.

Les bureaux de plusieurs organisations internationales ont aussi été la cible des émeutiers. « C’est l’expression d’un malaise, d’une frustration économique et politique », analyse Frédéric Roussel, directeur local de l’ONG française Acted dont le siège a été pillé. Il ajoute : « c’est un peu comme en novembre dans les banlieues françaises, mais ils ne visaient pas spécialement les étrangers». Une quarantaine d’entre eux a tout de même passé la nuit à l’abri dans l’un des camps militaires de l’Otan, par sécurité.

C’est la soudaineté et la rapidité de ces violences qui a frappé. « Il y a des causes simples, estime Khalil Roman, intellectuel, ancien conseiller du président Hamid Karzai, la pauvreté, l’illettrisme et l’indifférence du gouvernement vis à vis de la population. Il a promis plein de choses  depuis 2002 et les gens de la rue ne voient rien venir ». Kaboul n’a en effet toujours pas d’électricité en continu, les rues sont défoncées et certains endroits sont encore de véritables champs de ruines où de nombreux Afghans, revenus d’exil, ont trouvé un abri en attendant d’avoir suffisamment d’argent pour se construire un toit.

« Les Russes aussi se présentaient comme nos amis »

Sur l’un des principaux bazars de la capitale, les discussions étaient vives à midi. « Pourquoi les députés ont refusé d’augmenter les salaires des fonctionnaires ? crie le docteur Abdul Bequy. Je gagne 50 dollars par mois… Comment voulez-vous que je fasse vive ma famille quand un kilo de fruits coûte 50 afghanis (environ 1 dollar) alors que eux ils ont des grosses voitures et plus de mille dollars par mois ? »

Mais tous reviennent aussi sur la présence de soldats étrangers sur le sol afghan. « Quand les Russes sont venus, au départ ils se présentaient comme nos amis, se souvient Said Bukhter, un marchand de légumes. Et quand on a compris qu'ils nous attaquaient, on les a poussé dehors. Vu de ce qui s'est passé lundi, les Américains ne sont pas là pour nous aider, on ne sera plus leurs amis. S’il y a un autre accident comme ça, il y aura des manifestations encore plus importantes et de vrais combats. »

« Les soldats américains agissent contre la culture et les croyances des gens, explique Waheed Mujda, un analyste politique. Et cela va coûter cher au président Karzai ». Pour l’instant ce dernier a vilipendé des « agitateurs qui ont pris le prétexte d'un accident de route pour détruire le pays » sans préciser de qui il parlait.

Au milieu des débris encore fumants du restaurant de son voisin –hospitalisé après le choc d’avoir perdu tous ses biens-, Ahmad Shah Hashimi peste : « au moins au temps des talibans, les gens avaient peur de se faire couper les mains s’ils commettaient un vol. J’exige du gouvernement qu’il ne fasse pas que les dénoncer, qu’il arrête ces pillards et qu’il les pende. »

Pour l’instant le ministère de l’Intérieur parle de 13 arrestations. Mais les policiers et chars de l'armée afghane avaient pour ordre de veiller sur chaque rond-point, chaque poste de police plutôt que chercher des coupables. Et Kaboul connaît sa deuxième nuit sous couvre-feu, dans un calme étrange.



par Anne  Le Troquer

Article publié le 30/05/2006Dernière mise à jour le 30/05/2006 à 19:15 TU

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Paris - Kaboul en 2CV

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Sophie Malibeaux

Journaliste de RFI

«On se demande si cette explosion de violence était spontanée ou si ce déferlement était prêt à partir au premier prétexte»

[30/05/2006]

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