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Nucléaire civil

Tchernobyl : un responsable français devant la justice

Pierre Pellerin en 1986, fondateur et directeur jusqu'en 1993 du Service central de protection contre les rayonnements ionisants (SCPRI).(Photo : AFP)
Pierre Pellerin en 1986, fondateur et directeur jusqu'en 1993 du Service central de protection contre les rayonnements ionisants (SCPRI).
(Photo : AFP)
Vingt ans après la catastrophe de Tchernobyl, Pierre Pellerin est convoqué par la justice. Au moment de l’accident dans la centrale ukrainienne, il était responsable de la sécurité des Français contre les radiations. Pierre Pellerin devrait être mis en examen dans le cadre d’une instruction pour « atteintes involontaires à l’intégrité d’autrui ». C’est la conséquence juridique d’une plainte déposée en 2001 par une association de malades de la thyroïde et par une association indépendante de mesure de la radioactivité.

En 1986, au moment de la catastrophe de Tchernobyl, le professeur Pellerin dirige le Service central de protection contre les rayonnements ionisants (SCPRI). Cette administration est peu connue du public. Pourtant, c’est elle qui est chargée de garantir à la population la protection contre la radioactivité. Information du public, plans d’évacuation en cas de besoin, niveau de radiations acceptable pour les travailleurs du nucléaire, pour les personnes habitant à proximité des centrales et pour toute personne soumise à une contamination imprévue comme celle de Tchernobyl : la mission du SCPRI est de mettre en œuvre les mesures de protection pour la santé des populations. Fin avril et début mai 1986, on apprend que le nuage radioactif échappé de la centrale ukrainienne accidentée recouvre une bonne partie de l’Europe. Pourtant le SCPRI l’affirme : ce nuage n’a pas atteint la France, il est retenu aux frontières grâce aux bienfaits d’un anticyclone. 

Des années ont passé avant que l’évidence ne s’impose : le nuage radioactif ne s’était pas arrêté à Monaco. Des pays voisins de la France avaient d’ailleurs pris des mesures immédiates comme l’interdiction de consommer du lait ou des légumes frais. Ces pays reconnaissaient ainsi que leur sol avait été pollué par les retombées radioactives. En France, la catastrophe provoque la naissance d’une association indépendante de mesure de la radioactivité. C’est la CRIIRAD, Commission de recherche et d’information indépendantes sur la radioactivité. Elle s’installe au bord du Rhône dont l’eau peut avoir des traces de radioactivité en raison de la proximité de plusieurs installations nucléaires. La CRIIRAD s’intéresse également à Tchernobyl.

C’est en 2001, 15 ans seulement après la catastrophe, que l’association porte plainte contre X, conjointement avec l’Association française des malades de la thyroïde. Pendant toutes ces années, la CRIIRAD a épluché les rapports internationaux pour évaluer l’ampleur de la catastrophe. Dans le même temps, des Français atteints du cancer de la thyroïde ont créé une association. L’ingestion de césium, radioélément rejeté en quantité considérable dans l’atmosphère après l’explosion nucléaire de 1986, serait responsable d’une augmentation des cas en France.

Pour les malades, un combat presque perdu d’avance

Ces malades parviendront-ils à faire la preuve du lien entre le nuage de Tchernobyl et la dégradation de leur état de santé allant souvent jusqu’à l’ablation de la thyroïde, cette glande qui sert à réguler les hormones ? Rien n’est moins sûr. Trop d’années ont passé entre la date de la catastrophe et le dépôt de leur plainte. Et des années passeront encore avant que la justice n’établisse les responsabilités de cette petite épidémie française. Epidémie d’ailleurs contestée par les spécialistes. Ils estiment qu’on trouve plus parce qu’on cherche mieux depuis 1986.

Pour l’heure, Pierre Pellerin, ex-responsable de la protection des Français face aux rayonnements ionisants, est convoqué par le juge en tant qu’ancien directeur du Service central de protection contre les rayonnements ionisants (SCPRI) pour « atteintes involontaires à l’intégrité d’autrui ». 500 plaignants lui reprochent d’avoir fourni des cartes incomplètes de la radioactivité sur le sol français. Le rapport d’expertise élaboré par la justice, fin 2005, fait également état de mesures radioactives « occultées » par les autorités de contrôle.

Toujours selon les auteurs du rapport d’expertise, la publication de valeurs moyennes a permis de masquer des concentrations d’éléments radioactifs dans certaines zones où la pluviosité avait été forte. Ce rapport précise encore que plusieurs mesures relevées sur le sol français sont d’un niveau comparable à celui relevé dans « certains territoires proches de la centrale de Tchernobyl ».

La juge Marie-Odile Bertella-Geffroy pourrait mettre le professeur Pellerin en examen pour « tromperie aggravée ». « La faute majeure qui est reprochée à M. Pellerin est d’avoir trompé l’autorité publique et les populations sur les risques encourus », a pour sa part déclaré l’avocat de l’association de malades de la thyroïde, Bernard Fau.

« Il considérait que la dose pouvait être 100 fois plus élevée »

« Comment se fait-il qu’il (le professeur Pellerin) ait pu signer des papiers autorisant la consommation de produits alimentaires sans restriction alors qu’ils dépassaient, très largement, en Allemagne ou en Italie, les limites européennes en matière de radioactivité ? », s’interroge Roland Desbordes, le président de la CRIIRAD. « Le Professeur Pellerin a tiré les mesures de radioactivité qui l’intéressaient en écartant sans justification les plus élevées. Dans quel but, je ne sais pas, c’est à la justice de voir », explique encore le président de l’association.

La CRIIRAD interpelle le professeur Pellerin parce qu’il a géré la crise, en France, après la catastrophe de Tchernobyl. Et si le volet judiciaire de l’affaire ne concerne que l’aspect français de la catastrophe, l’association rappelle que le professeur Pellerin était également expert auprès de la Commission de Bruxelles. « Il a critiqué les autorités européennes et locales qui voulaient prendre des mesures plus fortes, comme des mesures d’évacuation. Pour les Français, en tant qu’expert, il considérait que la dose pouvait être 100 fois plus élevée », explique encore le président de la CRIIRAD.

Le procès ne couvrira pas les responsabilités internationales du professeur Pellerin. Il était aussi expert à l’Organisation mondiale de la santé (OMS). Dans les années qui ont suivi l’accident, il s’est rendu à plusieurs reprises dans les deux républiques soviétiques les plus contaminées, l’Ukraine et la Biélorussie, pour « soutenir les autorités de radioprotection soviétiques et contrer les scientifiques ukrainiens et biélorusses qui réclamaient une meilleure radioprotection de la population, ce qui aurait impliqué un programme d’évacuation bien plus important que celui prévu par les autorités soviétiques », écrivait Bella Belbeoch dans la Gazette du nucléaire, il y a plusieurs années déjà.

Le débat sur les suites de la catastrophe dans les autres pays européens soumis à des retombées n’est pas l’objet de la procédure en cours. Pourtant dans tous les pays où Tchernobyl a laissé des traces, également en France et en Russie où le nucléaire est très développé, se pose la question des doses acceptables pour la santé humaine. Si les autorités sanitaires d’un pays décident de les durcir, cette précaution a automatiquement un coût supplémentaire. Il faut évaluer le budget d’éventuelles évacuations, des relogements et du surcoût pour les systèmes de santé.   



par Colette  Thomas

Article publié le 31/05/2006Dernière mise à jour le 31/05/2006 à 17:11 TU