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Zimbabwe

Porta Farm : effacée de la carte !

En mai 2005, en effet, les autorités zimbabwéennes lançaient l’opération Murambatsvina, une vaste opération d’expulsion au cours de laquelle selon l’ONU quelque 700 000 personnes ont perdu leur maison, leur moyens de subsistance ou les deux. L’organisation de défense des droits de l’Homme Amnesty International vient de faire l’acquisition de photos satellite qui montrent l’étendue des destructions. Et elle publie un rapport sur l’un de ces sites, Porta Farm, dont les habitants ont été violemment dispersés alors que la justice zimbabwéenne leur avait accordé la possibilité de rester.
Porta Farm avant (à g.) et après l'opération Murambatsvina (à dr.). Ces images satellitaires ont été traitées et analysées par l'Association américaine pour l'avancement de la science, financées par la Fondation John D. et Catherine T. MacArthur. (Images satellite de Digital Globe, Inc.)
Porta Farm avant (à g.) et après l'opération Murambatsvina (à dr.). Ces images satellitaires ont été traitées et analysées par l'Association américaine pour l'avancement de la science, financées par la Fondation John D. et Catherine T. MacArthur.
(Images satellite de Digital Globe, Inc.)
Deux images, côte-à-côte. Le regard va de l’une à l’autre. Ce sont deux photos satellite, mais elles concentrent en un cliché l’histoire de plusieurs milliers de personnes et la violence d’une expulsion de masse. L’une de ces photos montre le site de Porta Farm avant l’opération Murambastvina, avant l’expulsion et la destruction par les bulldozers. « Vous voyez qu’il s’agissait d’une vraie communauté, vous pouvez voir les routes, vous pouvez voir les bâtiments, explique Audrey Gaughran, spécialiste du Zimbabwe à Amnesty International. L’image a été prise en 2002, parce que c’était la seule image d’archive qui montrait cette zone-là. »  La deuxième photo montre ce qui semble être un champ. Puis on est pris de vertige en la regardant de plus près : Il s’agit toujours de Porta Farm, mais après l’opération Murambatsvina.

« Cette image date du mois dernier. Elle montre que le site a été complètement détruit, poursuit Audrey Gaughran. Il n’y a plus rien. C’est envahi par les herbes. Or il semble qu’il y ait eu 6 000 à 10 000 personnes qui vivaient là. Elles ont toutes été dispersées. Et Porta Farm n’est qu’un endroit parmi beaucoup d’autres au Zimbabwe. » L’opération Murambatsvina a démarré en mai 2005. Elle a officiellement pris fin le 27 juillet 2005, après une annonce du vice-président Joyce Mujuru. L’ONU a envoyé sur place une mission d’enquête selon laquelle, début juillet, 92 460 habitations avaient déjà été détruites ; 700 000 personnes avaient perdu leur habitation, leur moyen de subsistance, ou les deux.

Urbanisation anarchique ?

Un an après, les raisons des autorités ne sont pas encore complètement claires. Officiellement, Murambatsvina est une opération de « nettoyage » qui était destinée à corriger les erreurs d’une urbanisation anarchique. Le principal parti d’opposition MDC (Mouvement pour le changement démocratique) a vu l’opération comme une façon de sanctionner les populations urbaines qui avaient voté pour lui. Certains analystes affirment plutôt que les villes étaient perçues par le régime comme des lieux où la contestation risquait de gronder dangereusement. Quels que soient les vrais motifs, les autorités zimbabwéennes ont provoqué une véritable catastrophe humanitaire.

Le cas de Porta Farm en est une bonne illustration. Le 27 juin, explique le rapport, soit un mois après le début de l’opération à l’échelle nationale, des officiers de police viennent à Porta Farm et distribuent des tracts qui annoncent l’expulsion. Ils reviennent le lendemain : « Tôt dans la matinée du 28 juin, un convoi de véhicules, et des policiers sont descendus sur Porta Farm, écrit le texte. La police était lourdement armée. Les résidents ont aussi identifié des véhicules qui appartiennent à la ville de Harare, et au ministère du gouvernement local. La police a commencé à détruire les bâtiments. Les résidents ont assisté impuissants à la scène, tandis que des policiers anti-émeute transformaient leurs maisons en gravats. » La police a menacé de frapper ceux qui résisteraient. La destruction a duré toute la journée, elle s’est poursuivie le lendemain, et le 30 juin encore. Amnesty cite des informations selon lesquelles il y aurait eu plusieurs morts, notamment deux enfants.

Une expulsion illégale

L’histoire de Porta Farm est d’autant plus frappante que l’éviction a eu lieu en toute illégalité. Les habitants avaient entre les mains trois décisions de justice qui leur accordaient le droit de rester là. La plus récente, obtenue alors que l’expulsion était en cours, ordonnait à la police ou à toute autre organisation de ne pas déplacer de force les habitants. Quand des avocats sont allés voir la police avec des copies du document, on leur a répondu que les ordres venaient « d’en haut » et que l’expulsion continuerait.

Porta Farm n’était pas un campement improvisé. Cela faisait quinze ans que des Zimbabwéens s’y étaient installé, à la suite d’une première décision d’expulsion. En 1991, le conseil municipal d’Harare avait en effet décidé de chasser des milliers de personnes qui vivaient dans des campements informels autour de la capitale, en guise de « grand nettoyage » dans la perspective d’une réunion des chefs de gouvernement du Commonwealth. D’une parcelle agricole inutilisée des environs de Harare était sortie une petite localité, avec une école, une clinique, des églises.

Le 29 et le 30 juin 2005, certains habitants de Porta Farm ont été obligés de monter sur des camions, sans qu’on leur dise quelle serait leur destination. « Certains ont été emmenés dans les zones rurales, raconte Amnesty, d’autres ont simplement été abandonnés sur la route à l’extérieur de Harare. » Beaucoup d’entre eux ont également été déplacés au camp de Hopley. Le gouvernement leur a indiqué qu’ils allaient être réinstallés là de manière permanente. La plupart vivent encore dans des abris de fortune. De Porta Farm, en tout cas, il ne reste plus rien. « Une communauté entière a été effacée de la carte », estime Audrey Gaughran.

par Laurent  Correau

Article publié le 01/06/2006Dernière mise à jour le 01/06/2006 à 15:58 TU

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Audrey Gaughran

Responsable d'Amnesty International

«Une localité entière a été rayée de la carte.»

[01/06/2006]

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