Politique française
Ségolène Royal chasse sur les terres de Sarkozy
(Photo: AFP)
Ségolène Royal aime l’ordre. Fille de militaire et mère de 4 enfants -dont le papa est le Premier secrétaire du Parti socialiste, François Hollande-, elle croit aussi aux vertus de l’éducation. Elle ne s’en est jamais cachée. Est-ce alors véritablement une surprise que, lorsqu’elle évoque le problème de la délinquance des mineurs dans les banlieues, elle prône le retour aux règles et le respect des valeurs ? Pas vraiment, même si l’on a plus l’habitude d’entendre les représentants de la droite -et notamment Nicolas Sarkozy- manier ces thèmes.
C’est donc sans complexe qu’elle a décliné, à l’occasion d’une conférence de presse donnée à Bondy, où elle était venue inaugurer une Maison des parents et de la famille, ses propositions pour «tarir à la source» ce qu’elle présente comme un système «de production massive de délinquance». Cela nécessite d’avoir une approche «globale», «où chacun est à son poste et remplit sa fonction» qu’il s’agisse de la famille, de l’école, des services publics ou des forces de l’ordre. Ségolène Royal propose donc «d’épauler les familles» mais aussi de les mettre face à leurs responsabilités lorsqu’elles ne font rien pour recadrer un enfant qui dérive. Elle envisage ainsi de soumettre les parents en échec à des stages dans des écoles parentales et même d’imposer une mise sous tutelle des allocations familiales lorsque la situation le nécessite.
L’armée plutôt que la prison
La députée socialiste affirme aussi qu’il faut «retirer des collèges les gamins qui y font la loi» et les envoyer dans des structures spécialisées, des internats de proximité, où ils seront encadrés. Elle estime encore nécessaire de réduire la taille des collèges et d’y mettre en place «des tuteurs» chargés, à côté des enseignants, d’établir la discipline. Pour les jeunes qui ont dépassé l’âge de 16 ans, elle envisage de les envoyer «au premier acte de délinquance» vers des «systèmes d’encadrement à dimension militaire». L’objectif étant à la fois d’éviter la prison qui est «pire que tout» et d’organiser «le réapprentissage de la citoyenneté». En prenant de cette manière le mal à la racine, Ségolène Royal affirme que l’on peut réussir à tarir aussi «la grande délinquance», contre laquelle les moyens policiers doivent être concentrés.
Quelles que soient les convictions profondes de Ségolène Royal, en tenant de tels propos à Bondy, soit tout près de Montfermeil où de nouveaux incidents entre bandes de jeunes et forces de l’ordre avaient eu lieu les jours précédents, elle savait que cela ne passerait pas inaperçu. Et à un an d’une élection présidentielle, les prises de position sur des thèmes aussi sensibles que ceux de la délinquance des jeunes et des violences urbaines de la part d’une candidate potentielle, ne peuvent pas être totalement dénuées d’arrière-pensées électoralistes. Ses adversaires politiques, aussi bien dans son parti qu’à droite, n’ont d’ailleurs pas manqué de pointer l’aspect opportuniste des déclarations de Ségolène Royal qui vont dans le sens du poil des Français, anxieux face à la violence et demandeurs de plus de fermeté vis-à-vis des délinquants. Notamment dans les quartiers qui ont vécu les émeutes au mois de novembre 2005.
Le socialiste Christophe Cambadelis, un proche de Dominique Strauss-Kahn qui brigue lui aussi l’investiture du parti pour la présidentielle, a analysé les propos de Ségolène Royal comme «un petit dérapage». Il l’a aussi accusé de faire le jeu du ministre de l’Intérieur dont les positions en matière de sécurité sont traditionnellement l’objet des foudres socialistes : «A courir après Nicolas Sarkzoy, on ne le combat pas, on le légitime». Même son de cloche chez le député socialiste Yves Durand qui s’est dit «stupéfait» des déclarations de Ségolène Royal et a affirmé craindre de la voir s’éloigner «des valeurs qui ont toujours fondé le combat des socialistes pour l’éducation et l’émancipation de tous» en voulant «coller à l’air du temps».
Ni droite ni gauche
Ségolène Royal ne ménage décidément pas le clivage droite-gauche traditionnel. Après avoir reconnu les vertus de certains aspects de la politique économique libérale du Premier ministre britannique Tony Blair, la voilà qui rompt sans ambiguïté avec le créneau anti-répression de la gauche au nom du réalisme social. A droite, ça énerve aussi un tantinet. Christian Estrosi, le ministre délégué à l’Aménagement du territoire, a estimé qu’elle était passée en matière de sécurité «de l’angélisme au plagiat» et qu’elle faisait «du mauvais Sarkozy». Le ministre de l’Intérieur a, quant à lui, préféré ironiser en déclarant : «Si elle veut me soutenir, elle est bienvenue au club».
Reste à savoir si les Français suivront Ségolène Royal sur le terrain sécuritaire. Jusqu’ici, elle n’a cessé de grimper dans les sondages. La dernière enquête TNS/Sofres pour Le Figaro, publiée le 31 mai, n’a pas démenti la tendance puisqu’elle montre que 56% des personnes interrogées désirent la voir occuper un «rôle important dans les mois ou les années à venir». Soit 10% de plus que pour Nicolas Sarkozy qui, il y a encore peu de temps, lui disputait les faveurs des sondés. Les prochaines enquêtes donneront certainement une idée de l’impact des propositions de Ségolène Royal en matière de lutte contre la délinquance.
par Valérie Gas
Article publié le 01/06/2006Dernière mise à jour le 01/06/2006 à 17:15 TU