Politique française
Le PS déchiré par la bataille pour l’investiture
(Photo : AFP)
Quand il n’y a pas de vrai chef, c’est le règne des ambitions personnelles. Le Parti socialiste est en train de faire l’expérience de cette situation difficile. Depuis la claque électorale de 2002 qui a renvoyé Lionel Jospin à ses méditations, la direction du PS, menée par un François Hollande qui ne semble pas fait de l’étoffe des hérauts, expédie les affaires courantes mais aucune figure de proue du combat face à la droite n’a émergé. Ce vide charismatique a donné des idées à tous ceux qui ont un peu de poids dans le parti. Anciens ministres et piliers du PS, Dominique Strauss-Kahn, Jack Lang ou Laurent Fabius, espéraient bien profiter de l’aubaine pour tenter leur chance. Mais voilà que Ségolène Royal, la compagne du Premier secrétaire, est entrée dans la bagarre par la grâce d’une offensive médiatique bien orchestrée, et semble en position de rafler la mise aux éléphants.
Les concurrents de Ségolène Royal estiment que ça n’est pas du jeu d’essayer de leur couper l’herbe sous le pied avec des sondages flatteurs. Et ils contre-attaquent en réclamant l’organisation de débats publics et contradictoires entre les candidats à l’investiture pour que les militants choisissent en connaissance de cause. Pour le moment, François Hollande n’a pas tranché sur cette question. Sans exclure totalement d’y venir, il a pris soin de mettre en garde contre les dégâts que cela pourrait provoquer en rappelant que le débat «ne doit pas viser à mettre en difficulté des candidats à la candidature, dont l’un ou l’une sera finalement le nôtre». Et cela fait penser certains qu’il cherche avant tout à préserver Ségolène Royal d’un exercice où elle pourrait laisser plus de plumes que ses concurrents.
Jack Lang réclame «la loyauté des débats»
Jack Lang va même plus loin. Il déplore «que le Premier secrétaire ait laissé s’ouvrir prématurément et sans aucune règle des campagnes individuelles effrénées». Il dénonce aussi «l’instrumentalisation des fédérations et des élus par les présidentiables». Il affirme encore que «l’équipe nationale du parti doit rester neutre et assurer le moment venu -qui n’est pas venu- la loyauté des débats». Il est vrai que certains dirigeants ne se cachent pas de soutenir Ségolène Royal. Le numéro 2 du PS, François Rebsamen, a ainsi estimé qu’il n’y avait que deux candidats possibles : Ségolène Royal et François Hollande. Ce qui n’a pas fait plaisir aux autres qui souhaiteraient plus de neutralité en attendant le vote des militants.
Est-ce pour couper court à ces attaques que François Hollande a rappelé tout le monde à l’ordre à l’occasion des Etats généraux du PS sur l’éducation qui se sont déroulés à Marseille ? Il a, en effet, regretté que les ténors présidentiables n’aient pas fait le déplacement pour y assister. Une remontrance qui s’adressait à Jack Lang, à Dominique Straus-Kahn, à Laurent Fabius mais aussi à Ségolène Royal qui n’était pas plus là que les autres. Elle n’aurait d’ailleurs pas apprécié cette pique. D’autant que François Hollande a poursuivi ensuite lors d’une interview à Europe 1, en abordant le sujet qui la fâche : le projet -les adversaires de Ségolène Royal insistent sur le fait qu’elle n’en a pas. Il a déclaré : «Aujourd’hui, nous parlons trop de candidatures et pas suffisamment de projet… Il y a un peu de précipitation, et dans les préférences, et dans les sélections, et dans les annonces».
Cette mise au point a été saluée. Le maire de Paris, Bertrand Delanoë, s’est réjoui de l’intervention du Premier secrétaire tout en regrettant qu’elle n’ait pas eu lieu plus tôt. Il a, d’autre part, déploré que la campagne pour l’investiture ait pris des airs de «politique spectacle» mais aussi que des proches de François Hollande soient «trop allés dans l’arène des questions de personnes». D’autres socialistes sont encore plus critiques face à l’attitude du Premier secrétaire. Claude Bartolone, un proche de Laurent Fabius, affirme que le rappel à l’ordre de François Hollande est à mettre sur le compte de sa «duplicité». Il estime que le chef du PS «organise le désordre» dans l’espoir que cela va «lui donner l’occasion de se renforcer». Le Premier secrétaire nourrirait-il l’espoir secret de tenter lui aussi sa chance devant les militants ?
Le candidat désigné en novembre ?
Si c’est le cas, François Hollande a des cartes importantes dans sa main. Et notamment celle du calendrier de la désignation du champion socialiste qui n’est toujours pas définitivement établi. A priori, la direction du PS a proposé que le dépôt des candidatures soit organisé en octobre 2006 et le vote des militants en novembre. Mais certains, comme Henri Emmanuelli estiment que c’est trop long, alors que d’autres comme Dominique Strauss-Kahn affirment que c’est trop court. Le Premier secrétaire aura un poids déterminant dans le choix final.
A défaut d’être direct entre les présidentiables, le débat existe donc tout de même au PS. Ou bien, est-ce plutôt la polémique qui gronde ? Vu de la droite, la réponse est claire : les socialistes sont en train de s’écharper pour des questions de personnes. Valérie Pécresse, la porte-parole de l’UMP, estime que le PS vit «une guerre d’égos» et que les ténors du parti «s’intéressent plus à leur projet personnel qu’au projet collectif». Pour la droite qui s’épuise de son côté avec le combat des deux candidats potentiels -Nicolas Sarkozy et Dominique de Villepin-, le fait que la gauche ne soit pas non plus à la fête est plutôt une bonne nouvelle. Reste qu’on se demande si les luttes internes dans les deux camps ne vont pas, au bout du compte, aboutir à provoquer une sanction par les urnes de la part d’électeurs lassés des tactiques politiciennes.
par Valérie Gas
Article publié le 23/05/2006 Dernière mise à jour le 23/05/2006 à 16:29 TU