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Mali

Ce que veulent les « rebelles » de Kidal

Patrouille de l'armée malienne à Kidal, le 27 mai dernier.(Photo: AFP)
Patrouille de l'armée malienne à Kidal, le 27 mai dernier.
(Photo: AFP)
Rencontre avec les militaires qui ont pris de maquis dans la région de Kidal. Ils donnent leur version des événements et exposent leurs revendications. Nouvelle rébellion ou mutinerie ? Différend politique ou économique? Ils s’expriment devant l’envoyé spécial de RFI.

De notre envoyé spécial dans la région de Kidal

Le sable du désert de la région de Kidal ne supporte pas le poids du véhicule. Il s'embourbe. La scène se répète trois fois sur un peu plus de deux cents kilomètres. Cinq heures de route. Un fût de deux cents litres se dresse. Le véhicule freine. C'est le poste avancé des rebelles touaregs qui, après avoir pillé l'armement de trois camps militaires de la région de Kidal ont pris le chemin du maquis. Leur repaire se trouve à 110 km de l'Algérie, et à moins de 300 km du Niger. L'endroit à un nom: le Téghararrar. C'est le sanctuaire de quasiment toutes les rébellions touarègues du nord du Mali. Le Téghararrar, ce sont des collines bordées de rocher noirs.

Le premier rebelle rencontré est un jeune homme enturbanné. Il n'est pas armé. Il grille une cigarette. Il faut montrer patte blanche et donner un mot de passe. On pénètre alors dans la première ceinture de collines. L'ombre est rare. Sous les quelques arbustes, des combattants se prélassent. Quelques armes sont visible, mais aucune arme lourde en vue. « Nous n'avons pas sortis les armes lourdes  pour le moment », ricane un Targui, officier de l'armée malienne qui a rejoint il y a cinq jours les rangs de la rébellion.

C'est la tradition chez les Touaregs, le visiteur, après les premiers salamalecs, a droit à un verre de thé. Puis il y a le deuxième verre. La discussion s’amorce. Les turbans tombent. Des visages connus surgissent: celui du n°2 de l'armée malienne à Tessalit, localité située au nord de Kidal ; Erlass Ag gida, porte-parole les rebelles ; deux hauts responsables de l'assemblée régionale de Kidal ; le fameux commandant Ba Moussa ; le chef du bataillon de l'armée de terre de Ménaka, localité située au sud de Kidal.

« Nous attendons le début des négociations »

On pénètre dans la deuxième ceinture de collines. Du sable, quelques arbustes encore, des hommes, toujours plus de boubous, de turbans, que d'armes et de treillis militaires. Elias est un soldat touareg, ex-rebelle, intégré de l'armée, désormais en rupture de ban : « Moi, je suis venu ici par peur de représailles dans l'armée» .Son chef précise: « Il y a finalement eu plus de peur que de mal. Dans l'armée malienne, il n'y a pas eu de représailles contre nos parents qui sont restés».

Troisième ceinture de collines sur les 20 à 30 km² que les rebelles occupent. Là, c'est nettement plus bouillant. Des jeunes font des corvées de bois de chauffe pour les repas. Le radio-cassette d'un véhicule crache un morceau célèbre : la danse du sabre. Chez les Touaregs, c'est un morceau qu'on entonne ici après une victoire sur les champs de bataille. Pourtant sur place, il n'y a pas de combat et les combattants n'ont pas le doigt sur la gâchette.

«Non nous ne sommes pas en position de combat. Nous sommes retranchés ici en attendant le début des négociations», confirme Iyad Ag Galy, dans la quatrième ceinture de collines. L'homme est connu. Dans cette région, il y a notamment deux noblesses. La noblesse de robe, incarnée par la famille Intalla, et la noblesse d'épée. Iyad est de la noblesse d'épée. Ici on n'est noble aussi parce qu'on est guerrier.

Iyad est le premier a avoir pris les armes lors de la dernière véritable rébellion touarègue des années 90. C'est aussi le premier a avoir fait la paix. Contre vents et marées et contre ses ouailles. Il est devenu un chef respecté et craint. A son actif, plusieurs médiations notamment lors de la libération il y a quelques années de touristes européens, enlevés en Algérie par des islamistes.

Aucun civil n’a été brutalisé

Comment cet homme qu'on croisait plus dans les mosquées que dans les rues a-t-il pu basculer ? Comment est-il est redevenu un chef rebelle ? Emmitouflé dans un boubou, il réajuste son turban, invite son interlocuteur à s'asseoir. Il sort deux fruits, des dattes. Sens du partage. L'explication commence : «J'ai été débordé par les jeunes, mais je comprends leur lassitude. J'étais à Kidal le jour des événements. J'ai entendu des coups de feu, dès que j'ai compris que ce sont des hommes qui se sont toujours réclamés de moi, qui menaient les opérations, je me suis levé pour les calmer, mais sans succès». D'une voix plutôt fluette, il poursuit : « Sur le terrain à Kidal, j'ai veillé à ce que aucun civil, aucun ressortissant du Sud ne soit brutalisé. C'est moi, qui ait donné l'ordre à tous les éléments de quitter la ville, pour éviter une confrontation avec l'armée régulière qui arrivait ». Et l’homme de « saluer » l'attitude « exemplaire » des militaires de l'armée régulière qui à leur arrivée dans la ville de Kidal n'ont brutalisé personne.

L'entretien est interrompu par un coup de fil qui vient du Niger. C'est le gouvernement nigérien qui prend langue par la rébellion pour trouver une solution pacifique à la crise. Iyad poursuit son récit : «  Je comprends la lassitude de mes hommes qui, par mesure de précaution, ont pris les armes dans les camps. Ils ont des problèmes au sein de l'armée, pour ceux qui sont intégrés, et des problèmes dans la vie civile, pour ceux qui n'ont pas été intégrés, et qui ont bénéficié de financements de micro-projets».

Estimant que les accords de paix signés en 1992, qui ont mis fin à la rébellion touarègue, «n'ont pas été respectés à la lettre», Iyad Ag Galy précise que la décision du gouvernement malien de renforcer sa position militaire dans le nord avant les attaques des camps militaires par ses hommes, a contribué «à faire monter la tension».

« Nous sommes maliens et nous entendons rester maliens »

«Nous n'avons de haine contre personne. Amadou Toumani Touré est le président de tous les Maliens. Nous allons trouver une solution pacifique à la situation, je l'espère sincèrement. Vous voyez, là nous sommes retranchés dans cette base. Nous n'avons pas sorti d'armes lourdes. Nous sommes en situation d'attente, et d'écoute», assure-t-il. Selon lui, «il faut aller vite» pour que la situation ne se dégrade pas, «d'autres touaregs intégrés dans l'armée pouvant être tentés par la désertion».

«Nous avons demandé au gouvernement malien de choisir le médiateur étranger. Son choix, sera le notre. Il faut aller très vite, parce que la situation peut évoluer négativement, et cela deviendra plus compliqué à gérer», insiste t-il. Il précise les revendications de ses hommes : le «statut particulier» réclamé pour la région de Kidal n'est pas une demande «d'autonomie, ni une fédération souhaitée, ni une indépendance réclamée».

«Nous sommes maliens, et nous entendons rester maliens. C'est notre pays. Nos parents ont participé à la lutte de libération. Ils n'ont pas cherchés à devenir algérien, mauritanien (pays avec lequel le Mali partage une frontière), mais malien», ajoute t-il. Selon lui «le statut particulier» qu'il réclame pour sa région, doit «tenir compte de la spécificité nomade» de la zone.

Est-ce le début d'une nouvelle rébellion touarègue? Réponse directe à RFI: «On ne peut pas dire au stade actuel qu'il y a une nouvelle rébellion touarègue au Mali. Ce sont des hommes qui ont pris les armes de camps militaires. Pas pour se battre, mais pour dire assez !». Par ailleurs,  Il rejette catégoriquement  les informations selon lesquelles, le sanctuaire qu'ils occupent aujourd'hui, serait celui d'islamistes ou de terroristes.

Le trajet en sens inverse commence. il faut quitter la zone. On croise le colonel Hassan Fagaga et un autre dur, Ibrahim Bahanga, l'enfant terrible de l'Adrar des Iforas. Sur le chemin de retour toujours, le désormais unique porte parole du mouvement Erlass Ag Idar (fils du vivant en langue tamacheq), en réalité n°2 du groupe armé, passe en revue des troupes. Il est en boubou, couleur beige, turban noir. Il prend en main son téléphone satellitaire.Au moment de raccrocher le téléphone, il lance: «Que dieu sauve le Mali».



par Serge  Daniel

Article publié le 01/06/2006Dernière mise à jour le 01/06/2006 à 19:02 TU

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(Conception : RFI)

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Tiébilé Drame

Ancien ministre malien des Affaires étrangères

«Un effort incontestable est fait pour intégrer dans l'armée nationale du Mali les anciens combattants rebelles.»

[25/05/2006]

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