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Haditha : enquête sur le «My Lai d’Irak»

Des <em>Marines</em> patrouillent dans les rues d'Haditha.(Photo : AFP)
Des Marines patrouillent dans les rues d'Haditha.
(Photo : AFP)
L’armée américaine s’apprête à rendre son rapport sur le massacre présumé d’Haditha, comparé à un épisode dramatique de la guerre du Vietnam. Selon des fuites à la presse américaine, le document mettrait aussi en cause la chaîne de commandement.

De notre correspondante aux Etats-Unis

Le scandale d’Haditha ne serait pas seulement celui du massacre de 24 civils dans cette ville, située à 250 kilomètres au nord de Bagdad. D’après des informations obtenues entre autres par le Washington Post, le scandale réside également dans les efforts déployés par les Marines américains pour étouffer l’histoire du carnage et présenter le plus longtemps possible une version des faits falsifiée par la hiérarchie.

Le 19 novembre 2005, à Haditha à 200 kilomètres au nord de Bagdad, une bombe explose sur une route au passage d’un convoi américain. Elle tue Miguel Terrazas, qui conduit l’un des quatre véhicules blindés Humvee de la patrouille et blesse deux autres Marines. Le lendemain l’armée publie un communiqué selon lequel « un Marine et quinze civils ont été tués hier par une bombe sur une route à Haditha ». Le texte explique que huit insurgés sont morts dans les échanges de tirs qui ont suivi. Le même jour, Taher Thabet, étudiant en journalisme irakien, filme les corps à la morgue. Ses images montrent que les Irakiens ont été tués par balle, dans la tête et la poitrine. Des femmes et des enfants sont en pyjama. Les éléments qu’il recueille ne correspondent pas à la description de victimes d’une explosion ou à des insurgés abattus lors de combats. « Ils ont frappé à la porte. Mon père est allé ouvert. Ils lui ont tiré dessus à travers la porte », dit une petite fille de douze ans dans la vidéo ; « un soldat américain est entré et nous a tiré dessus. J’ai fait semblant d’être morte ».

Première enquête

Averti par un groupe de défense des droits de l’Homme, Time ouvre une enquête qui indique que des soldats enragés seraient allés se venger de maison en maison. Plus tard, l’un des membres du bataillon reconnaîtra dans une interview au Los Angeles Times avoir sorti des corps des maisons. Dès janvier, un journaliste du magazine interroge la Maison Blanche. Une enquête préliminaire de l’armée est ouverte en février. George Bush et le secrétaire d’Etat à la Défense Donald Rumsfeld n’auraient été prévenus qu’en mars, le mois de parution de l’enquête de Time et de l’ouverture d’une enquête par la marine américaine. Ce rapport devrait être publié cet été.

Les enquêteurs demandent à présent l’exhumation des corps. L’armée a aussi conduit sa propre enquête. D’après le Washington Post, ses conclusions attendues dans les prochains jours devraient mettre l’accent sur trois violations majeures : le faux témoignage du sergent qui a rapporté que quinze civils irakiens avaient été tués par une bombe ; l’absence de rapport par l’équipe de Marines chargée de ramasser les morts sur la cause des décès, tués par balle et non par explosif ; le maintien par les Marines jusqu’à il y a deux mois d’une version qu’ils savaient fausses. Dimanche dernier, interrogé sur la chaîne ABC, John Murtha, un représentant de Pennsylvanie, lui-même ancien Marine et vétéran du Vietnam, a dit savoir que des officiers, pour étouffer l’affaire, avaient initialement proposé aux familles des victimes des compensations de 2 500 dollars. Selon des informations obtenues par ABC, une douzaine de Marines pourraient être poursuivis, parmi lesquels trois pourraient être accusés de meurtre.

Bush se dit troublé

Le président George Bush qui la semaine dernière encore disait de l’affaire des sévices d’Abou Ghraib qu’il s’agissait de la plus grave faute américaine en Irak, n’a pas évoqué Haditha avant mercredi. Il s’est dit « troublé » par les articles de presse et a promis que « ceux qui ont violé la loi, si c’est le cas, seront punis. » Pour le moment, trois officiers ont été relevés de leurs fonctions.

Mais, à la différence d’Abou Ghraib, l’état-major de l’armée américaine ne parle plus là de quelques mauvaises graines. La promotion du Général Stephen T. Johnson, le Marine le plus gradé en Irak, au grade de lieutenant général, a été reportée à plus tard. Au-delà des militaires concernés, le rapport doit aussi mettre en évidence la mauvaise préparation des troupes américaines à ce type de conflit. Avant même que le rapport soit rendu public, le général George Casey, commandant des troupes américaines en Irak, a demandé que les soldats américains suivent une nouvelle formation aux « valeurs essentielles », du traitement des civils dans les règles d’engagement. L’armée américaine doit montrer qu’elle prend l’affaire très au sérieux : la qualité de ses relations avec le gouvernement irakien sont en jeu. Celui-ci a annoncé hier qu’il ouvrirait sa propre enquête et a demandé à l’armée américaine de lui communiquer ses informations.

Aux Etats-Unis, la presse parle déjà du « My Lai d’Irak » du nom du village vietnamien où 500 civils avaient été tués en 1968. Sa révélation, un an plus tard, avait contribué à retourner l’opinion contre la guerre.



par Guillemette  Faure

Article publié le 02/06/2006Dernière mise à jour le 02/06/2006 à 11:36 TU

Audio

Jean-Vincent Brisset

Directeur de recherche à l'IRIS

«Quand les troupes d'élite en Irak réagissent de façon anormale et hors de ce qu'on leur a appris, il y a un problème.»

[02/06/2006]

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