Pérou
Présidentielles : Alan ou Ollanta, un verdict serré

(Photos: AFP)
Vendredi 2 juin, dans les locaux liméniens d’Union pour le Pérou (UPP), Ollanta Humala le reconnaît : « Il y a eu de tout durant cette campagne électorale. De belles choses mais aussi beaucoup de coups-bas ». Le candidat nationaliste à la présidentielle semble exténué. La veille, il a mis fin à près de six mois de campagne électorale intensive lors d’un meeting réalisé face à des milliers de personnes, au cœur de Cusco, la capitale de l’empire Inca, un des bastions nationalistes les plus actifs. Las, il « refuse de répondre aux nouvelles attaques d’Alan Garcia », son adversaire de l’APRA (Alliance populaire révolutionnaire américaine). Quelques temps auparavant, l’ancien chef d’Etat social-démocrate (1985-1990) l’a cette fois traité de « voyou de la politique » et de « tueur de policiers », faisant référence à la prise d’otage d’un commissariat menée son frère, début 2005. Un mouvement qu’avait pourtant condamné à demi-mot par le candidat nationaliste.
Durant son meeting de fermeture organisé dans le centre de Lima, la capitale péruvienne, Alan Garcia n’avait pas hésité à qualifier les nationalistes de « militariste de droite » : « Ils disent qu’ils sont nouveaux alors qu’ils représentent ce qu’il y a de plus vieux, de plus corrompu, de plus répugnant : le militarisme cherchant à faire des coups d’Etat. » Le chef de file de l’APRA semble bien décider à attaquer son adversaire jusqu’au jour du scrutin. Lui qui était jusque-là dédaigné de la presse et des milieux influant de la société péruvienne apparaît désormais comme le « sauveur de la démocratie » face à la candidature d’Ollanta Humala, qui inquiète une partie de la population y voyant un retour de l’autoritarisme.
Un président pour cinq ans
Profitant de l’appui répété le président vénézuélien Hudo Chavez au nationaliste, l’ancien chef d’Etat a en outre insisté sur la subordination supposée qu’aurait son adversaire dans un hypothétique « axe Venezuela-bolivie-Pérou », qui semble peu populaire parmi les Péruviens. Loin d’être en reste, les nationalistes ont notamment insisté les derniers jours sur les liens qui existeraient entre Alan Garcia et l’ancien président (1990-2000) Alberto Fujimori, aujourd’hui accusé de corruption et de violation des droits de l’homme. Diffusant des mails dont la validité est remise en question, les membres d’UPP dénonce un « pacte d’impunité » entre les deux hommes. Dimanche 4 juin, la « sale guerre » devrait prendre fin avec le scrutin final. Près de 16,5 millions d’électeurs Péruviens décideront ainsi qui d’Alan ou d’Ollanta, comme on les appelle au Pérou, sera le nouveau président pour cinq ans.
Novice dans la politique encore inconnu des Péruviens, il y a un an, Ollanta Humala était arrivé en tête du premier tour, le 9 avril, avec 30,62 % des voix. Anti-système, ses discours radicaux contre la corruption et les partis politiques traditionnels, qu’il accuse d’être soumis aux Etats-Unis, ont séduit une partie de l’électorat majoritairement pauvre et habitant en province. Souhaitant mettre en place la « grande transformation », du nom de son programme, l’ancien militaire mis en réserve de l’armée insiste sur la nécessité de changer la Constitution et de réviser les contrats de stabilité juridique régissant le régime existant aujourd’hui avec les transnationales. Ollanta Humala assure qu’il baissera de 30 % le prix du carburant et n’a pas hésité au cours de la campagne à traiter l’ancien chef d’Etat apriste de « corrompu » et « voleur », faisant référence aux nombreux problèmes rencontrés par le gouvernement apriste, ayant plongé le pays dans une crise économique fatale à la population à la fin des années 1980.
« Le gros problème d’Alan Garcia est qu’il manque de crédibilité, souligne le politologue Santiago Pedraglio. Son gouvernement antérieur est dans tous les esprits. » Malgré tout, le chef de file de l’APRA prône l’idée du « changement responsable ». Réclamant plus d’Etat, la création de 300 000 postes annuels, il assure qu’il fera respecter la journée de huit heures de travail tout en faisant disparaître les agences d’intérim abusant de leur situation.
Si Ollanta assure qu’il n’est « ni de droite ni de gauche mais d’en bas », le candidat nationaliste comme son adversaire social-démocrate estiment se situer du côté de la justice sociale, à gauche de l’échiquier politique. Aucun des deux candidats n’a pourtant évoqué le thème des droits de l’homme durant cette campagne électorale. Une enquête est ainsi en cours actuellement pour évaluer si, comme l’affirment des plaignants, Ollanta Humala a torturé et tué des civils en 1992, alors qu'il dirigeait une base militaire en plein conflit interne entre les terroristes du Sentier lumineux et les militaires. Quant à Alan Garcia, sa responsabilité politique est mise en cause dans le massacre des prisonniers accusés de terrorisme ayant eu lieu en 1986 mais aussi dans la mise en place d’escadrons de la mort et de l’attitude répressive de l’armée à cette époque.
Selon les derniers sondages diffusés au Pérou, Alan Garcia avait, le 2 juin, une avance de sept à onze points sur Ollanta Humala. Malgré tout, la bataille s’annonce serrée.
par Chrystelle Barbier
Article publié le 03/06/2006Dernière mise à jour le 03/06/2006 à 14:27 TU