Nucléaire iranien
La porte s’entrouvre
(Photo : AFP)
Les Etats-Unis, on le sait, ont récemment décidé de recommencer à discuter directement avec l’Iran. Cette ouverture, après une rupture de près de 30 ans, est motivée par la résolution de la crise avec Téhéran concernant l’enrichissement d’uranium. Au lendemain du voyage de Javier Solana dans la capitale iranienne où le Haut représentant de l’Union européenne a présenté les propositions de sortie de crise des « 6 Grands », George W. Bush a commenté la première réaction de l’Iran. Le président américain sait bien que, jusqu’à présent, le pouvoir iranien a toujours fermé la porte aux négociateurs en mettant en avant son droit souverain à mettre au point cette technologie avant de créer sa filière nucléaire. Cette fois, Ali Larijani, responsable du programme nucléaire iranien, a réagi favorablement aux mesures proposées par les cinq membres permanents du Conseil de sécurité (Etats-Unis, Grande-Bretagne, France, Russie, Chine) plus l’Allemagne. Ali Larijani a indiqué que ces mesures allaient être détaillées et que « de nouvelles négociations auront lieu pour parvenir à une conclusion équilibrée et logique ». Pour le président américain, cette première réaction de l’Iran est « positive. Nous allons donc voir si les Iraniens prennent notre offre au sérieux. A eux de choisir. J’ai dit que les Etats-Unis iraient avec eux à la table de négociation s’ils acceptent de suspendre de façon vérifiable leur enrichissement», a déclaré le président Bush.
Conversion ne veut pas dire radiations
Le Washington Post donnait mercredi des détails sur la position des Américains, de retour dans la négociation, en parlant de revirement. « Ce que l’on dit maintenant, dans les grandes lignes, c’est que le régime iranien peut conserver chez lui l’enrichissement, s’il restaure la confiance ». Le quotidien américain relayait les propos d’un responsable américain sans le nommer, qui ajoutait : « Il (l’Iran) doit répondre aux préoccupations concernant tout ce qui pourrait laisser penser à l’existence d’un programme militaire ».
Au lendemain des entretiens entre le messager de Bruxelles et plusieurs leaders iraniens, des diplomates européens indiquent, eux aussi de manière informelle, quel pourrait être le marché entre l’Iran et les « 6 Grands » pour que les deux camps sortent honorablement de la crise. L’Iran pourrait continuer à convertir l’uranium, c’est-à-dire effectuer des opérations chimiques pour préparer le minerai avant d’arriver à l’étape suivante, l’enrichissement qui provoque la réaction nucléaire et qui permet de fabriquer du combustible.
Autre possibilité : Téhéran accepterait de suspendre ses expérimentations pendant tout le temps de la négociation. Il serait sous entendu que cette suspension serait temporaire et coïnciderait aux années de tractations « on parle d’au moins plusieurs années », indiquait encore un diplomate dans la presse américaine, estimant que le temps sera très long pour que l’Iran se mette d’accord avec la communauté internationale.
Les vérifications dont parle le président Bush seraient menées par l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA). Elle doit, très opportunément, sortir un nouveau rapport jeudi. Il fera état « des plus récentes observations des inspecteurs » qui se sont rendus récemment sur le site de Natanz. En février dernier, l’AIEA avait une nouvelle fois demandé à l’Iran de suspendre ses activités d’enrichissement. Puis, le 28 avril, l’agence avait indiqué que Téhéran poursuivait cette activité, sans donner d’assurances sur une utilisation pacifique, et non militaire, de ce programme. L’AIEA pense déjà à l’avenir, à de nouvelles inspections sur le site de Natanz, qui pourraient prouver que l’Iran a un programme purement civil.
« Personne ne parle d’un arrêt définitif (de l’enrichissement). J’insiste sur le terme suspendre et non arrêter », déclarait encore une source proche du dossier dans une interview au Washington Post. Une « suspension de l’enrichissement pour des raisons techniques » pourrait également être annoncée par l’Iran, avec l’accord des Américains.
Des vérifications et des contreparties
Les contreparties offertes à l’Iran sont d’abord une coopération technique pour construire des réacteurs nucléaires à eau légère. La technologie américaine ne serait pas engagée dans ce projet. En revanche, Washington, dont les relations diplomatiques sont rompues avec l’Iran depuis 1980, n’empêcherait pas des entreprises européennes, ou russes, d’opérer en Iran pour raison d’embargo. Soumis à des sanctions américaines depuis plusieurs décennies, l’Iran pourrait également obtenir des pièces détachées de Boeing et d’Airbus afin de remettre à niveau son parc d’avions vieillissant. Les Etats-Unis pourraient également fournir aux paysans iraniens de quoi moderniser la filière de production agricole.
On ne pourra pas discuter d’une résolution concernant l’Iran, au Conseil de sécurité des Nations unies, tant que dureront les négociations autour des propositions faites par Vienne. Cette mise au point a été faite par le ministre russe des Affaires étrangères, Sergueï Lavrov, au lendemain du passage de Javier Solana à Téhéran. Le chef de la diplomatie russe a précisé que Moscou envisagerait des sanctions contre l’Iran seulement si son protégé violait le traité de non prolifération ; traité qui affirme le droit de chaque pays à un programme nucléaire civil.
Interrogé sur le risque d’une intervention militaire américaine, le ministre iranien des Affaires étrangères, Manouchehr Mottaki avait déclaré mardi que « Les Etats-Unis n’étaient pas en position d’imposer des frais supplémentaires aux contribuables américains. C’est pourquoi ils se sont déclarés prêts à négocier avec l’Iran ». Pour l’Iran aussi, l’amorce de dialogue semble une bonne nouvelle. A part un journal ultraconservateur, la presse iranienne s’est félicitée de la main tendue par le chef de la diplomatie européenne.
par Colette Thomas
Article publié le 07/06/2006Dernière mise à jour le 07/06/2006 à 16:57 TU