Liberia
Prison britannique pour Charles Taylor
(Photo: AFP)
En acceptant jeudi que Charles Taylor purge au Royaume Uni la longue peine qui l’attend pour ses crimes de guerre et contre l’humanité, Londres a rempli la dernière condition posée par le tribunal néerlandais pour que le dictateur déchu soit jugé à La Haye, devant la Cour pénale internationale (CPI). Celle-ci s’est récemment entendue avec le Tribunal spécial pour la Sierra Leone (TSSL) pour une délocalisation des audiences aux Pays-Bas. La TSSL a déjà prononcé onze charges contre Taylor. Un dossier de 32 000 pages étaye son implication dans les exactions commises par ses affidés locaux pendant la guerre civile de Sierra Leone. Mais craignant d’éventuelles retombées locales du procès, Freetown comme Monrovia souhaitaient éloigner l’encombrant prisonnier livré par le Nigeria le 29 mars dernier.
Le procès ne commencera pas avant l’année prochaine. D’ici là, le Conseil de sécurité des Nations unies devra prendre la résolution ad hoc pour autoriser sa délocalisation à la Haye, ce qui ne saurait tarder. Mais il faudra aussi prévoir le transfert du détenu en Grande-Bretagne où le parlement devra adopter «la législation nécessaire». Avant cela, il s’agit très vite d’assurer son transport de Freetown à La Haye où la CPI va devoir aussi articuler sa procédure avec celle de la juridiction mixte (nationale et onusienne) spécialement créée en Sierra Leone pour juger les crimes commis pendant la deuxième partie de la guerre civile. Celle-ci avait en effet commencé en 1991, faisant au moins 120 000 morts et des kyrielles de mutilés, brisant la vie et la santé psychologiques de milliers d’ex-enfants-soldats. Mais le champ de compétence du TSSL a été limité à la période courant de la rupture de l’accord de paix du 30 novembre 1996 jusqu’à la fin effective de la guerre, en 2001.
Volonté britannique de combattre l’impunité
L’intervention militaire britannique de mai 2000 a largement pesé sur l’issue de la guerre sierra-léonaise. Aujourd’hui, en annonçant que Londres accepte de servir de geôlier à Taylor, la secrétaire d’Etat au Foreign Office, Margaret Beckett explique qu’il faut comprendre la nouvelle comme «le signal fort de la volonté [britannique] de combattre l’impunité». En dépit de son déni de culpabilité lors de sa première comparution devant le TSSL, le 3 avril dernier, à Freetown où il est détenu sous la surveillance de Casques bleus attachés au tribunal, nul ne doute en effet que Charles Taylor sera reconnu coupable des chefs d’accusation établis à Freetown le 16 mars 2006 après son inculpation le 7 mars 2003.
Charles Taylor va devoir répondre «d’exécutions extrajudiciaires, de violences sexuelles, de violences physiques (notamment des mutilations), de l’utilisation d'enfants soldats, d’enlèvements, de travail forcé et de pillages» commis par ses amis du Front révolutionnaire uni (RUF). Selon l’acte d’accusation, l’ancien président du Liberia a en effet «fourni un soutien financier, un entraînement militaire, un soutien en personnel, en armes et en munitions au RUF», en échange de diamants.
A partir de 1997 et de la prise du pouvoir à Freetown par le RUF et le Conseil révolutionnaire des forces armées (AFRC), Taylor est accusé d’avoir participé activement à «une entreprise criminelle commune visant à contrôler la population et le territoire, en particulier les zones diamantifères» de Sierra Leone. L’acte d’accusation l’estime «individuellement responsable» de crimes qu'il a «planifiés, initiés, ordonnés, commis» ou dont il s’est rendu complice. Mais l’ancien seigneur de la guerre a aussi violé les conventions de Genève et contrevenu au droit humanitaire international par des actes de terreur contre la population civile, des punitions collectives ou le recrutement de «garçons et filles de moins de 15 ans pour participer aux hostilités» ainsi que par des attaques contre la Mission de l'Onu en Sierra Leone (Minusil), entre le 15 avril et le 15 septembre 2000.
Longtemps omnipotent dans la sous-région, Taylor n’a peut-être pas encore été dépouillé de toutes ses capacités de nuisance, d’où l’embarras du TSSL à le juger, mais surtout à assurer à long terme sa détention sur place. «La présence de M. Taylor en Sierra Leone demeure une menace pour la paix dans la région», souligne Margareth Beckett. Pour leur part, les Pays-Bas ne souhaitaient pas hériter de Taylor après sa probable condamnation à La Haye où le TSSL avait demandé qu’il soit jugé. Egalement sollicités par les Nations unies pour l’incarcérer, l'Autriche, la Suède et le Danemark avaient refusé. Mais finalement, «avec l'offre de la Grande-Bretagne, toutes les conditions posées par le gouvernement néerlandais ont été remplies», se félicite aujourd’hui le ministère néerlandais des Affaires étrangères.
par Monique Mas
Article publié le 16/06/2006Dernière mise à jour le 16/06/2006 à TU