Comores
Tensions entre l'Union et Mayotte

(Photo : AFP)
L’annonce a été faite le 14 juin dernier. Les nouvelles autorités au pouvoir à Moroni ont décidé de réintroduire la question de l’île comorienne de Mayotte à l’ordre du jour de l’Assemblée générale des Nations unies. La dite question avait permis de condamner plus d’une fois la présence française sur l’île sœur.
Ainsi, le 28 novembre 1994, l’Assemblée Générale, dans sa résolution 49/18, priait «instamment le gouvernement français d’accélérer le processus de négociations avec le gouvernement comorien, en vue de rendre rapidement effectif le retour de l’île de Mayotte dans l’ensemble comorien». Par la suite, la question n’avait plus été abordée par cette instance internationale. Il y a deux ans, le président Azali Assoumani en avait décidé ainsi. Levant l’embargo contre toute participation de Mayotte, en tant qu’entité distincte, aux jeux des îles du sud-ouest de l’Océan Indien, le président Azali avait justifié sa décision en ces termes : « Nous voulons tirer les leçons de trente années de blocage et de méfiance. C’est ainsi que notre diplomatie a privilégié l’approche pragmatique du rapprochement de nos populations par le sport, la musique et les affaires ».
A l’époque, cette décision est saluée par le partenaire français, en la personne du ministre des Affaires étrangères Dominique de Villepin. S’adressant au Sénat à Paris le 16 octobre 2002, le chef de la diplomatie française soulignait la tournure positive prise par les événements : «La position des autorités comoriennes évolue, dans le cadre des contacts réguliers que nous avons avec elles. Ainsi, la question de Mayotte n’est plus traitée aux Nations unies. Les responsables des Comores ont, en effet, accepté de retirer ce point à l’ordre du jour de la dernière Assemblée Générale, de ne plus demander de débat ni de prendre de résolution sur ce sujet. Le meilleur moyen de faire reconnaître aux autorités comoriennes notre souveraineté sur Mayotte est de faire mieux accepter notre présence et d’engager un dialogue avec elles ».
Retour à la case départ avec l’avènement de Ahmed Abdallah Sambi au pouvoir. A son investiture à la tête de l’Union des Comores en mai 2006, ce dernier n’avait pas laissé le moindre doute planer sur ses intentions devant les délégations françaises et mahoraises présentes : « Il s’agit pour les Comoriens des trois îles de relever le défi d’un développement économique qui dépassera le niveau actuel de Mayotte ».
Mayotte attire toujours
Christian Job, ambassadeur de France à Moroni, et Mansour Kamardine, député de Mayotte, souhaiteraient pourtant que la coopération régionale s’accentue entre l’île française désormais promise à la « dom-tomisation » et le reste de l’archipel, indépendant. L’an dernier, plus de la moitié du Fond de coopération régional de Mayotte (146.382 euros) a déjà été dédié à des projets de coopération sanitaire et d’éducation destinés aux îles voisines. D’ailleurs un partenariat existe déjà entre l’antenne de l’Education nationale à Mayotte et l’Ecole nationale technique et professionnelle d’Anjouan.
« Ce sont des ersatz pour mettre un peu d’humanité dans la politique « anti-Comoriens » des Mahorais, qui, eux, ne se sentent plus Comoriens du tout. Mayotte veut jouer au petit dragon de l’archipel, en lui accordant quelques miettes de son argent français », confie un proche du président Sambi. « Pendant ce temps, les morts par noyade, venus clandestinement des autres îles, à défaut d’obtenir un visa en bonne et due forme, s’accumulent. Car les gens veulent voir de près ce que les Français ont fait de mieux à Mayotte, qu’ils n’ont pas fait chez nous, dans le cadre de la coopération entre nos deux pays ». Il y a eu plus de 4.000 morts depuis la mise en place du « visa Balladur », en 1995, selon l’Observatoire de l’immigration clandestine anjouanaise.
Jean-Paul Kilh, préfet de Mayotte, affirme que cette coopération est « le meilleur moyen pour fixer la population dans les autres îles ». Pour lui, la lutte contre l’immigration clandestine et la coopération sont « indissociables ». Mais contrairement à ce que prétend Saïd Omar Oili, président du Conseil général de Mayotte (« la météo est bonne pour mettre en place la coopération. Le gouvernement vient de changer aux Comores »), à l’occasion d’une réunion de concertation cette semaine entre la Réunion, Mayotte et l’Ambassade de France aux Comores sur ces questions, Moroni cherche plutôt le moyen de relancer le combat pour un retour définitif de Mayotte dans l’ensemble comorien.
Hasard de calendrier ou volonté des autorités de l’Union ? Toujours est-il que depuis deux semaines, la lutte « anti-immigrés » s’amplifie à Mayotte, au nom des directives Sarkozy. « De véritables chasses à l’homme » titre le journal Kashkazi, qui insiste sur la tactique utilisée : encerclement des sans-papiers et expulsion immédiate vers Anjouan ou la Grande Comore. Ces hommes, comme jadis les « esclaves marrons », vont se cacher dans la forêt ou dans les hauteurs de l’île. De jour comme de nuit, la gendarmerie est sur les dents. Des battues sont organisées. Le lieutenant-colonel Guillemot, qui commande les opérations, confie : « Je cherche effectivement à mettre les étrangers (les Comoriens) en situation irrégulière dans un climat d’insécurité. Ils doivent savoir qu’on peut les contrôler à tout moment. Ils doivent le craindre ». Un geste qui est perçu à Moroni comme une nouvelle provocation de la part de Mayotte.
par Soeuf Elbadawi
Article publié le 25/06/2006Dernière mise à jour le 25/06/2006 à TU



