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Immigration

Du neuf avec du vieux

La Conférence de Rabat sur la migration et le développement s'engage sur la création d'un <em>«partenariat étroit»</em>, pour gérer les flux de l'immigration ouest-africaine sur l'Europe. 

		(Photo : AFP)
La Conférence de Rabat sur la migration et le développement s'engage sur la création d'un «partenariat étroit», pour gérer les flux de l'immigration ouest-africaine sur l'Europe.
(Photo : AFP)
Après deux jours de travaux, la conférence de Rabat s’est terminée par l’adoption d’un plan d’action. Pour la première réunion de cette ampleur, 30 pays européens et 27 africains ont parlé d’immigration clandestine. Le plan a un volet sécuritaire. Mais les Européens cherchent également des solutions pour dissuader les migrants de venir en Europe.

On pourra dire que le plan d’action adopté à Rabat par 30 pays européens et 27 pays d’Afrique de l’Ouest et du Centre est flou, qu’il ne comporte rien de nouveau. Il n’empêche. Pour la première fois, se déroulait une conférence de cette ampleur afin de discuter ensemble, pays de départ, pays de transit et pays d’accueil, des problèmes posés par cet afflux massif de migrants africains cherchant à rejoindre l’Europe. Bon nombre de délégations étaient composées de plusieurs ministres afin de multiplier les approches de ce sujet délicat. 

Sous son aspect répressif, le plan d’action de Rabat préconise la « mise en place, dans le respect de la dignité et des droits fondamentaux des personnes, de systèmes efficaces de réadmission dans l’ensemble des pays concernés ». Une manière très claire de dire qu’il y aura des accords entre les pays pour rapatrier les immigrés clandestins dans leur pays d’origine.

Ce volet sécuritaire indique également qu’il y aura des campagnes de sensibilisation dans les pays de départ pour informer les migrants potentiels des risques encourus. De plus, les pays africains devraient être dotés « d’une base de données numérisée pour lutter contre l’immigration clandestine ». Enfin la coopération judiciaire et policière devrait être renforcée entre les deux groupes de pays afin de lutter contre le trafic d’êtres humains et de démanteler les filières d’immigration illégale.

L’Union européenne a insisté pour que les gouvernements africains acceptent le retour des clandestins lorsqu’ils se font prendre en Europe. Actuellement, les procédures de rapatriement sont lentes et compliquées. Le plus souvent, les clandestins finissent par rester. Ce temps sera bientôt révolu, même si ces retours répugnent doublement aux leaders politiques africains : échec du pays qui ne donne pas de travail à ses citoyens, échec de la tentative vers l’Europe.

Comme les organisateurs l’avaient annoncé avant la conférence, celle-ci n’était pas organisée pour effacer la mauvaise conscience des pays du Nord, sensibilisés après les drames répétés dans les enclaves espagnoles au Maroc, aux Canaries, ou sur l’île italienne de Lampedusa. Il n’a donc pas été question de payer pour se dédouaner. L’aide au développement n’a pas augmenté mais les Européens savent qu’il faut trouver des solutions pour que l’Europe devienne moins attirante.

Trouver de nouveaux financements

La France, notamment, sait comment trouver des ressources nouvelles pour les pays en développement. Elle souhaite stimuler la concurrence entre les institutions financières par lesquelles les immigrés sont obligés de passer pour envoyer une partie de leurs revenus dans leur pays d’origine. Paris veut réduire le coût de ces virements. Le bénéfice dégagé deviendra-t-il une taxe destinée à financer des projets ? C’est probable. Des avantages fiscaux ont également été évoqués pour les immigrés en situation régulière en France, si les fonds envoyés dans le pays d’origine sont destinés à investir.

Il y a quelques mois, la Banque mondiale avait publié une étude indiquant que les transferts financiers effectués par les migrants, en 2005, avaient atteint 220 milliards de dollars. Sur cette somme, quelle est la proportion d’argent officiel, sur laquelle des taxes et des impôts ont été payés ? Quelle est la part de l’argent circulant de manière informelle et échappant à toute taxation ? La France semble décidée à exploiter cette piste.

Les pays africains, on le sait, ont des sociétés encore à forte dominante rurale et paysanne. Le plan d’action voudrait mettre à contribution l’agriculture. Il évoque « l’identification et la réalisation de projets de coopération dans certaines domaines générateurs d’emplois » qui seraient destinés aux candidats au départ. Le directeur de la FAO (agence des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture) est venu à Rabat soutenir cette idée, exhortant les pays africains à investir dans l’agriculture pour « fixer » les candidats à l’immigration illégale vers l’Europe. « Il faudra que les pays africains s’attaquent naturellement au problème de l’agriculture qui fournit 60% des emplois alors que seulement 4% de terres arables sont irriguées en Afrique au sud du Sahara », a déclaré Jacques Diouf, le directeur général de la FAO.

Le microcrédit devrait également être encouragé. « Quand on arrive à raccompagner les gens sur des microprojets et qu’ils créent, après, à leur tour, des petites entreprises, on a vraiment une opération qui est gagnante aussi bien pour le pays de départ que pour le pays d’accueil », a pour sa part indiqué Brigitte Girardin, ministre française de la Coopération et du Développement. Jusqu’à présent, les pays riches ont été assez réservés sur le microcrédit alors qu’il a fait ses preuves depuis bien longtemps dans les pays pauvres.

Toujours la crainte de la fuite des cerveaux

Les pays africains, qui savent appuyer là où ça fait mal, ont crié au pillage des cerveaux africains. Ils réagissaient à « l’immigration choisie », une nouvelle fois mise en avant par Nicolas Sarkozy à Rabat. Les représentants africains ont profité, eux aussi, de la tribune offerte par la conférence pour dire leurs craintes. Cette inflexion de la politique d’immigration légale pourrait vider leurs pays de leurs élites. « L’immigration légale ne doit pas frayer le chemin à une fuite catastrophique de cerveaux » vers le Nord, a averti le chef de la diplomatie sénégalaise, Cheick Tidiane Gadio. L’Algérie, qui ne participait pas à la conférence, a récemment indiqué, par le biais de son ministre des Affaires étrangères, Mohamed Bedjaoui, que les flux de migrants « drainent près de 80 000 personnes par an, dont 23 000 diplômés universitaires et sont aujourd’hui une cause, plutôt qu’une conséquence, du sous-développement ».

L’Europe a proposé des prêts à la Mauritanie pour faire face à l’afflux de migrants mais l’Espagne semble la plus décidée à aider ce pays de transit. Madrid lui a promis une aide de 2,45 millions d’euros. La délégation espagnole a également annoncé une aide de 10 millions d’euros pour des migrants qui voudraient créer leur entreprise dans leur pays d’origine.

La conférence de Rabat a également été l’occasion de manifestations totalement inédites au Maroc. Des collectifs de clandestins ont manifesté aux côtés d’intellectuels marocains pour dénoncer « l’approche sécuritaire » de la réunion et « l’hypocrisie » des plaidoyers pour le développement.



par Colette  Thomas

Article publié le 11/07/2006Dernière mise à jour le 11/07/2006 à TU

Audio

Martine Roure

Députée socialiste au Parlement européen

«Même si on choisit les personnes qui doivent venir, on n’empêchera jamais l’immigration clandestine qui est une immigration de la misère, de la pauvreté et pour la survie.»

[11/07/2006]

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