Rechercher

/ languages

Choisir langue
 

Economie

Croissance sans développement

Guinée-Bissau : une petite entreprise de décortiquage de noix de cajou. 

		(Photo : AFP)
Guinée-Bissau : une petite entreprise de décortiquage de noix de cajou.
(Photo : AFP)
Dans son dernier rapport sur les pays les moins avancés (PMA), la Conférence des Nations unies sur le commerce et le développement (Cnuced) relativise l’impact de la croissance économique moyenne qui s’est installée dans ces pays ces dernières années. Si cette croissance a augmenté grâce aux revenus du pétrole, la performance est faussée par les faiblesses de l’économie. C’est sur les capacités productives que les décideurs de ces pays et leurs partenaires du Nord doivent désormais concentrer leurs efforts, estime l’organisation internationale.

L’information donnée courant mai dernier par l’OCDE (Organisation de coopération et de développement économiques) était si positive qu’elle était presque difficile à croire : selon le dernier rapport de cette organisation économique, l’Afrique est en train de remonter la pente. La croissance économique du continent dans son ensemble devrait progresser de 5,8% en 2006. L’augmentation est constante puisqu’elle a déjà progressé de 4,9% en 2005 et de 5 % environ en 2004. Le continent dédié au misérabilisme, aux crises humanitaires et aux coups d’Etat serait donc en train de trouver sa place dans l’économie mondiale et de créer de la richesse. L’OCDE attribuait cette augmentation du produit intérieur brut moyen africain à deux facteurs : les revenus du pétrole d’une part et l’accroissement de l’aide au développement d’autre part. 

De bons résultats, tempérés

Les PMA : 50 Etats dont 34 africains. 11,3% de la population mondiale. 0,6% du PIB mondial. 

		(Carte : Cnuced)
Les PMA : 50 Etats dont 34 africains. 11,3% de la population mondiale. 0,6% du PIB mondial.
(Carte : Cnuced)

Deux mois après la publication de ces statistiques, le tout dernier rapport de la Conférence des Nations unies sur le commerce et le développement confirme cette embellie et apporte son propre éclairage sur ces résultats. La Cnuced a focalisé son étude sur les pays les moins avancés et examiné leur santé économique. Presque tous les pays classés dans ce groupe des plus pauvres sont africains et bénéficient depuis 5 ans d’un programme spécial des Nations unies. La Cnuced commence donc par réduire la portée de ces bons résultats parce qu’il existe de grandes disparités entre les pays africains exportateurs de pétrole et les autres. Ceux qui n’en ont pas sont d’ailleurs pénalisés car ils subissent les contrecoups de la hausse du prix du baril de pétrole.

De toute façon, lorsqu’un pays classé parmi les moins avancés produit du pétrole, ces revenus, en général, n’irriguent pas le reste de l’économie. Les compagnies pétrolières étrangères créent leur propre bulle logistique et économique dans le pays producteur. Il y a peu d’effet sur l’économie du pays producteur de pétrole hors de cette enclave.

Selon le rapport de la Cnuced, d’autres chiffres montrent également que l’Afrique va mieux mais une fois encore le pétrole biaise l’aspect positif du résultat. En 2004, la courbe des exportations des pays les moins avancés a suivi celle de la croissance. Globalement, ces exportations ont atteint le niveau record de 57,8 milliards de dollars. Mais là encore, ce bénéfice a été engrangé, pour plus de la moitié, par les quatre PMA les plus exportateurs de pétrole (Angola, Guinée équatoriale, Soudan et Yémen).

Les investissements étrangers ont également fortement progressé dans l’ensemble des 50 PMA, 34 étant des Etats africains ; 10,7 milliards de dollars ont été investis en 2004 et la Cnuced continue de relativiser l’importance du phénomène. Ces investissements représentent seulement 1,6% des flux mondiaux. Les pays les moins avancés établissent un autre record sur la même période : une spectaculaire remontée de l’aide publique au développement. Mais l’Afghanistan et la République démocratique du Congo ont absorbé le tiers de ces 24,9 milliards de dollars débloqués en 2004 par les pays donateurs.

Le chaînon manquant

Pour la Cnuced, la croissance africaine est donc moins spectaculaire qu’il n’y paraît et sa solidité suscite des inquiétudes. D’abord parce que plusieurs pays classés parmi les moins avancés sont exclus de cette croissance positive. Un tiers des PMA ont une économie en stagnation ou même en régression. Seuls 7 de ces 50 Etats ont une croissance en progression.

Pour que cette montée de la croissance s’installe de façon durable, les économies des PMA doivent échapper à plusieurs facteurs conjoncturels  susceptibles de les déstabiliser et de faire retomber l’élan : les cours du pétrole, le niveau des exportations et la fidélité des acheteurs étrangers, les conditions climatiques et leur incidence sur les rendements agricoles. Ces économies restent très vulnérables estime la Cnuced. La forte baisse des cours des matières premières a, par exemple, provoqué l’effondrement de la croissance de plusieurs de ces pays.

Fabriquer des produits manufacturés

La Cnuced remarque surtout que la croissance économique, qui, trois années de suite, a tourné autour de 5%, ne s’est pas traduite par une réduction de la pauvreté et une augmentation du niveau de vie dans les PMA. Car cette croissance ne crée pas d’emplois. Les produits exportés le sont à l’état brut. En plus, lorsque la classe moyenne d’un pays engrange les bénéfices d’un regain d’activité économique, en général elle consomme des produits importés. Cette consommation n’a donc pas d’effet sur la main-d’œuvre locale. La Cnuced parle également de l’attitude de ces élites qui favorisent la fuite des capitaux en plaçant leurs revenus à l’étranger.

L’organisation économique estime que la seule manière d’instaurer une croissance économique durable dans les pays les moins avancés est de créer des emplois et de produire des biens. Evidence, vérité de La Palice aurait-on envie de dire. Car comme n’importe où ailleurs dans le monde, fabriquer des produits manufacturés et les exporter rapporte plus que de vendre des produits bruts. Les pays africains producteurs de coton le savent. Ils gagneraient plus s’ils exportaient des vêtements plutôt que du coton, même si le textile ne représente pas la meilleure des valeurs ajoutées.

Produire, créer des emplois, sortir les petites entreprises de l’économie informelle. Inventer la taille d’entreprise qui manque entre les minuscules et les grandes, en général filiales internationales quasi autarciques et contribuant peu au développement de l’économie locale : la Cnuced sait ce qu’il faudrait faire pour que les pays moins avancés décollent. Pour l’organisation internationale, il faut développer deux secteurs, l’industrie et les services. Ils doivent absorber les nouveaux arrivants, venus des campagnes. Car l’agriculture est en recul dans les PMA. Les parcelles sont minuscules, le matériel est rudimentaire, la productivité n’a pas augmenté. Au contraire, durant les deux dernières décennies, elle a baissé de 9%. Les agriculteurs pauvres partent vers les villes, mais là aussi, le secteur industriel a réduit son activité. Les ruraux ne trouvent pas de travail. En plus, le secteur des services reste dans tous ces pays confidentiel. Comme les ruraux représentent encore 70% de la population de ces pays, leur exode vers les villes risque de provoquer un choc. Manque de PMI-PME intermédiaires, secteur industriel en baisse et secteur tertiaire faible, « ces changements structurels ne sont pas bons », estime Habib Ouane, directeur de la division de la Cnuced sur les pays les moins avancés, qui a présenté son rapport à Paris.

Les banques

Les programmes d’ajustement structurel ont en plus amenés ces pays à ouvrir leurs économies à la concurrence internationale. Mais comment faire face à la concurrence mondiale lorsque, dans les PMA, 94 travailleurs effectuent des tâches remplies par une seule personne dans un pays du Nord ? Les pays les moins avancés souffrent également d’un manque d’accumulation de capital. Et les systèmes financiers ne proposent pas assez de crédits. Les banques, estiment la Cnuced, sont confrontées à un problème de surliquidités. Elles se cantonnent dans une gestion très prudente de leurs ressources financières. Les systèmes d’attribution de crédits sont particulièrement lourds. Les procédures sont lentes. Dans les PMA, les délais d’attribution des crédits sont trois fois plus longs que dans les autres pays notamment en Asie du Sud-Est. Cette frilosité a un effet sur le niveau d’investissement et sur le taux d’épargne. La Cnuced cite en exemple le Rwanda où les banques ont décidé de subventionner la création d’entreprises. Des programmes sont en cours avec des personnes diplômées. Les petites entreprises qui seront créées sortiront ainsi du secteur informel.       

Comme la pauvreté ne diminue pas, la Cnuced suggère également de réorienter l’aide au développement. Jusqu’à présent, ces programmes étaient surtout axés sur le social, l’accès à l’eau potable ou le secteur de la santé, ou la réduction de la dette. La Cnuced souhaite que l’aide soit désormais consacrée au renforcement des secteurs productifs et à l’amélioration des infrastructures. Ce changement de stratégie est déjà en marche. Exemple, l’aide supplémentaire fournie par l’Union européenne pour atteindre les Objectifs du Millénaire en Afrique et réduire la pauvreté de moitié d’ici 2015 est destinée au développement des infrastructures.



Article publié le 20/07/2006Dernière mise à jour le 20/07/2006 à TU

Audio

Habib Ouane

Chargé des pays les moins avancés à la CNUCED

«Il y a des pays qui font partie des PMA [pays les moins avancés] qui ont augmenté leurs exportations de produits manufacturés, ce qui est salutaire.»

[21/07/2006]

Articles