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Economie

OMC : les négociations enterrées

Les négociations pour ouvrir les marchés mondiaux sont suspendues, a annoncé Pascal Lamy, le directeur général de l'OMC. 

		(Photo : AFP)
Les négociations pour ouvrir les marchés mondiaux sont suspendues, a annoncé Pascal Lamy, le directeur général de l'OMC.
(Photo : AFP)
Le G8 avait voulu une réunion exceptionnelle pour tenter de dénouer les négociations sur l’ouverture des marchés mondiaux. Cette réunion a été un échec. Les négociations commencées en 2001 dans le but de faciliter les échanges commerciaux sont suspendues sine die. Trop d’intérêts, notamment agricoles, ont empêché la libéralisation du commerce.

Pascal Lamy, le directeur généraI de l’Organisation mondiale du commerce (OMC) avait réuni lundi, au siège de l’organisation économique qu’il dirige, 6 partenaires dont la position était décisive pour débloquer les négociations sur la libéralisation du commerce mondial. Les chefs d’Etat et de gouvernement du G8 élargi, réunis il y a un peu plus d’une semaine à Saint-Pétersbourg, avaient voulu cette réunion informelle. Malgré les ultimes efforts fournis par l’Australie, le Brésil, les Etats-Unis, l’Inde, le Japon et l’Union européenne, cette réunion de la dernière chance n’a pas trouvé la solution pour débloquer les négociations. Pascal Lamy, le directeur de l’OMC a décidé de suspendre les discussions sine die.

« Est-ce que la suspension du cycle [de négociations de Doha] risque d’entraîner sa mort ? La réponse est oui », a reconnu le patron de l’organisation économique qui a tenté, pendant 5 ans, dans le cadre du cycle de Doha, de changer les règles du jeu du commerce mondial. Pascal Lamy s’est refusé à fixer une date pour la reprise des pourparlers. « Cela ne veut pas dire qu’il n’est pas possible de redémarrer à l’avenir. Mais pour être franche, je pense que ce n’est en aucun cas à portée de main. Seul le temps dira si la pause est définitive », a déclaré pour sa part Mariann Fischer Boel, commissaire européenne à l’Agriculture, représentante des 25 à cette réunion de la dernière chance.

Une négociation qui peut rebondir

Comme l’OMC n’a pas programmé de réunions des différents comités de négociations thématiques (agriculture, produits industriels, services), tout laisse à penser que les négociations sur l’ouverture des marchés mondiaux sont gelées pour une longue période. Les spécialistes estiment que ce n’est pas la première fois que des négociations de ce genre tombent dans l’oubli avant de rebondir quelques années plus tard.

Au lendemain de cet échec relativement prévisible tellement les rapports de force bloquaient toute évolution, plusieurs gouvernements se sont exprimés pour le regretter. C’est le cas notamment du Japon. « Il est très regrettable que les pourparlers aient été suspendus », a déclaré le porte-parole du gouvernement japonais Shinzo Abe. Le Canada pour sa part, à travers un communiqué de son ministre du Commerce international David Emerson, s’est déclaré « très déçu » de la suspension jusqu’à nouvel ordre du cycle de négociations de Doha. La Corée du Sud parle d’une « impasse regrettable ». Le ministre néo-zélandais du Commerce Phil Goff a souligné que le précédent cycle de discussion, le cycle de l’Uruguay, avait survécu à des crises semblables. Ses travaux avaient été gelés pendant trois ans.

Le ministre indien du Commerce Kamal Nath s’est montré plus sévère en déclarant : « Les négociations sont suspendues, les négociations ont échoué ». Le ministre indien a par ailleurs reproché aux Etats-Unis de « vouloir un accès en Inde pour leurs produits agricoles subventionnés sans réduire leurs énormes subventions ». Se retrouvant en position d’accusés, les Etats-Unis ont refusé d’endosser la responsabilité de l’échec des négociations. Susan Schwab, la représentante américaine pour le Commerce, a assuré que son pays était « prêt à faire davantage en matière de subventions internes ». Pour la responsable américaine, ses partenaires se préoccupaient surtout d’échapper à l’ouverture des marchés et voulaient protéger leurs produits dits « sensibles ». La représentante américaine pense peut-être au riz, par exemple. Le Japon ou la Corée du Sud ont toujours eu l’intention de protéger leur marché intérieur du riz contre d’éventuelles importations étrangères. En tout cas, les élections américaines de novembre prochain (législatives de « mid-term ») semblent avoir enlevé toute marge de manœuvre à la négociatrice américaine, le Congrès ne voulant pas toucher aux subventions destinées aux agriculteurs à quelques mois de ce scrutin.

Encore et toujours l’agriculture

Les aides accordées au secteur agricole des pays riches ont été au cœur du blocage de ces longues négociations qui avaient tout à la fois l’ambition de faire disparaître ces subventions et de parvenir à une réduction des droits de douane. Dans un rapport que l’OMC vient tout juste de publier sur le commerce, les économistes de l’organisation internationale ont calculé que plus de 300 milliards de dollars ont été dépensés au niveau mondial sous forme de subventions. Près de 250 milliards ont été versés par 21 pays développés. Les Etats qui aident certains secteurs de leur économie doivent en informer l’OMC. Mais selon l’étude de l’organisation économique, les aides ne sont pas déclarées en totalité. L’étude porte sur 4 années, de 1998 à 2002. Pendant cette période, les Etats-Unis ont déclaré chaque année 16,3 milliards de dollars d’aides, en moyenne. Les économistes de l’OMC, selon d’autres calculs, sont parvenus à un chiffre plus élevé de 43,5 milliards de dollars. Le décalage entre les aides réelles et les aides déclarées à l’OMC a également été repéré au Japon. Toujours selon cette étude, l’Union européenne affiche un niveau de subventions plus conforme à la réalité : 96,3 milliards d’aides ont été déclarées chaque année sur la période étudiée. A comparer aux 109 milliards de dollars établis par l’organisation économique.

L’échec de ces négociations étant maintenant patent, l’Australie estime que les pays en développement en paieront le tribut le plus lourd. « Le système multilatéral [de ces discussions] était le seul espoir qu’avaient les pays en développement d’obtenir un accès plus important aux marchés des pays développés », a déclaré le ministre australien du Commerce Mark Vaile. L’Australie milite pour la fin des subventions européennes et américaines. Mais si elle pense aux pays les plus pauvres, elle a également l’ambition d’exporter ses propres produits agricoles sans entraves.

Les analystes estiment que le gel de ces discussions entamées dans le cadre de l’OMC va relancer les accords bilatéraux. Certains spécialistes sont pessimistes, ils estiment que le pire peut surgir de ce type d’accord. Car un pays riche peut imposer ses règles, sa loi économique, à un pays pauvre. D’autres économistes sont persuadés que ces accords bilatéraux stimulent la croissance mondiale. Ils se sont d’ailleurs multipliés ces dernières années. Les gouvernements les ont favorisés, faisant le pari d’une dynamique créée par l’ouverture des frontières, même sans passer par l’OMC. Cette politique a donné des résultats puisque ces trois dernières années, la circulation mondiale des marchandises et des services a augmenté de 25%.

Des négociations qui ont tourné en rond

Pendant ce cycle de négociations qui s’est étalé sur plusieurs années, les discussions ont sans cesse buté sur les mêmes problèmes. Les Etats-Unis n’ont pas voulu diminuer les subventions à leur secteur agricole. Les Européens ne le pouvaient pas non plus avant la prochaine échéance de la Politique agricole commune, en 2013. Les pays émergents n’ont donc rien cédé et n’ont pas ouvert leurs secteurs industriels et leurs services aux investissements en provenance des pays riches.

L’agriculture a été l’éternel point de blocage. Et au lendemain de l’échec de la réunion de la dernière chance à Genève, des syndicats agricoles ont fait part de leur soulagement, se félicitant de l’échec de ces négociations. C’est le cas notamment de la Fédération nationale des exploitants agricoles (FNSEA), le plus important syndicat d’agriculteurs français. La fédération estime qu’il s’agit « d’une bonne nouvelle pour tous ceux qui pensent que le monde doit être solidaire et avoir une âme. C’est une mauvaise nouvelle pour les libéraux, libéraux pour les autres, protectionnistes chez eux », indique le communiqué du syndicat. De l’autre côté de l’océan Atlantique, le syndicat des agriculteurs américain, le National Farmers Union, se montre lui aussi satisfait : « Il y avait une grande crainte que ce cycle de négociations lie les mains du gouvernement américain dans ses efforts de répondre aux défis auxquels est confrontée l’Amérique rurale ».



par Colette  Thomas

Article publié le 25/07/2006Dernière mise à jour le 25/07/2006 à TU

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Pascal Lamy

Directeur général de l’Organisation mondial du commerce

«Dans un accord bilatéral entre un petit pays et un grand pays, le rapport de force est beaucoup plus défavorable qu’il ne l’est autour de la table de l’OMC.»

[27/07/2006]

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