Proche-Orient
Massacre à Cana : le Liban ne veut plus négocier sous les bombes
(Photo : AFP)
Dix ans après le massacre de Cana au Sud Liban, plus de cinquante civils libanais ont été tués dimanche à l’aube par l’armée israélienne dans ce même village. Après cette tragédie, le gouvernement de Fouad Siniora a annoncé que le Liban «ne participerait plus à aucune négociation avant un cessez-le-feu immédiat et inconditionnel». Des centaines de manifestants en colère ont pris d’assaut la délégation de l’ONU (Escwa) dans le centre-ville de Beyrouth, tandis que la secrétaire d’Etat américaine, Condoleezza Rice, décidait de mettre fin à sa mission au Proche Orient.
De notre correspondant a Beyrouth
Des enfants déchiquetés, des femmes le crâne écrasé par des blocs de béton, des hommes démembrés, des maisons transformées en tas de gravats, des arbres déracinés. Les mêmes images insoutenables ont resurgi de l’enfer, dix ans après le massacre de Cana, lorsque 105 civils, réfugiés dans un camp des forces des Nations unies, avaient été tués par des bombardements israéliens.
Cette petite localité située à l’Est de la ville de Tyr, a revécu, dimanche à l’aube, ce même cauchemar. Des avions israéliens ont complètement détruit une maison de trois étages et endommagé plusieurs autres habitations, fauchant dans leur sommeil quelque 58 civils, dont 28 enfants, qui y avaient trouvé refuge. Les victimes sont toutes membres de deux familles, Chalhoub et Hachem. Les premiers secours n’ont pu arriver sur les lieux que cinq heures après les raids en raison de la poursuite des bombardements aux alentours du village. Les secouristes ont retiré des décombres neuf blessés seulement. Cinquante-huit corps, les membres raidis et parfois horriblement mutilés, ont été transportés dans les hôpitaux de Tyr. Ces terribles images ont immédiatement réveillé chez les Libanais les souvenirs du massacre de Cana, en avril 1996. Des volontaires de la Croix-Rouge et des journalistes, dont certains avaient été témoins de ce drame, se sont effondrés en sanglotant. «C’est trop de voir ces scènes deux fois en une seule vie et au même endroit», a dit un envoyé spécial de la chaîne panarabe al-Jazira en essuyant ses larmes.
Ce drame a mélangé toutes les cartes politiques au Liban et dans la région. Quelques heures après le massacre, le Premier ministre Fouad Siniora a tenu une conférence de presse avec à ses cotés le président du Parlement Nabih Berry, seul négociateur agréé par le Hezbollah. Le chef du gouvernement a annoncé d’une voix brisée par l’émotion, que désormais, le Liban n’accepterait de participer à aucune négociation avant un cessez-le-feu immédiat et inconditionnel. «Les criminels de guerre israéliens ont encore tué des femmes et des enfants innocents. En cette triste matinée, il n'y a pas de place pour des discussions sans un cessez-le-feu immédiat et sans conditions et une enquête internationale sur les massacres israéliens en cours», a-t-il dit
Les propos de Fouad Siniora intervenaient à quelques heures d’une visite à Beyrouth de la secrétaire d’Etat américaine, qui se trouvait en Israël pour examiner avec les responsables israéliens un cadre politique susceptible de mettre fin à la guerre. Mais visiblement, les Libanais lui ont indirectement signifié que sa venue n’est pas souhaitée si elle n’abouti pas à un cessez-le-feu. D’Israël, Condoleezza Rice a donc annoncé «le report de (ses) discussions à Beyrouth». Pour sa part, le Premier ministre israélien Ehud Olmert a déclaré que son armée avait prévenu les habitants de Cana d’évacuer le village avant son bombardement.
La rue gronde
Le massacre des civils de Cana a eu pour effet immédiat de ressouder les rangs des Libanais toutes communautés confondues. Même des hommes politiques critiques à l’égard du Hezbollah ont dénoncé avec vigueur «ce crime abominable contre l’humanité», et ont mis l’accent sur la nécessité de renforcer la solidarité nationale.
Mais ces appels n’ont pas réussi à calmer la population. Des centaines de personnes brandissant des portraits du chef du Hezbollah Hassan Nasrallah, du président de la République Emile Lahoud et des drapeaux libanais et d’autres formations politiques, ont commencé à se rassembler dès le matin sur la place Riad Solh, non loin de la Maison de l’Onu. Des groupes de manifestants venant des différents quartiers de la capitale sont venus grossir les rangs des protestataires. Petit à petit, la tension est montée et une foule en colère a pris d’assaut le siège de l’Escwa, la Commission économique et sociale de l’Onu pour l’Asie Occidentale. Des jeunes survoltés ont saccagé le rez-de-chaussée après avoir détruit des barrières de sécurité. Un incendie s’est déclaré au premier étage. Effrayés, une centaine d’employés de l’Onu, libanais, arabes et étrangers, se sont réfugiés au sous-sol. D’autres groupes de manifestants ont tenté de pénétrer dans l’enceinte du Grand Sérail, siège du Premier ministre. Des députés du Hezbollah et du mouvement Amal, dirigé par Nabih Berry, sont descendus sur le terrain pour calmer la foule et lui demander de ne pas s’en prendre au siège de l’Onu ou au Grand Sérail. Emile Lahoud a également lancé un appel similaire.
Dans un communique, le Hezbollah a déclaré que le «crime de Cana ne restera pas impuni». Plus tard. la chaîne de télévision du parti, al-Manar, a annoncé que de violents combats avaient éclaté entre des résistants et des soldats israéliens qui ont «infiltré» une zone proche de Taibeh, à trois kilomètres de la frontière dans le secteur oriental du Sud Liban. Selon al-Manar, les affrontements se déroulaient à Kfar Kila, près de la ville de Marjayoun, et ont fait plusieurs morts dans les rangs israéliens. La veille, Hassan Nasrallah avait promis de nouveaux tirs de roquettes contre des villes israéliennes en cas de poursuite de l'offensive militaire. «Il y a beaucoup de villes dans le centre d'Israël qui deviendront des cibles après Haïfa si l'agression barbare contre notre pays et notre peuple se poursuit», a prédit Nasrallah.
Dix-huit jours après le début de la guerre, la solution politique, que beaucoup espéraient proche, semble plus éloignée que jamais.
par Paul Khalifeh
Article publié le 30/07/2006Dernière mise à jour le 30/07/2006 à TU