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Trafic d'oeuvres d'art

L'Irak récupère quatre trésors volés

Une grande partie des oeuvres d'art et d'archéologie du musée national irakien de Bagdad ont été dispersées au cours des différents conflits armés. 

		(Photo : AFP)
Une grande partie des oeuvres d'art et d'archéologie du musée national irakien de Bagdad ont été dispersées au cours des différents conflits armés.
(Photo : AFP)
Trois tablettes d’argile et une statue reviennent dans le giron de l’Irak, autant dire une goutte d’eau si l’on considère l’immensité des pertes archéologiques du pays en guerre, en proie aux pillards et aux marchands d’art. Selon l’Unesco, un petit millier d’œuvres d’art d’une valeur inestimable ont été dérobées lors du saccage du musée archéologique de Bagdad, consécutif à l’invasion des troupes américaines en 2003. Des pertes qui se sont ajoutées aux quelque 4 000 objets disparus lors de la guerre du Golfe, en 1990.

C’est très officiellement que la statue d’Entenema (du nom du quatrième roi de la dynastie Lagash, 2 400 avant J.-C.) ainsi que quelques autres trésors archéologiques ont été remis au Premier ministre irakien, Nouri al-Maliki, en visite à Washington le 26 juillet. Le retour au berceau de la statue «d’une valeur inestimable» a fait l'objet d'une cérémonie à l’ambassade d’Irak à Washington à laquelle participaient le secrétaire à la Sécurité intérieure Michael Chertoff et l’ambassadeur américain en Irak, Zalmay Khalilzad. Le même jour, les Pays-Bas ont restitué à l’ambassadeur d’Irak aux Pays-Bas, Siamand Banaa, trois tablettes d’argile probablement volées au musée national irakien après la chute de Bagdad en avril 2003. Reconnaissant, Siamand Banaa a déclaré : «Symboliquement, c’est très important pour nous. C’est la première fois que des policiers restituent des objets pillés aux autorités irakiennes. (…) Retrouver des œuvres d’art volées n’est pas la priorité de la plupart des forces de police». La valeur exacte des tablettes, ne mesurant chacune pas plus de 10 centimètres, n’est pas connue mais l’authenticité de leur origine a été établie.

Destruction, vols, vente à des trafiquants internationaux : les œuvres d’art et d’archéologie du musée national de Bagdad qui faisaient partie du patrimoine de l’humanité ont été dispersées au cours des différents conflits armés. D’après le Courrier international, en 1998, un archéologue italien accusait des fonctionnaires de l’ONU de se livrer au trafic des antiquités. Il reprochait aussi à des soldats américains d’avoir fouillé dans les ziggourats mésopotamiennes pendant la guerre du Golfe. Secteur florissant, le trafic international des biens culturels porterait sur plus d’un milliard de dollars par an. A titre d’exemple, le Figaro rapportait en 2003, au moment de la chute de Bagdad, que : «Dix ans après la guerre du Golfe, l’ONU a aidé les autorités irakiennes à récupérer une palette cunéiforme, un alphabet gravé sur pierre qui datait de mille ans avant les pharaons égyptiens. Retiré précipitamment des enchères, cet objet avait été mis à prix 960 000 dollars».

Ce sont ainsi plusieurs milliers d’objets en provenance de dix mille sites archéologiques dont certains sont vieux de 7 000 ans et des pièces maîtresses en provenance du musée national qui ont été fragmentés pour devenir des pièces moins reconnaissables et donc plus faciles à vendre. D’après Jean-Louis Huot, professeur émérite d’archéologie orientale à l’université Paris-I, cité par la revue Histoire, «le meilleur du patrimoine archéologique de l’Irak se trouvait réuni au musée de Bagdad (…). Saddam Hussein avait une conception très centralisatrice du patrimoine national. Il voulait ‘tout en un’ afin d’accréditer l’idée que l’Irak, ‘l’Irak éternel’ ne formait qu’une seule nation depuis l’Antiquité».

Les Etats-Unis font un coup double

Dès 2003, le directeur général de l’Unesco, Koïchiro Matsuura, avait demandé aux autorités américaines et britanniques de «prendre immédiatement des mesures» pour préserver le patrimoine irakien considéré comme un des plus riches du monde. En restituant la statue d’Entenema, les Etats-Unis viennent d’effectuer un geste doublement symbolique. Le département d’Etat de Washington a déclaré que «les autorités américaines avaient été informées, fin 2005, par des indicateurs anonymes de l’endroit où elle pouvait être retrouvée ce qui avait permis de la récupérer, de la ramener aux Etats-Unis puis de l’authentifier le 5 juin dernier». Ainsi les Etats-Unis se trouvent à la fois disculpés des exactions -vol et recel- et honorés par cette restitution légitime.

De nombreux archéologues et historiens ont accusé les armées américano-britanniques de ne pas protéger le musée national irakien. Pire, plusieurs d’entre eux ont accusé Washington d’avoir violé les accords internationaux existant depuis la quatrième convention de 1907 de La Haye interdisant formellement les pillages. Volées, «les pièces ont d’abord été offertes principalement à des musées qui ont averti les autorités irakiennes. Maintenant, c’est différent et l’appétit pour des objets d’art irakien semble être surtout le fait de collectionneurs occidentaux privés», déplore Siamand Banaa. Jean-Louis Huot partage ce point de vue : «Les Etats-Unis ont adopté une réglementation qui autorise l’exportation des antiquités irakiennes sous prétexte de les protéger ! Et aucun texte international n’oblige à restituer les objets volés s’ils n’ont pas été identifiés par un musée ou une institution. Ce ne sont pas les grands musées, trop surveillés, qui les achètent, mais des collectionneurs privés, qui peuvent les cacher très longtemps.»

Témoins des anciennes cultures sumérienne, babylonienne et assyrienne, et des périodes classique et hellénistique, ces objets dispersés constituent un véritable patrimoine qui «est [aussi] celui de chacun d’entre nous. Il vient de la nuit des temps», insiste pour sa part John Russel, historien d’art américain et archéologue de l’université de Columbia et cette dispersion représente un véritable «un désastre culturel». Que représentent face à cette hémorragie une statuette et trois tablettes ? Où sont passées les autres ?



par Dominique  Raizon

Article publié le 31/07/2006Dernière mise à jour le 31/07/2006 à TU