Afghanistan
L’Otan relève les Américains au Sud
(Photo : Anne Le Troquet/RFI)
De notre envoyée spéciale à Kandahar
Un changement d’insigne sur l’uniforme, le rond vert frappé du sigle en blanc, Isaf (Force internationale d’assistance à la sécurité), à la place des écussons de leur compagnie, mais pas d’immenses convois de transports de troupes, pour une passation de pouvoir très simple à Kandahar, la grande ville du sud de l’Afghanistan. Pourtant l'Otan entame ce lundi une mission délicate en prenant le commandement des opérations militaires dans les six provinces méridionales à la place de la coalition «Liberté immuable» dirigée par les Etats-Unis. La plupart des soldats, environ 8 000 essentiellement canadiens, britanniques et néerlandais, sont déjà stationnés dans la région et se battent depuis le printemps contre la rébellion des talibans.
Une mission difficile et nouvelle
(Photo : Anne Le Troquet/RFI)
«C'est la mission la plus difficile que l'Otan a jamais entreprise depuis la guerre froide», affirmait jeudi Mark Laity, le porte-parole civil de l'Alliance en Afghanistan, ajoutant que «l’enjeu est important car c’est sa première opération terrestre d’envergure et surtout hors de la zone euro-atlantique». Jusqu’ici la coalition dirigée par l'Otan en Afghanistan depuis août 2003, l’Isaf avait en charge la capitale, l'Ouest et le Nord, les régions les moins touchées par la violence. Dans le Sud, elle va devoir faire face à des insurgés, plus nombreux et mieux organisés que ne l’avaient évalué les services de renseignements. Or l’Isaf n’a qu’une mission de maintien de la sécurité, alors que l’opération «Liberté immuable» n’a pas su remplir la sienne, la lutte antiterroriste.
Les effectifs de l’Otan seront presque doublés par rapport à ceux de la coalition. Le manque de troupes au sol est l’une des causes de la progression des rebelles, qui profitent aussi d'un terrain accidenté et de la faible présence des autorités afghanes. Mais certains experts militaires pensent que ces soldats ne seront tout de même pas en nombre suffisant. «L’Otan avait déployé 60 000 hommes en Bosnie pour assurer la paix après la guerre des Balkans», note Sean Kay, spécialiste américain de sécurité internationale. Le commandant en chef de l’Otan en Afghanistan, le général anglais David Richards, s’en défend en expliquant que le contingent n’est pas seul. Soldats et policiers afghans sont de plus en plus nombreux et mieux formés. Mais le Royaume-Uni vient de confirmer qu’il envoyait 900 hommes en renfort, les 3 300 actuellement sur place dans le Helmand étant apparemment débordés.
Si les militaires de la coalition «Liberté immuable» vont poursuivre leurs combats contre les talibans et al-Qaïda, surtout dans l’est du pays, l’ambition principale de l’Isaf est de s’en démarquer en assurant les conditions nécessaires pour reconstruire et asseoir le gouvernement à travers le pays. «C'est une illusion de penser que la solution en Afghanistan est militaire», déclarait la semaine dernière le secrétaire général de l'Otan, Jaap de Hoop Scheffer, lors d'une visite pour préparer ce déploiement. Mais les troupes pourraient fort bien passer plus de temps à se défendre qu'à aider. Les talibans ont profité des flottements que suscitent ces transferts de commandement pour se réinstaller et attaquer, parfois à plusieurs centaines, des convois militaires ou des villages.
Les talibans comptent aussi sur le scepticisme de l'opinion publique de certains pays vis-à-vis de la mission afghane (Canada, Pays-Bas, Italie…) pour essayer de pousser au retrait de certains contingents. Mais, selon Wadir Safai, professeur d’histoire militaire à l’université de Kaboul, l’extension du commandement de l’Otan pourrait faire du tort à la propagande des fidèles du mollah Omar qui martèlent que le pays a été envahi par les Etats-Unis.
Exaspérée par les violences, prise en tenailles entre la pression des talibans et les combats, la population espère que son quotidien va changer. 2 000 personnes ont été tuées depuis le début de l’année en Afghanistan, soit autant en six mois que toute l’année dernière. Il s’agit majoritairement de talibans présumés tombés lors d’affrontements, mais 72 soldats internationaux et 350 civils sont morts dans des attaques suicides ou des attentats. L’Alliance se donne trois à six mois pour évaluer sa nouvelle approche dans le sud afghan.
par Anne Le Troquer
Article publié le 31/07/2006Dernière mise à jour le 31/07/2006 à TU