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Afghanistan

Avec les talibans

Depuis quelques mois, les talibans se sont renforcés. Ils tiennent des districts entiers - dont celui de Ghazni - dans le sud et l’est du pays. 

		(Carte : RFI d'après Geoatlas)
Depuis quelques mois, les talibans se sont renforcés. Ils tiennent des districts entiers - dont celui de Ghazni - dans le sud et l’est du pays.
(Carte : RFI d'après Geoatlas)
Les talibans contrôlent désormais des districts entiers en Afghanistan. Quatre ans et demi après la chute de leur régime, ils se sont renforcés et lancent des offensives contre les forces de la coalition. Malgré de lourdes pertes, ils parviennent à déstabiliser les soldats étrangers, pourtant beaucoup mieux armés. Premier journaliste à avoir rencontré un groupe de combattants depuis la chute du régime taliban, fin 2001, Eric de Lavarène s’est rendu dans la province de Ghazni, à trois heures au sud de Kaboul. Il lui a fallu obtenir d’abord un accord de l’état-major taliban à Quetta et Peshawar, au Pakistan. Reportage inédit au cœur de la guérilla fondamentaliste.

De notre envoyé spécial

La voiture quitte Ghazni par une piste. Direction : l’Est vers la frontière pakistanaise, située à plusieurs heures de route. Après une trentaine de kilomètres, deux hommes sur une moto font irruption : « Suivez-nous, nous vous attendions ». AK47 en bandoulière, gilets de munitions, grenades à la taille, ils ont du khôl sur les yeux et des turbans noirs. Leurs visages sont à moitié cachés par de grands foulards. Les regards sont durs, acérés. Le véhicule bifurque pour emprunter une piste difficile et peine à suivre la petite moto qui file à travers les villages en terre. Soudain, un groupe de combattants le long de la route garde l’entrée d’un bourg. C’est le début de la zone talibane, qui échappe totalement aux autorités de Kaboul. Une région où les étrangers sont à la merci des extrémistes. Depuis quelques mois, les talibans se sont renforcés. Ils tiennent des districts entiers dans le sud et l’est du pays. Dans la clandestinité la plus absolue depuis la perte de leur pouvoir, fin 2001, ils sortent peu à peu de leur anonymat.

« Nous contrôlons le district depuis deux ans, mais nous sommes vraiment passés à l’attaque après les législatives (du 18 septembre 2005, ndlr) », affirme tranquillement l’homme aux yeux rouges. Il lisse sa longue barbe et parle lentement. Responsable de la province, comme une douzaine d’autres chefs talibans en Afghanistan, le mollah Najib a fait la guerre contre les Soviétiques avant de rejoindre les rebelles. Ses hommes, une trentaine de gardes du corps aguerris, lui font confiance. Lance-roquettes et mitrailleuses lourdes, ils tiennent la place. « Les forces de police et l’armée ne s’aventurent pas jusqu’ici. Les hommes ont peur, parce que notre guerre est une guerre sainte. Nous luttons contre les étrangers qui se sont installés dans notre pays. Et nous avons commencé à remporter des victoires et à causer des dégâts à nos ennemis. Tout le pays s’élèvera bientôt contre ces forces d’occupation », explique le mollah Najib. Derrière lui, les hommes s’impatientent un peu. La nuit tombe et, avec les hélicoptères de la coalition, il n’est jamais bon d’être ainsi regroupés. Depuis mai dernier, les forces internationales ont lancé une vaste offensive sur les zones contrôlées par les talibans. Plusieurs centaines d’entre eux ont été tués, mais la coalition rencontre une opposition inattendue. Pas un jour sans de lourds combats et, malgré un appui aérien permanent, de nombreux soldats sont morts. Fait nouveau : les talibans attaquent désormais les convois et les bases de la coalition.

« Nous avons des tas de candidats aux attentats suicide »

Un homme s’avance, le visage caché par un large foulard dans les tons bleus. Sous le commandement du mollah Najib, il est responsable d’un petit groupe de combattants. « Nous avons nos propres espions un peu partout dans le gouvernement. Ils nous donnent de précieuses informations. Nous avons également des espions chez les Américains. Notre priorité reste les troupes étrangères. Mais nous préférons pour l’instant éviter le plus possible d’engager le combat en face à face contre elles, alors nous posons des bombes. Nous avons commis quatre attentats-suicide ce mois-ci dans la province. Et nous avons des tas de candidats qui attendent juste qu’on les appelle », précise le mollah Muhammad Anas Sharif. Spécialiste des bombes à retardement, il a été entraîné par des experts d’Al-Qaïda, « des Arabes », dit-il, avant de former lui-même les candidats au suicide.

A 25 ans, ce jeune commandant ne se déplace pas sans ses pistolets, son fusil-mitrailleur et son garde du corps. Marié, père d’une petite fille, l’homme a commencé à combattre en 2001. Il explique : « A Ghazni, il y a trente groupes majeurs, qui comptent entre 20 et 50 combattants chacun. Le nombre exact de rebelles est tenu secret ». Nouvelle stratégie, les talibans donnent désormais de l’argent aux Afghans et les aident parfois dans leurs tâches quotidiennes, quand ils ne font pas directement partie du village. Aussi gagnent-ils du terrain dans toutes les provinces où l’Etat et les organisations internationales n’ont pas su s’imposer.

Ce soir, les talibans de Ghazni sont prêts à une nouvelle action. Une quarantaine d’entre eux repart par petits groupes sur leurs motos. On les voit disparaître dans les ruelles en terre d’un village dont nous tairons le nom. La pleine lune leur permettra de rejoindre rapidement le lieu de leur opération, sans utiliser leurs phares. Les nuits de pleine lune, les soldats de la coalition ne peuvent utiliser leurs lunettes de vision nocturne et limitent les patrouilles. Ce soir, comme depuis plusieurs mois déjà, l’Afghanistan s’enfoncera encore un peu plus dans le chaos.



par Eric  de Lavarène

Article publié le 23/07/2006Dernière mise à jour le 23/07/2006 à TU

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Reportage dans les zones tenues par les talibans

«Les Afghans nous supportent tous. Certains travaillent même le jour et combattent à nos côtés la nuit.»

[22/07/2006]

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