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Afghanistan

La stratégie de la terreur

La nouvelle de l'attentat a vite fait le tour de la ville, les badauds venaient par dizaines voir les lieux de l'explosion jeudi midi. 

		(Photo : Anne Letroquer/RFI)
La nouvelle de l'attentat a vite fait le tour de la ville, les badauds venaient par dizaines voir les lieux de l'explosion jeudi midi.
(Photo : Anne Letroquer/RFI)

L'Afghanistan a connu jeudi l'un des plus sanglants attentats depuis le début de l'année. L’attaque a eu lieu près de Kandahar. Le bilan s’élève à dix morts civils et 16 blessés. Les talibans ont revendiqué l'attentat et affirmé avoir sciemment visé des Afghans « travaillant pour les Américains ».


De notre envoyée spéciale à Kandahar

Ils étaient une quinzaine à se rendre sur la base aérienne de la coalition à Kandahar. Ils se sont arrêtés pour acheter de quoi manger pour la journée car le camp est isolé, à une demi-heure de route de la ville. La bombe, apparemment à l'intérieur du minibus, a explosé vers 8 heures du matin devant une boulangerie. Parmi les dix victimes, sept étaient employées comme traducteurs et chauffeurs pour les militaires.

« J'étais assis à mon bureau, l'explosion a été énorme et ma vitrine a explosé, j'ai des bris de glace dans le bras, explique Abdul Wakim, un tailleur installé en face du lieu où s'est produit l'attentat. Il y avait des corps ensanglantés partout. Pourquoi font-ils ça ? Je suis désespéré ! Comme moi, mes trois enfants n’ont pas d’avenir, ils ne vont plus à l ‘école. » Les talibans ont revendiqué ce nouvel attentat. « Quiconque travaille pour les Américains, où que ce soit en Afghanistan est une cible, il faut qu’ils arrêtent de travailler pour les Américains ou leurs amis », a revendiqué l'un des porte-parole présumé des talibans. Une réponse aussi à l'annonce par la coalition mercredi du lancement de l'opération « Assaut de la montagne », la plus importante offensive depuis fin 2001 contre les étudiants en religion toujours influents dans les quatre provinces les plus au sud de l’Afghanistan.

Difficile d'avouer qu'il a peur

Pour la coalition, visée indirectement par cette attaque, s'en prendre à ces personnes vulnérables peut se retourner contre les rebelles. « Les talibans sont incapables de nous battre sur le terrain, donc ils s'attaquent à des professeurs, des médecins, des gens qui travaillent pour le gouvernement, pour la coalition, explique le major canadien Quentin Innis, porte-parole de la brigade multinationale à Kandahar. Mais nous savons que les Kandaharis en ont marre, raison de plus pour les défaire, ensuite nous pourrons apporter de l'aide à la population. » Selon les forces canadiennes, à chaque fois que les insurgés s’en prennent à des civils, la population coopère davantage.

Reste que les Afghans travaillant pour les étrangers commencent à se poser des questions. Omar, par exemple, n’a pas l’intention d'abandonner son travail de maçon chez un sous-traitant des Américains : « Il y a encore beaucoup de blocs à construire dans le camp militaire, sourit-il. Et puis, pour tout le monde, c'est dangereux, pour les gens du gouvernement, ceux qui travaillent avec la coalition. Il y a eu malheureusement des explosions aujourd'hui, hier et avant, tous les jours ou presque. » Difficile d'avouer qu'il a peur dans un pays où il ne faut jamais perdre la face. Il a aussi quinze bouches à nourrir avec son salaire cinq fois plus élevé que celui d'un professeur ou un médecin.

« Il ne faut pas bosser avec les étrangers »

Pourtant trois autres Afghans, deux employés d’une entreprise de construction routière turque et un démineur de l’Onu, sont aussi morts aujourd’hui dans l’explosion de deux bombes télécommandées dans la province de Nimroz au sud-ouest du pays. Depuis le début de l’année, pas moins d’une vingtaine d’Afghans travaillant pour des ONG ou à la reconstruction de leur pays au sein d’entreprises étrangères ont été assassinés, et pas uniquement dans les provinces problématiques du sud. À Kaboul, pendant les émeutes du 29 mai, de nombreux Afghans travaillant avec des expatriés, ont délaissé leurs vêtements occidentaux pour revêtir le « shawar kamiz », pantalon bouffant et longue chemise traditionnels.

« Nos employés locaux ont demandé à être évacués avec nous en cas d’aggravation de la situation », confirme Jean Mazurelle, directeur de la Banque mondiale en Afghanistan. « Des adolescents m’ont dit ‘combien ils te paient, on va te donner plus, il ne faut pas bosser avec les étrangers’, raconte une jeune journaliste afghane travaillant comme interprète. Ils occupent tous les esprits, même à Kaboul. » Les offres de travail proposées par les étrangers ou les contrats de sous-traitance sur des chantiers de reconstruction trouvent encore preneurs dans un pays où la grande majorité de la population n’a pas d’emploi. Mais cette tactique consistant à s’attaquer à la population locale collaborant avec des militaires ou des civils étrangers ne s’était encore jamais vue jusqu’ici en Afghanistan, contrairement à l’Irak.

par Anne  Le Troquer

Article publié le 15/06/2006Dernière mise à jour le 15/06/2006 à TU