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Russie

Le géant Ioukos en liquidation judiciaire

«&nbsp;<em>C'est la peine de mort pour la compagnie (...)&nbsp;Il n'y a aucun doute que tous les actifs seront vendus&nbsp;»</em>, a déclaré l'une des avocates de Ioukos.  

		(Photo : AFP)
« C'est la peine de mort pour la compagnie (...) Il n'y a aucun doute que tous les actifs seront vendus », a déclaré l'une des avocates de Ioukos.
(Photo : AFP)
La justice russe a mis fin à la procédure contre Ioukos : elle a décidé, mardi 1er août, de prononcer la liquidation judiciaire de l’ancienne compagnie d’hydrocarbures, la plus importante société privée créée en Russie dans les années 90. Un an après la condamnation du dirigeant de l’entreprise, Mikhaïl Khodorkovski, pour fraude fiscale, le Kremlin réussit à remettre la main sur ce secteur stratégique.

La sentence est tombée : Ioukos sera démantelée. La compagnie pétrolière et gazière, qui était la plus grande compagnie privée d’hydrocarbures du pays, était poursuivie depuis 2003 par la justice russe pour fraude fiscale. Sur décision du tribunal d’arbitrage de Moscou, elle devra vendre ses derniers actifs pour combler ses dettes.

Le juge Pavel Markov a considéré que les sommes demandées par les créanciers, 17,5 milliards de dollars, étaient trop importantes par rapport aux actifs de Ioukos, estimés par l’administrateur judiciaire à 16,7 milliards de dollars. Il a jugé que le plan de redressement proposé par l’entreprise était donc irrecevable.     

Cette décision, de laquelle la direction de Ioukos pourrait faire appel, clôt un feuilleton politico-judiciaire qui oppose depuis trois ans le Kremlin et la compagnie Ioukos. L’objectif inavoué était de faire chuter son ancien dirigeant, l’homme d’affaires Khodorkovski et de ramener les actifs stratégiques de la compagnie dans le giron de l’Etat. Ce double objectif semble aujourd’hui atteint, car Mikhaïl Khodorkovski purge depuis 2005 une peine de neuf ans de prison en Sibérie et les infrastructures de Ioukos seront très certainement récupérées par les deux sociétés d’Etat.

Les sociétés publiques d’hydrocarbures Rosneft et Gazprom sont en effet les principales bénéficiaires de cette décision. Rosneft, la plus petite des deux, est, avec le fisc, un des deux créanciers de Ioukos. La compagnie a déjà récupéré fin 2004 la majorité du contrôle de la principale filiale de Ioukos, Iouganskneftegaz, lors d’enchères controversées. Une acquisition qui lui a permis de décupler sa valeur, estimée à présent entre 60 et 80 milliards de dollars.

Grâce à cette décision de liquidation, Rosneft devrait récupérer le reste de la filiale, évalué à 10 milliards de dollars. Elle pourrait également acquérir les infrastructures de raffinage de Ioukos, qui lui font défaut, pour un montant de 4 milliards de dollars. «L’Etat et Rosneft mettront ainsi la main sur la majorité de Ioukos», estime Roman Elaguine, analyste chez Renaissance Capital cité par La Tribune.

«Gazprom, pour sa part, récupérera vraisemblablement la part de 20% dans sa division pétrole Gazprom Neft que Ioukos détient toujours», ajoute l'analyste. Une part dont la valeur de marché est de 4,3 milliards de dollars mais sur laquelle Gazprom tente de négocier un rabais très important. Cette dernière entreprise, détenue depuis cette année à 51% par l’Etat, peut se réjouir de la disparition de Ioukos. Productrice de 93% du gaz russe et de 16% des réserves mondiales, elle voit ainsi disparaître son principal concurrent.

Un avertissement lancé aux oligarques

L’ancien magnat Mikhaïl Khodorkovski avait pourtant cru son heure arrivée lorsque, à la tête de sa banque Menatep, il s’était offert, en 1995, 75% des parts de Ioukos pour 309 millions de dollars avant d'acheter 90% de la compagnie, pour 160 millions de plus. En 2003, la société privée, réputée pour sa transparence et sa rentabilité, était au sommet de sa puissance. Elle était alors valorisée à 38 milliards de dollars. Mais son désir d’indépendance a fini par agacer visiblement Vladimir Poutine. Le secteur de l'énergie est considéré comme stratégique par le Kremlin.

Mikhaïl Khodorkovski préparait un projet de fusion avec le pétrolier Sibneft pour former la quatrième compagnie pétrolière du monde. Il s'était aussi engagé dans un partenariat avec l’américain Exxon Mobil en prévoyant de lui vendre 40% de son capital pour 25 milliards de dollars. La réaction a été prompte, pour «remettre dans le rang» l’homme d’affaires adepte d’une économie ultra-libérale.

Mikhaïl Khodorkovski a été arrêté et inculpé en octobre 2003, pour «vol par escroquerie» et «évasion fiscale». La fraude en question est peut-être avérée, mais l’attaque est clairement orientée. Mikhaïl Khodorkovski n’est pas le seul chef d’entreprise russe à s’être si rapidement enrichi sur les restes de l’empire soviétique. Et les sommes colossales qui lui étaient alors réclamées, à savoir 26 milliards de dettes fiscales, indiquent bien que l’objectif poursuivi était de mettre à bas la compagnie Ioukos.

Cet épisode Ioukos constitue un avertissement de Vladimir Poutine lancé aux autres oligarques apparus depuis une dizaine d’années à la tête d’anciennes entreprises publiques et qui se voudraient un peu trop indépendants.



par Sébastien  Farcis

Article publié le 01/08/2006Dernière mise à jour le 01/08/2006 à TU