Russie
Ioukos démantelé, comme prévu
(Photo : AFP)
De notre correspondant à Moscou.
La question de savoir qui se cache derrière Baïkalfinansgroup agite ce matin la presse et les experts financiers est celle de savoir qui se cache derrière Baïkalfinansgroup. Il n’y a pas réponse, simplement des hypothèses. Selon le scénario imaginé par le Kremlin, Iouganskneftgaz, le fleuron de Ioukos qui extrait plus de 60% du pétrole produit par le groupe semblait promis à Gazprom : depuis déjà plusieurs mois, tout avait été planifié minutieusement, notamment en fusionnant le géant gazier russe contrôlé par l’Etat avec une société pétrolière Rosneft, peu active mais qui a l’avantage d’être également détenue par l’Etat.
L’initiative a été perçue comme la volonté politique du Kremlin de diversifier l’activité de Gazprom en lui faisant prendre pied dans le secteur pétrolier et de ne plus se contenter d’être le géant gazier, 1er groupe producteur au monde, exportant vers l’Europe occidentale. Or, à la surprise générale, les représentants de Gazprom n’ont pas surenchéri hier après-midi lors d’une vente qui n’a duré que 6 minutes au total. Adjugé donc à Baïkalfinansgroup pour 9,37 milliards de dollars alors que selon les estimations les plus fiables, Iouganskneftgaz en vaut plus du double. On n’imagine mal que le Kremlin ait fait ce cadeau en or noir à des inconnus. Lundi matin, tout le monde à Moscou, la presse comme les experts, estime que Baïkalfinansgroup est une société écran créée spécialement pour protéger les intérêts de Gazprom et du Kremlin.
Nécessité d’une société écran
Pourquoi Gazprom n’a-t-il pas surenchéri ? Parce que le scénario qui avait été écrit a du être remanié à la dernière minute, après la décision d’un tribunal de Houston au Texas, lequel a accepté de faire bénéficier Ioukos de la loi américaine sur les faillites et demandé que la Russie surseoit aux enchères. Le Fonds national des biens d’Etats, chargé d’organiser la vente de Iouganskneftgaz a refusé de se soumettre à ce jugement. Le ministre russe des Affaires étrangères, Sergueï Lavrov a fait sèchement répliqué vendredi que seule la loi russe pouvait s’appliquer dans cette affaire. Sauf que Gazprom s’exposait à des sanctions si d’aventure le groupe gazier s’emparait de Iouganskneftgaz. Les actionnaires de Ioukos sont déterminés à poursuivre quiconque participerait de près ou de loin à ce qu’ils considèrent comme une spoliation pure et simple.
On peut imaginer que les dirigeants de Gazprom et le Kremlin ont estimé que le risque était trop grand d’entrer dans une bataille judiciaire aux Etats-Unis ou en Europe, alors que les Européens sont les 1ers clients de Gazprom. Et d’ailleurs le consortium de banques occidentales, qui devait octroyer un prêt de 10 milliards d’euros au groupe gazier russe pour acheter Iouganskneftgaz, a préféré renoncer ou différer l’octroi de ce prêt pour ne pas s’exposer à des poursuites aux Etats-Unis. Pour autant, si le scénario a été remanié, on imagine mal que l’on ait changé la fin de l’histoire : au bout du compte, Iouganskneftgaz devrait tôt ou tard tomber aux mains de Gazprom. De quelle manière ? C’est la question ce matin et elle va probablement agiter les experts pétroliers dans les jours à venir.
Les scénarios
L’heureux élu, Baïkalfinansgroup dispose maintenant de 14 jours pour acquitter sa dette : 9,37 milliards de dollars dont il faut soustraire 1,7 milliards versé comme caution pour participer aux enchères. On devait alors savoir d’où proviennent les fonds et ce qui se cache derrière cette mystérieuse société. A moins que Baïkalfinansgroup ne soit pas en mesure de payer cette somme, auquel cas, l’Etat devient de fait le détenteur de ces actions puisque l’objectif officiel est de rembourser la dette fiscale de Ioukos qui s’élève à 27 milliards de dollars. Quoi qu’il en soit, la vente de Iouganskneftgaz ne soldera pas cette dette. L’Etat pourrait alors organiser une nouvelle vente aux enchères espérant d’ici là que la justice américaine aura statué sur le fond.
Dans tous les cas de figures, ce montage a été réalisé à la dernière minute après le jugement surprise du tribunal de Houston au Texas. Tout n’est certainement pas coulé dans le bronze. Parmi les hypothèses évoquées lundi matin par la presse, le Kremlin a peut-être fait appel à certains oligarques, peut-être Roman Abramovitch, principal actionnaire de Sibneft, un autre groupe pétrolier qui devait s’allier avec Ioukos. La fusion était déjà effective avant le début de l’offensive fiscale et judiciaire lancée contre le 1er groupe pétrolier russe. Selon le quotidien en langue anglaise Moscow Times, Roman Abramovitch pourrait faciliter la vente de Iouganskneftgaz à Gazprom et céder dans la foulée tout ou partie de son groupe Sibneft afin de pouvoir se désengager des affaires en Russie et ne pas subir le même sort que l’ex-patron de Ioukos, Mikhaïl Khodorkovski, emprisonné depuis octobre 2003.
par Jean-Frédéric Saumont
Article publié le 20/12/2004 Dernière mise à jour le 20/12/2004 à 13:22 TU