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Russie

Bras de fer avec Washington sur Ioukos

Ce sont les principaux actionnaires de Ioukos qui ont décidé de saisir la justice américaine. 

		(Photo : AFP)
Ce sont les principaux actionnaires de Ioukos qui ont décidé de saisir la justice américaine.
(Photo : AFP)
La Russie entend ignorer une décision de la justice américaine suspendant la vente des principaux actifs de Ioukos et dénonce l’ingérence étrangère dans une affaire russe.

De notre correspondant à Moscou

C’est le ministre des Affaires étrangères, Sergueï Lavrov qui a lui-même commenté la décision du tribunal de Houston au Texas preuve que cette intervention surprise de la justice américaine est perçue par la Russie comme une forme d’ingérence extérieure : « l’affaire sera réglée sur la base des lois russes », a déclaré Sergueï Lavrov.

Ce commentaire cache mal l’exaspération de Moscou, d’autant que ce rebondissement qui voit l’entrée en action des États-Unis intervient dans un contexte particulier : car le relations entre Moscou  et Washington sont dans une phase délicate pour ne pas dire davantage sur fond d’affaire ukrainienne, la Russie accusant les Américains et les Européens d’intervenir en Ukraine en faveur de Viktor Iouchtchenko. Vrai ou faux, c’est un autre débat. Sauf que cette fois, il n’est pas possible de mettre en  cause qui que ce soit. Ce sont les principaux actionnaires de Ioukos qui ont décidé de saisir la justice américaine et de demander que lui soit appliqué la loi sur les faillites. C’était très habile et les autorités russes ne s’attendaient pas à l’évidence à ce coup de théâtre qui risque de freiner la vente de Iouganskneftgas, prévue initialement pour ce dimanche.

La prudence des banques internationales

Officiellement, rien ne va changer au calendrier prévu : c’est en tout cas ce que dit le Fonds des Biens d’État chargé de l’organisation  de la vente aux enchères. Sauf que le scénario qui était déjà écrit ne pourra sans doute pas se jouer dans les mêmes termes. Cette vente aux enchères n’est en effet qu’un habillage pour légitimer la cession d’une partie des actifs de Ioukos au profit de Gazprom, le géant gazier russe dans lequel l’état à une participation majoritaire. Pour pouvoir acheter Iouganskneftgas, Gazprom doit emprunter la coquette somme de 10 milliards d’euros. Un consortium européen dirigé par la Deutschebank était disposé à octroyer ce  prêt. On trouve entre autres parmi ces banques BNP-Paribas.

Déjà, cette semaine, la holding Menatep qui rassemble les principaux actionnaires de Ioukos avait mis en garde ces banques en publiant dans le quotidien russe en langue anglaise Moscow Times et dans le quotidien britannique Financial Times une pleine page : en octroyant un prêt à Gazprom pour acheter Iouganskneftgas, vous participeriez à un processus de spoliation et vous vous exposeriez à des poursuites de notre part devant les tribunaux européens ou américains. Ces banques n’avaient pas réagi mais la décision du tribunal de Houston risque de les faire réfléchir. Prendront-elles le risque de ne pas respecter la décision d’un tribunal américain ce qui les exposeraient à d’éventuelles représailles ? C’est peu probable. Sans doute préfèreront-elles  attendre quelques jours avant accorder ce prêt à Gazprom.

On ne trouve pas 10 milliards d’euros en 48 heures. C’est même totalement impossible. L’alternative évoquée ce vendredi à Moscou par la presse russe serait que la BCR, Banque centrale russe octroie ce crédit. Mais là encore, il y a une difficulté juridique. Selon les règles en vigueur, la BCR ne peut pas prêter une telle somme et encore moins privilégier Gazprom au détriment d’autres acheteurs éventuels. Moscou pourrait décider malgré tout d’autoriser la Banque centrale à prêter cet argent mais se mettrait du coup en position de faiblesse : d’une certaine manière, ce serait reconnaître que l’état russe participe directement à ce processus et non plus  en coulisses et que l’objectif est bien de re-nationaliser Ioukos. et pourquoi pas d’autres groupes pétroliers.

Premier scénario possible : un report de la vente aux enchères de Iouganskneftgas à une date ultérieure,  à la fois pour se conformer à la décision du tribunal de Houston Mais aussi pour que Gazprom sécurise  le financement de cette opération de rachat.  Autre scénario : la vente aux enchère a malgré tout lieu ce dimanche ; c’est pour le moment la position officielle afin de ne pas sembler se soumettre à  la justice américaine. Mais faute de financement, Gazprom ne pourrait pas se porter acquéreur et auquel cas,  un nouvel appel d’offres aurait lieu à une date ultérieure. On imagine que tous ces scénarios et peut-être d’autres sont examinés en ce moment par le autorités russes alors qu’un compte à rebours a commencé puisqu’il reste moins de 48 heures.



par Jean-Frédéric  Saumont

Article publié le 17/12/2004 Dernière mise à jour le 17/12/2004 à 16:14 TU