Russie
Ioukos : l’Etat sur le point de donner le coup de grâce
(Photo : AFP)
Le compte à rebours a commencé. Si d’ici le 8 juillet, le groupe pétrolier russe Ioukos ne règle pas la somme de 3,4 milliards de dollars d’arriérés d’impôts réclamés par le fisc, qui l’accuse de fraude fiscale sur l’année 2000, la saisie des actifs de la société pourra être autorisée. Trente jours plus tard, en l’absence de paiement et si aucun accord n’est conclu, l’Etat pourra demander la liquidation pure et simple de la société. Ou profiter de l’aubaine pour s’emparer, en guise de remboursement, de plus de 40 % des actions qui appartiennent à Mikhaïl Khodorkovski et ses proches réunis dans le holding Menatep. L’hypothèse d’une mise en faillite de Ioukos ayant été exclue par le président russe Valdimir Poutine, l’option d’une entrée de l’Etat au capital du géant pétrolier privé pourrait alors être envisageable.
Depuis une semaine, la procédure judiciaire engagée il y a un an contre Ioukos pour escroquerie et évasion fiscale, s’est en effet accélérée. Le 29 juin, la cour de Moscou a autorisé le recouvrement des sommes réclamées par le fisc. Le 2 juillet, la justice a confirmé le gel des actifs prononcé en avril et celui des comptes bancaires. Le 3 juillet, une perquisition de grande ampleur a été réalisée au siège de Ioukos, à Moscou, où ont été saisis de nombreux documents et fichiers informatiques. L’étau se resserre donc inexorablement autour du groupe pétrolier russe qui n’a quasiment plus de marge de manœuvre puisque le gel de ses actifs le prive de toute possibilité d’en vendre une partie pour honorer ses dettes.
La situation déjà critique pourrait rapidement s’aggraver encore car le fisc devrait faire valoir une deuxième requête pour obtenir le règlement de 3,4 milliards de dollars supplémentaires d’impôts impayés pour l’année 2001. Et qui sait peut-être aussi pour les années suivantes. Aux dettes fiscales s’ajoute encore une créance d’un milliard de dollars auprès d’un pool de banques occidentales. Pour faire face, la société ne dispose actuellement que d’environ un milliard de dollars de liquidités.
Une mise en garde pour les oligarquesLes responsables de Ioukos, au premier rang desquels son nouveau dirigeant et ancien président de la banque centrale russe, Viktor Guerachtchenko, ont eu beau faire valoir que les mesures prises contre la société l’empêchaient de trouver une solution et la poussaient vers la faillite, les autorités sont restées sourdes aux propositions de compromis. Les dirigeants de Ioukos ont ainsi suggéré de mettre en garantie du remboursement de la dette fiscale, la part détenue par leur société (35 %) dans le groupe pétrolier Sibneft. Mais cette requête a été refusée.
L’ultimatum qui vient d’être lancé à Ioukos représente le dernier épisode d’un feuilleton économico-politico-judiciaire engagé en juillet 2003 avec l’arrestation de Platon Lebedev, proche de Khodorkovski et gros actionnaire de Ioukos, accusé d’avoir détourné des actions lors de la privatisation de la société en 1994. Cette première incarcération avait été suivie, dès octobre 2003, par celle de Khodorkovski lui-même, inculpé d’escroquerie et d’évasion fiscale à grande échelle. Une arrestation qui avait provoqué un véritable choc dans le monde des affaires russe. Pour de nombreux observateurs, le président de Ioukos a fait les frais de sa trop grande puissance et de ses ambitions politiques peu appréciées par le Kremlin. Khodorkovski est, en effet, l’un des hommes les plus riches de Russie et possède à lui seul 32 % des actions de Ioukos, via le holding Menatep. Le procès de ces deux hommes a été ouvert au mois de juin et doit se poursuivre à partir du 12 juillet.
L’offensive menée par l’Etat russe contre Ioukos, le premier groupe pétrolier du pays qui représente un cinquième de la production nationale et emploie 175 000 personnes, fait office de mise en garde. Valdimir Poutine a, en effet, largement utilisé les poursuites engagées contre les dirigeants de cette société pour ramener les autres «oligarques» russes a de meilleurs sentiments. La menace de lancer de nouveaux «raids fiscaux» contre des patrons, avec des incarcérations à la clef, a exercé un effet dissuasif auprès de ceux qui envisageaient d’opposer une résistance aux règles du jeu fixées par Poutine. D’autant que le président russe bénéficie de la bienveillance, ou tout au moins de l’indifférence, d’une population exclue des profits réalisés par ces sociétés, créées durant la vague de privatisations du début des années 90 dans des conditions extrêmement douteuses.
par Valérie Gas
Article publié le 05/07/2004 Dernière mise à jour le 05/07/2004 à 15:05 TU