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Guyane

Une mine d’or dans un parc naturel protégé ?

En voie de disparition, les caïmans noirs de la  réserve naturelle des marais de Kaw-Roura pourraient être menacés par l' industrie aurifère. 

		(Photo : <a href="http://www.ecologie.gouv.fr/IMG/pdf/Reserve_Marais_Kaw_Roura.pdf">http://www.ecologie.gouv.fr/IMG/pdf/Reserve_Marais_Kaw_Roura.pdf</a>)
En voie de disparition, les caïmans noirs de la réserve naturelle des marais de Kaw-Roura pourraient être menacés par l' industrie aurifère.
(Photo : http://www.ecologie.gouv.fr/IMG/pdf/Reserve_Marais_Kaw_Roura.pdf)
La Guyane redoute les effets sur l’environnement et sur la santé publique d’une mine à ciel ouvert du Canadien Cambior qui projette d’extraire l’or primaire par broyage du minerai et cyanuration. La concession de 30 kilomètres carrés accordée par l’Etat fin 2004, occupe 0,5% du Parc naturel régional. Elle jouxte une zone humide d'importance internationale ainsi qu’une réserve où vivent des caïmans noirs. Le télescopage annoncé entre ce projet aurifère et l’ouverture, en septembre, de l’enquête publique pour la création du Parc national, contrarie le ministère français de l’Ecologie.

De notre correspondant en Guyane

«Ce n’est pas le meilleur endroit pour une mine», admet l’un des deux inspecteurs dépêchés fin juillet dernier en Guyane, à la fois par le ministère français de l’Ecologie et par celui de l’Industrie. Mais «Est-ce une raison pour ne pas la faire ? Il y a de l’or», et beaucoup, rectifie-t-il aussitôt. Au total, il y aurait en effet 34 tonnes en réserve dans le gisement aurifère selon l’entreprise canadienne Cambior.

La concession se trouve à Roura, à 50 kilomètres à l’est de Cayenne, au pied des montagnes de Kaw, près de marais qui abritent des caïmans noirs, une espèce menacée. La concession de CBJ Caïman (filiale de Cambior) occupe 8% d’une zone d’intérêt majeur pour la faune et la flore. Or, jamais auparavant une concession minière (ou tout autre permis d’exploitation d’or) n’avait été octroyée en Guyane dans ce type de zone protégée.

Projet de concession minière dans la zone naturelle d'interêt écologique pour la faune et la flore de la réserve naturelle des marais de Kaw-Roura en Guyane. &#13;&#10;&#13;&#10;&#9;&#9;(Carte : H.Maurel/RFI)
Projet de concession minière dans la zone naturelle d'interêt écologique pour la faune et la flore de la réserve naturelle des marais de Kaw-Roura en Guyane.
(Carte : H.Maurel/RFI)

Seul le patronat est d’accord

La mission d’inspection a été décidée en mai à Paris en raison d’une opposition croissante au projet. Celle-ci s’est concrétisée par des réserves émises lors des enquêtes publiques qui ont accompagné les différentes requêtes de l’industriel : ouverture de travaux miniers, demande d’exploiter des installations classées pour la protection de l’environnement et permis de construire. Tout au long de ces consultations, terminées le 12 mai dernier, seul le patronat de Guyane a apporté son soutien au projet.

A plus de 16 400 euros le kilo d’or au cours actuel, le montant de la taxe reste modeste : 56,25 euros par kilo, dont 46,90 vont à la commune, le reste au département. Le 7 juin, la municipalité de Roura, dont la majorité politique est à droite, a voté contre l’implantation de cette mine d’or sur son territoire, faisant valoir ses craintes face aux «conséquences environnementales et [à] l‘absence de retombées économiques». Le 26 juin, la gauche s’est à son tour organisée dans un collectif baptisé Non au projet Cambior à Kaw. Ce dernier regroupe à ce jour 24 organisations rassemblant la gauche locale, les Verts, des associations écologistes et un syndicat.

De son côté, le 21 juillet, le conseil régional a repoussé la demande de la Fedom-G (groupe d’opérateurs miniers, dont fait partie CBJ Caïman) qui proposait d’indexer sur le cours de l’or la taxe sur le carburant pour les engins mobiles. La région a, le même jour, voté à l’unanimité une motion contre le projet Cambior, y compris les conseillers UMP présents, alors que les ministres de l’Outre-mer et du Tourisme, François Baroin et le Guyanais Léon Bertrand, se sont déclarés favorables au projet de mine d’or.

Risque de pollution au cyanure

«On ne peut pas prendre le risque que les rejets de l’usine finissent dans les marais de Kaw, ni qu’une pollution au cyanure atteigne la prise d’eau potable qui alimente Cayenne sur la rivière Comté», martèle Robert Cibrelus, le conseiller régional socialiste chargé des affaires minières. Des scénarios réfutés par CBJ Caïman qui affirme que «deux études topographiques au laser et une marche d’un de nos géologues démontrent que la crique où se jette l’effluent final du site n’aboutit pas aux marais de Kaw».

«Concernant les cyanures, un procédé les réduira à 1mg/l à la sortie de l’usine et plusieurs boucles de réutilisation de l’eau pour broyer le minerai, garantissent de façon quasi-absolue un effluent final aux normes, sous les 0,1 mg/l, à la sortie du parc à résidus. Et cet effluent sera dilué 1 000 fois avant son arrivée dans la Comté à 22 kilomètres », assure Denis Hamel directeur de l’usine.

Début 2005, il était prévu que l’usine consomme chaque jour 6 720 mètres cubes d’eau et 3,1 tonnes de cyanure. «Sous la pression de la Direction régionale de l’Industrie (Drire), nous avons ajouté un second épaississeur pour récupérer du cyanure, une station d’épuration des résidus qui seront en plus stockés dans une aire réduite. Et nous avons opté pour des circuits de réutilisation de l’eau qui atténuent notre consommation quotidienne d’eau à 2 254 m³ et de cyanure à 1,6 tonne», indique Jean-François Doyon, directeur environnement de CBJ Caïman.

Traitant 5 500 tonnes de minerai par jour, l’usine devrait produire 3,9 tonnes d’or par an durant au moins 7 ans. A la demande du ministère de l’Ecologie, le projet est gelé «administrativement» jusqu’au rapport des inspecteurs. Or, en coulisses, il avance. Fin juillet, l’industriel a reçu un projet d’arrêté préfectoral autorisant l’ouverture des travaux miniers. «L’obtention du permis de construire sera une formalité», estime, par ailleurs, M. Hamel, «car il dépend du code de l’urbanisme et non de celui de l’environnement».

Impact du bruit sur la faune

Seul le permis ICPE (installations classées pour la protection de l'environnement) semble poser problème. Il a reçu un avis défavorable du commissaire-enquêteur et de la Direction régionale de l’environnement (Diren) laquelle pointe, entre autres, l’absence d’étude d’impact du bruit sur la faune, des insuffisances concernant la remise en état du site et ne partage pas l’analyse de l’industriel sur le suivi des eaux superficielles. «On va se remettre autour d’une table avec la Drire et la Diren, tout sera OK avant d’exploiter», assure M. Hamel.

Un appel à une grève générale mi-septembre contre le projet est envisagé en Guyane. Au grand dam du ministère de l’Ecologie qui a demandé aux inspecteurs censés se prononcer sur le respect de la réglementation par Cambior «de décaler à la fin septembre la remise de leur rapport pour ne pas torpiller la création du Parc national». Ce dernier sera l’objet d’une enquête publique qui doit commencer début septembre.

Prévu dans le Sud, après 14 ans de gestation, le dénommé Parc amazonien de Guyane a été accepté du bout des lèvres par les élus de 4 communes sur les 5 concernées par son implantation. Aujourd’hui, ce projet télescope «un projet Cambior devenu plus politique que technique. Des élus guyanais l’ont qualifié de projet néo-colonial parisien devant les inspecteurs », indique même une source au ministère de l’Industrie. Cambior, qui avance avoir déjà investi plus de 35 millions d’euros, espère obtenir ses derniers permis avant 2007 et construire les installations minières dans la foulée.



par Frédéric  Farine

Article publié le 11/08/2006Dernière mise à jour le 11/08/2006 à TU