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Cuba

La succession énigmatique

Raul (à g.) et Fidel Castro, lors d’une manifestation sur la place de la Révolution, en 1996. 

		(Photo: José Goitia)
Raul (à g.) et Fidel Castro, lors d’une manifestation sur la place de la Révolution, en 1996.
(Photo: José Goitia)

Alors que les Cubains fêtent son 80e anniversaire, les premières photos de Fidel Castro depuis son opération sont parues ce dimanche à la une de l'édition électronique du quotidien gouvernemental Juventud Rebelde. Il se rétablit de son opération, selon les communiqués officiels. Mais après deux semaines de convalescence, la population s’interroge sur la passation du pouvoir.


De notre correspondante à La Havane

« Raul se tient fermement à la barre de la nation » : c’est par ces quelques mots que concluait l’article de une de Granma, le quotidien du parti communiste, porte-parole des autorités, quatre jours après la passation de pouvoir entre Fidel Castro et son frère cadet.

Une petite phrase qui ne faisait que confirmer la première esquisse de succession provisoire, dessinée dans le communiqué signé de Fidel Castro, le 31 juillet au soir : le «Lider maximo» y annonçait la délégation provisoire de ses pouvoirs à son frère, secondé par un comité de six hauts responsables cubains.

Cette affirmation du rôle de Raul Castro à la tête de l’Etat répondait alors directement aux déclarations répétées de George Bush et de Condoleezza Rice, évoquant le soutien américain à de possibles changements dans l’île. Mais il s’agissait aussi d’une réponse indirecte à la population cubaine et à ses interrogations. Car même si les médias nationaux, qui appartiennent tous à l’Etat, ne reflètent nulle part cette attente, nombreux sont les Cubains qui en privé se demandent pourquoi le nouvel homme fort du gouvernement n’a fait aucune déclaration publique depuis la passation de pouvoir.

« Raul n’est pas une vedette » 

« Une chose m’intrigue : pourquoi Raul Castro n’est-il toujours pas apparu ? », se demande ainsi un jeune étudiant, perplexe après douze jours de ce silence inattendu. Officiellement, le message des autorités est celui de la « normalité », un mot qui revient souvent dans les médias nationaux. « Pourquoi Raul devrait-il apparaître en public ?, s’est étonné le président de l’Assemblée populaire, Ricardo Alarcón. Il n’est pas une vedette, c’est juste celui qui, selon la Constitution, doit remplacer son frère en cas d’absence temporaire : et c’est ce qu’il fait ».

Il est vrai que selon l’article 94 de la Constitution, Raul Castro, vice-président du Conseil d’Etat, est désigné pour ce rôle. Mais c’est faire peu de cas du contexte exceptionnel de cette situation : c’est, en effet, la première fois depuis le début de la révolution en 1959 que Fidel Castro délègue ses fonctions, même provisoirement. Et plus de 70% des Cubains, nés après 1959, n’ont tout simplement jamais connu d’autre dirigeant à la tête du pays.

Plus pragmatique que son frère

Entre proches, en privé, quelques personnes contestent la succession silencieuse qui se joue en ce moment : « Pourquoi est-ce que ça devrait être Raul ? Est-ce que l’on me demande mon avis ? Est-ce que des élections ont été convoquées ? », se demande une mère de famille d’un quartier populaire de La Havane.

Mais ce genre de remise en question s’exprime rarement dans la population. Pour beaucoup, Raul possède une légitimité certaine pour remplacer son frère, à défaut d’en avoir le charisme.

Compagnon d’armes de son aîné dès 1953 (il était alors âgé de 22 ans), nommé à la tête d’un des fronts de la guérilla dans la Sierra Maestra en 1957, puis ministre de la Défense à partir de 1959, il passe pour plus pragmatique que Fidel Castro.

C’est notamment lui qui, en pleine période spéciale, au début des années 90, a autorisé de nouveau l’ouverture des marchés paysans, face à la pénurie alimentaire menaçant l’île après la chute du bloc communiste. « Les haricots sont plus importants que les canons », aurait-il alors déclaré pour justifier cette ouverture économique rejetée par son frère deux ans plus tôt.

Le Parti communiste comme successeur

Mais malgré sa longue trajectoire au sommet de l’Etat, on connaît peu cet homme, qui a passé sa vie dans l’ombre de son frère et qui est aujourd’hui appelé à jouer provisoirement un rôle de premier plan. Personne ne sait quelle sera sa politique.

Quelques indices, déchiffrés par les experts en « castrologie », font penser à une direction plus collégiale du pays sous sa tutelle. On l’a vu ces derniers mois apparaître de façon inhabituelle dans la presse nationale, et même faire des discours publics, lui qui en fait si peu. Dans l’un d’eux, à la mi-juin, Raul Castro abordait frontalement le thème de la succession, un sujet longtemps tabou dans l’île : « Seul le Parti communiste dans son ensemble sera le digne héritier de la confiance déposée par le peuple en Fidel Castro ». Cette vision institutionnelle semble être la voie suivie pour le moment : un extrait de ce discours a d’ailleurs été reproduit la semaine dernière en une du Granma.

Quant à l’orientation de la politique à venir, seules existent des hypothèses, comme celle émise par Oscar Espinosa Chepe, un économiste indépendant condamné en 2003 à 20 ans de prison, puis libéré en décembre 2004 : « Raul Castro pourrait être le Deng Xiaoping de Cuba », avance le dissident, en référence aux ouvertures économiques mises en place par le dirigeant chinois au début des années 80. « On ne peut pas écarter cette possibilité. D’ailleurs, quel autre choix avons-nous ? ».

Mais au-delà de cette succession – annoncée comme provisoire – qui se joue en ce moment, une autre incertitude s’exprime parfois à mots couverts : Raul Castro est âgé de 75 ans, on le dit de santé fragile, que se passerait-il si ce successeur désigné disparaissait ?

Car une chose est claire dans l’île: personne ne souhaite d’intervention américaine à Cuba. Et les images de foules en liesse à Miami, le soir de la passation de pouvoir, ont profondément choqué les Cubains. « Je ne sais pas ce qui va se passer maintenant, mais une chose est sûre : je ne veux pas d’eux ici », explique une jeune Cubaine sur le Malecon -le front de mer de La Havane-, en montrant du doigt le détroit de Floride, au-delà duquel se trouvent, à 150 km, les côtes américaines.

par Sara  Roumette

Article publié le 12/08/2006Dernière mise à jour le 12/08/2006 à TU

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