Niger
Dix-huit mois de prison pour «fausses nouvelles»
(Photo : © Republicain-Niger)
Mamane Abou, directeur de publication, et Oumarou Keïta, rédacteur en chef de l’hebdomadaire le Républicain, ont été arrêtés le 4 août dernier dans les locaux du journal et conduits en garde à vue au commissariat central de Niamey. Au moment de leur arrestation, les journalistes ont laissé entendre que leur interpellation faisait suite à un article publié dans le Républicain, le 27 juillet, dans lequel ils accusaient le Premier ministre Hama Amadou de conduire une politique gouvernementale qui «lâche l’Occident pour l’Iran».
La première audience a eu lieu le 8 août mais les avocats avaient obtenu un renvoi en récusant la compétence du juge chargé du dossier. Ils avaient évoqué une «affaire politique» rejetant la procédure de flagrant délit pour obtenir un renvoi de l’affaire au 14 août. Aujourd’hui, le parquet a demandé un an de prison ferme contre chaque prévenu pour «propagation de fausses nouvelles» et six mois ferme pour délit de «diffamation». Au total le procureur a requis une peine de 18 mois de prison ferme. Aux peines de prison s’ajoutent des amendes de 20 000 francs CFA et de 50 000 francs CFA, soit un total 70 000 francs CFA (76 euros). Le verdict est attendu le 1er septembre.
Selon Mamane Abou lui-même, son arrestation n’était pas une surprise. «J’étais dans le collimateur du pouvoir». En effet au mois de juin dernier, le Républicain s’était procuré un rapport d’audit de l’Union européenne sur des fonds européens destinés à l’Education sur lesquels beaucoup de «malversations» auraient été commises. Deux ministres en charge de l’Education nationale au moment des faits avaient été limogés.
Le délit de presse
Les organisations de défense des droits de l’homme et les associations de protection des journalistes demandent en vain au gouvernement de réviser de son dispositif pénal contre la presse. En septembre 2005, Abdoulaye Harouna, rédacteur en chef de Echos Express avait été condamné à quatre mois de prison et à une amende de 500 000 francs CFA pour avoir accusé un gouverneur de région de «mauvaise gestion et de détournement des aides humanitaires».
Les promesses de réforme du président Mamadou Tandja n’étant toujours pas tenues, la presse privée nigérienne vit avec l’angoisse permanente de pâtir un jour ou l’autre des humeurs d’un homme politique, ou d’un proche du pouvoir, qui jugerait qu’il a été «diffamé» et que cela mériterait «réparation» ou plutôt «correction». «Il est très inquiétant que ces deux journalistes restent en prison pour avoir critiqué le Premier ministre et mis à nu des pratiques de corruption dans le gouvernement», a déclaré Julia Crawford, coordinatrice du programme Afrique de l’organisation de défense de la liberté de la presse qui réclame une libération immédiate de Mamane Abou et d’Oumarou Keïta. Pour Reporters sans frontières, «seules les sanctions professionnelles permettent de réparer un éventuel préjudice. Nous ne voyons pas en quoi, dans le cas d’un délit de presse, le plaignant peut trouver dans la souffrance d’un homme un motif de satisfaction».
par Didier Samson
Article publié le 14/08/2006Dernière mise à jour le 14/08/2006 à TU