Proche-Orient
L’Onu peine à recruter pour la nouvelle Finul
(Photo : AFP)
La France, comme les Etats-Unis, est particulièrement au fait des dangers que présente un engagement militaire au Liban. A Beyrouth, le 23 octobre 1983, un attentat détruisait l’immeuble du Drakkar, un bâtiment de neuf étages abritant un contingent français de la Force multinationale de sécurité. Cet acte, attribué au Hezbollah, a coûté la vie à 58 parachutistes. Le même jour, une voiture piégée explosait devant le quartier général américain dans la capitale libanaise, faisant 239 morts parmi les Marines. Là encore, le Hezbollah était montré du doigt.
Les deux nations gardent en mémoire ce douloureux souvenir. Mais, s’il n’est nullement question que Washington envoie des troupes, la France s’est à ce point impliquée dans le processus de cessez-le-feu que l’Onu voyait en elle le pivot de la nouvelle Finul prévue par la résolution 1701. Or pour l’instant, Paris se montre très prudente, se bornant à envoyer au Liban 200 hommes en renfort d’urgence. Ils s’ajouteront aux 200 casques bleus français de l’actuelle Force internationale qui compte 2 000 soldats sur place.
A New York, l’administration onusienne ne cache pas sa déception. « Nous avions espéré – et nous ne nous en cachons pas – une contribution française plus forte. D'autres [pays] ont fait des propositions et nous sommes bien persuadés de détenir ici les éléments d'une force solide », a souligné le secrétaire général adjoint de l’organisation, Mark Malloch Brown. Toutefois, le diplomate a admis que l’Onu n’était pas encore parvenue à rassembler l’avant-garde de 3 500 hommes qu’elle souhaite dépêcher sur le terrain d’ici 10 jours.
La nouvelle Finul n'aura pas le droit d'attaquer
Si Jacques Chirac diffère l’envoi éventuel d’un important contingent, c’est, d’abord, qu’il réclame des garanties pour la sécurité des soldats français. Le chef du Hezbollah, Hassan Nasrallah, a fait savoir que sa milice ne désarmerait pas « hâtivement ». Les risques sont trop grands de voir la Finul prise en étau entre les miliciens chites et les soldats israéliens, dont le retrait du sud du Liban est pour l’instant progressif.
De source diplomatique française à Paris, on souligne notamment que la nouvelle Finul étant placée sous le chapitre VI, et non VII, de la charte de l'Onu, elle n'aura pas le droit d'attaquer, seulement celui de se défendre. Paris veut aussi savoir si les casques bleus auront pour mission, comme le veut Israël, de faire respecter l'embargo sur les armes pour empêcher le Hezbollah de se réapprovisionner auprès de l'Iran et de la Syrie.
Selon l’Elysée, le président français a réitéré ses conditions vendredi, lors d'un entretien téléphonique avec la chancelière allemande Angela Merkel, dont le pays exclut d’envoyer des forces terrestres mais pourrait fournir une aide logistique. « Le président de la République a souligné auprès de Madame Merkel, dit un communiqué, l'importance de préciser dès que possible les missions, les règles d'engagement, la chaîne de commandement et les moyens de cette force ».
Des propos relayés par la ministre de la Défense Michèle Alliot-Marie. « Il faut qu'il puisse y avoir une Finul efficace ». Et de rappeler « des expériences douloureuses, où les Nations unies n'avaient pas de mission suffisamment précise, ni de moyens d'agir », telles la Bosnie, où la France « a perdu 71 militaires », ou encore l'Ituri (République démocratique du Congo), où l'Union européenne avait été obligée d'intervenir pour dégager des forces de l'Onu.
Indiquant qu’un bataillon du génie était déjà en route pour le Liban, la ministre française a tenu aussi à répondre aux critiques de l’Onu : « Je ne peux pas laisser dire que la France ne ferait pas tout son devoir dans la crise libanaise », a-t-elle ajouté, affirmant que « depuis le début de la crise, elle est en première ligne et le premier contributeur ».
« Chaque retard accroît le risque d'une reprise du conflit »
Outre des garanties sur les questions de sécurité, le président français se montre soucieux d’éviter que la France ne soit isolée. Selon l’Elysée, Jacques Chirac, dans son entretien avec Angela Merkel, a également « insisté sur l'indispensable équilibre dans la répartition des contingents qui doit refléter l'engagement de toute la communauté internationale, dont les pays européens ». Le président français souhaite, notamment, que des pays musulmans soient présents afin, a souligné Michèle Alliot-Marie, « qu'à aucun moment on ne puisse avoir l'impression que cette action va être celle du monde occidental contre le monde musulman ».
Pour l’instant, les candidats à l’envoi de troupes ne manifestent pas un enthousiasme débordant. Jeudi, une réunion a rassemblé à New York une quarantaine de pays potentiellement contributeurs. Parmi les trois Etats européens étudiant actuellement un projet d’engagement – Italie, Espagne et Belgique –, seule la première s’est concrètement manifestée. Vendredi, le gouvernement italien a donné son feu vert politique à l'envoi de troupes, mais le suspend lui aussi à des précisions sur le rôle de la future Finul.
Selon un diplomate onusien à New York, le Bangladesh, l'Indonésie, la Malaisie et le Népal ont proposé chacun au moins un bataillon et le Danemark deux navires de guerre. La Turquie est également citée, mais souhaite « plus de clarté avant de décider d'une éventuelle contribution ». L'Espagne, l'Egypte, le Maroc et la Belgique ont fait savoir qu'ils étudiaient la situation avant de s'engager fermement.
A l’issue de la réunion, le secrétaire général adjoint de l’Onu, Mark Malloch Brown, a demandé aux ambassadeurs présents de faire savoir « au plus tard dans les prochains jours » combien de soldats ils pourraient mobiliser et selon quel calendrier. « Nous devons convertir les promesses en engagements fermes, et les engagements en déploiements rapides sur le terrain. Chaque retard accroît le risque d'une reprise du conflit ».
par Philippe Quillerier
Article publié le 18/08/2006 Dernière mise à jour le 18/08/2006 à 16:46 TU