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Mode

Mannequins trop maigres interdites de défilé

Défilé de mode durant la <i>Madrid Fashion week</i>. Un responsable d'une grande agence de mannequins: «<i>A un moment, on ne pourra pas faire encore plus maigre</i>».
Défilé de mode durant la Madrid Fashion week. Un responsable d'une grande agence de mannequins: «A un moment, on ne pourra pas faire encore plus maigre».
Pour sa 44e édition, le défilé de haute-couture madrilène la Pasarela Cibeles -qui a débuté lundi- a interdit de podium cinq mannequins jugées trop maigres. Cette mesure a été prise en vertu d’une directive régionale visant à lutter contre l’anorexie. Le gouvernement régional madrilène, un des principaux sponsors de l’événement, s’est fondé sur un critère sanitaire de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) : il s’agit d’une mesure préventive visant à dissuader les jeunes filles qui rêveraient de ressembler aux mannequins de suivre des régimes alimentaires déséquilibrés et dangereux. Cette décision, inédite dans un salon de haute-couture international, ouvre le débat dans les capitales de la mode.

En Espagne, tout mannequin pesant moins de 56 kilos pour 1,75 mètre peut aller «se rhabiller» ou «se remplumer» faute de pouvoir défiler. La semaine dernière le gouvernement madrilène a recalé cinq des soixante-huit mannequins espagnoles et étrangères en lice pour présenter les 27 défilés du grand rendez-vous de la haute-couture, la Pasarela Cibeles.

Les expressions peu élogieuses ne manquent pas telles que «allumettes», «planches à pain» «plumes» ou «brindilles» pour désigner des silhouettes qui, pourtant, font rêver des adolescentes. La mesure, inédite dans un salon international de haute-couture, déclenche une vive une vive polémique : la ministre britannique de la Culture, Tessa Jowell, salue cette initiative. La mairesse de Milan, Letizia Moratti, également, tandis qu’à Paris et à New York, les professionnels de la mode lèvent le bouclier contre une interdiction jugée «discriminatoire».

Samedi dernier, chaque top model en lice pour le défilé a dû monter sur la balance. Cinq ont été recalées. Une revanche des rondes ? Non. Une réponse sanitaire à un fléau qui touche de plus en plus de jeunes filles. Les mannequins ont été estimées «trop maigres», non pas selon des critères esthétiques mais d’après les critères de l’OMS qui estime que, en-dessous du seuil minimal de l’indice de masse corporelle (IMC)*, le sujet est véritablement en danger physique et psychique. Le respect de cette norme, inédite dans un défilé de haute-couture, a été contrôlé par les médecins bénévoles recrutés, pour l’occasion, par la Société espagnole d’endocrinologie et de nutrition (SEEN).

«La mode est un miroir», reconnaît Concah Guerra, du gouvernement local madrilène. Or, comme le fait remarquer Sylvie Fabrégon, responsable du département Plus (consacré aux «rondes») de l’agence de mannequins Contrebande, «maigreur reste synonyme d’élégance». L’équation représente une menace pour les adolescentes cherchant à s’identifier aux icônes de la mode. Les filles de 15 à 20 ans dans les sociétés occidentales ne disposent que d’une image très formatée de l’idéal féminin : «La population jeune d’aujourd’hui n’a vu que des maigres à la une des magazines, sur les affiches à l’arrêt des bus, dans le métro», souligne l’endocrinologue Annie Lacuisse-Chabot.

L’anorexie est un véritable fléau qui touche de plus en plus d’adolescentes soumises à des régimes déséquilibrés : la personne «subsiste aux dépens de ses propres tissus, consommant les réserves graisseuses puis la masse musculaire, jusqu’aux viscères», explique l’endocrinologue et s’expose ainsi à des problèmes physiologiques et psychiques allant de «la moindre résistance au stress, à la dépression puis au suicide».

«L'essentiel est dans l’harmonie générale»

La polémique monte. Les professionnels de la mode réagissent dans les différentes capitales de la mode. En Italie, la mairesse de Milan, où les défilés débutent dans une semaine, a exprimé le souhait que les mannequins trop filiformes soient écartés des défilés. Au Royaume-Uni, la ministre britannique de la Culture Tessa Jowell a exhorté les organisateurs de la Fashion week à Londres («semaine de la mode») à se ranger aux côtés de l’Espagne et à écarter des podiums les mannequins trop maigres. Le Conseil de la mode britannique (BFC), organisateur de la manifestation, a quant à lui répliqué en disant qu’il ne pouvait toutefois pas imposer aux créateurs la manière d’organiser la présentation de leurs collections.

New York crie au scandale. «Je comprends qu’ils souhaitent mettre l’accent sur des filles belles et en bonne santé, mais qu’en est-il des discriminations contre les mannequins ? Qu’en est-il de la liberté du créateur ?», déclare la directrice de l’agence de mannequins Elite, Outre-Atlantique. «Pas question de bannir ces femmes des podiums, ce serait la même chose qu’interdire quelqu’un parce qu’il est trop gros», a protesté le président du conseil des créateurs de mode d’Amérique (CFDA), à l’origine de la semaine de la mode à New York.

A Paris, l’initiative madrilène suscite également des réactions. Sous-couvert d’anonymat, un créateur s’insurge en disant : «le poids n’a rien à voir. On regarde une fille dans son ensemble, on ne regarde jamais le poids, l’essentiel est dans l’harmonie générale». Dominique Sirop, créateur de mode, déclare, lui, ne pas être séduit par les mannequins «qui s’aspirent de l’intérieur». Quant à l’attitude à adopter : Sylvie Fabrégon estime qu’«écarter les tops models maigres des podiums ne changera rien, et [que] c’est les priver de leur gagne-pain. Il faudrait que, dans les magazines, on ose dire ‘regardez comme c’est moche’, plutôt que d’inciter à perdre 3 à 5 kilos avant l’été». «La mode ne se réglemente pas. Si une mesure similaire était prise en France, tout le monde rigolerait», déclare pour sa part le président de la Fédération française de la couture, Didier Grumbach.

par Dominique  Raizon

Article publié le 19/09/2006 Dernière mise à jour le 19/09/2006 à 18:53 TU

(* ) L’indice de masse corporelle est le résultat d’un calcul obtenu entre le poids et la taille. Il permet d’évaluer une corpulence et les risques qu’elle représente pour la santé. IMC = Poids en Kg/ (Taille en m)²