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Justice internationale

Les procureurs dénoncent les intérêts politiques

Les procureurs des cinq tribunaux internationaux débattent des limites de leur mandat, lors d’une table ronde à La Haye, le 6 octobre 2006. 

		(Photo: Stéphanie Maupas/RFI)
Les procureurs des cinq tribunaux internationaux débattent des limites de leur mandat, lors d’une table ronde à La Haye, le 6 octobre 2006.
(Photo: Stéphanie Maupas/RFI)
L’impact de la justice internationale sur la lutte contre l’impunité des personnes soupçonnées de crimes de guerre était le thème principal du troisième colloque des procureurs internationaux, vendredi et samedi à La Haye. Des représentants des organisations non gouvernementales et des diplomates ont aussi participé à cette réunion où les procureurs internationaux ont défendu la nécessité d’appliquer effectivement les mêmes règles partout, notamment dans le jugement des responsables présumées de crimes contre l’humanité et génocide.

De notre correspondante à La Haye

Les procureurs des cinq tribunaux internationaux ont conduit deux jours de meeting à La Haye, au Pays-Bas. Responsables des poursuites conduites en ex-Yougoslavie, au Rwanda, en Sierra Leone, au Cambodge et, pour la Cour pénale internationale, au Darfour, en Ouganda et en République démocratique du Congo, ces cinq procureurs partagent les mêmes défis, rencontrent les mêmes limites. Celles que dressent devant eux les diplomates.

Pour conduire dans le box les fugitifs inculpés de génocide, de crimes contre l’humanité et de crimes de guerre, ils ne disposent d’aucune force de police et sont soumis à la coopération des Etats. Une coopération à géométrie variable, soumise aux intérêts politiques, qui conduit ces magistrats à un travail de funambule: Ils ne doivent leur survie et leur succès qu’au souci constant d’asseoir leur indépendance, sans s’affranchir totalement des réalités politiques.

L’atonie des politiques: un passeport pour l’impunité

La procureur du tribunal international pour l’ex-Yougoslavie, Carla del Ponte, monte au créneau: «Pouvez-vous imaginer le procès de Karadzic et Mladic [les chefs bosno-serbe en fuite depuis 11 ans] se tenir demain à Belgrade ou Sarajevo? C’est impensable!» fustige-t-elle. L’ONU refuse de donner à la juridiction les moyens de fonctionner au-delà de 2010, au risque d’une justice «à double standard». Un passeport pour l’impunité, selon la suissesse. Kigali, Sarajevo, Freetown, Phnom Penh, Darfour des lieux qui appellent des images de massacres. Mais la justice internationale n’est pas universelle, loin s’en faut. Combien de conflits oubliés, de massacres en toute impunité? «Durant les récents événements entre Israël et le Liban, aucune commission internationale d’enquête indépendante n’a été mise en place», rappelle Carla del Ponte.

Charles Taylor, un cas unique de coopération

Les noms de Milosevic, Hissène Habré, Pinochet résonnent en écho pour rappeler qu’à ce jour, aucun chef d’état n’a subi de condamnation. Mais il est un cas, unique, dans lequel justice et politique ont œuvré de concert, rappelle Christopher Staker, le procureur du tribunal spécial pour la Sierra Leone: L’affaire Charles Taylor, l’ancien président du Liberia inculpé pour crimes contre l’humanité et crimes de guerre. «L’arrestation de Charles Taylor a nécessité le soutien du Liberia et du Nigeria pour son arrestation. Son transfert vers La Haye [où son procès doit commencer début juin 2007] a nécessité un travail de longue haleine. Il a fallu une résolution du congrès américain, de l’Union européenne, puis du Conseil de sécurité. Il a fallu obtenir l’accord des autorités néerlandaises pour tenir le procès sur leur territoire, qui n’ont accepté qu’après que les britanniques se soient porté candidats pour que Charles Taylor purge sa peine en Grande-Bretagne. Enfin, il a fallu une participation financière». Mais Charles Taylor n’est que l’une des figures d’une longue liste de fugitifs.

Justice et paix

Dans la salle, quelques ambassadeurs présents s’interrogent, un brin angélique, sur l’impact de la justice dans la réconciliation nationale. Aux procureurs de les ramener aux réalités. Carla del Ponte lève les bras au ciel: «Qu’est-ce que la réconciliation?! Je n’ai vu aucun signe de réconciliation nationale! Ils sont près à se battre de nouveau… Je ne sais pas combien de générations il faudra… Mais ce n’est pas notre but, même si nous espérons y contribuer». Le procureur du tribunal pénal international pour le Rwanda, Hassan Bubacar Jallow replace les rôles: «En tant que procureur, nous sommes mandatés pour conduire des affaires et les mener à leur terme. La seule chose que je peux dire, c’est que les personnes que nous avons inculpés, spécialement les leaders du génocide, n’ont jamais exprimé le moindre signe de remords». Et Carla del Ponte d’ajouter: «La justice n’est pas un médicament pour lutter contre tout. Si la justice a des effets positifs, tant mieux. Mais ne lui demandez pas l’impossible. Notre travail est d’enquêter, de poursuivre les plus hauts responsables devant la cour. Si cela peut avoir un impact positif dans le pays, j’en suis ravie, mais ce n’est pas mon objectif. Ca, c’est un objectif politique».

Une vision dont, seul, se distance le procureur de la Cour pénale internationale, Luis Moreno Ocampo. Prudent, diplomate, il conçoit son mandat de façon très large: «Justice et paix doivent travailler ensemble, dit-il, les victimes ont besoin de sécurité, ont besoin de manger.»



par Stéphanie  Maupas

Article publié le 07/10/2006 Dernière mise à jour le 07/10/2006 à 17:23 TU