Charles Taylor a été transféré mardi soir à La Haye, aux Pays-Bas, où il sera jugé par le tribunal spécial pour la Sierra Leone. Mais le procès de l’ancien président du Libéria ne devrait pas commencer avant plusieurs mois.
De notre correspondante à La Haye
Le procès de Charles Taylor se déroulera donc à La Haye, aux Pays-Bas, mais ce sont bien les juges de la Cour spéciale pour la Sierra Léone (CSSL) qui prononceront la sentence contre l’ancien chef de guerre. Accusé de crimes contre l’humanité et crimes de guerre, Charles Taylor aurait, selon le procureur, soutenu les rebelles du Front révolutionnaire uni en Sierra Léone, dans l’objectif de s’emparer des richesses minières du pays. Les « diamants de sang » ont fait, en dix années de guerre civile, plus de 120 000 victimes. Pour permettre la tenue d’un procès à La Haye, la Cour pénale internationale (CPI), qui n’a pas juridiction sur l’ancien chef de guerre, a toutefois prêté ses locaux aux juges de la Cour spéciale.
Mardi soir, Charles Taylor a donc été incarcéré dans l’aile réservée à la Cour pénale internationale où réside depuis mars le milicien congolais Thomas Lubanga, inculpé pour des crimes commis en République démocratique du Congo (RDC). Ce dernier, qui se plaignait d’isolement, aura donc trouvé un comparse en la personne de l’ancien président libérien. L’histoire ne dit pas encore si les deux hommes auront l’occasion d’échanger quelques balles, mais selon une indiscrétion, Charles Taylor aurait emporté une raquette de tennis et les quelques 32 000 pages du dossier établi par le parquet contre lui.
Un procès loin des victimes
La tenue du procès de Charles Taylor aux Pays-Bas a soulevé de nombreuses protestations des organisations de défense des droits de l’homme, notamment en Afrique. Elles regrettent que le chef de guerre ne soit pas jugé sur le territoire où résident ses victimes. La Cour spéciale pour la Sierra Leone est en effet la seule juridiction internationale à siéger habituellement sur les lieux des crimes, à Freetown. Mais après l’arrestation puis l’extradition de Charles Taylor en Sierra Leone, le 29 mars 2006, la présidente du Libéria voisin, Ellen Johnson-Sirleaf, faisant écho aux préoccupations de la communauté internationale, s’était inquiétée des risques de déstabilisation régionale.
Début mai, un vétéran américain de la guerre en Irak et trois Sierra léonais avaient été arrêtés et placés en garde à vue à Freetown pour avoir photographié la prison où était alors incarcéré Charles Taylor, au centre de la capitale. Le chef de guerre disposerait de nombreux partisans, toujours actifs dans la région. Même si, après sa mise en accusation en mars 2004, l’ancien président du Libéria avait bénéficié pendant deux ans d’un exil négocié au Nigéria en échange duquel il avait accepté, au moins en façade, de se retirer de la vie politique.
Coopération judiciaire internationale
Au cours d’une conférence de presse à La Haye mercredi matin, le procureur, Christopher Staker, a donc rappelé avec force que la délocalisation du procès aux Pays-Bas était liée à des questions « de paix et de sécurité dans la sous-région », soulignant que la coopération entre les Nations unies, les Pays-Bas et la Sierra Léone était un bel exemple « de coopération de la communauté internationale en faveur de la justice ». Les autorités néerlandaises ont accepté de recevoir le criminel de guerre sur le sol des Pays-Bas pour la seule période du procès et à la condition qu’il purge sa sentence sur un autre territoire. La Grande-Bretagne s’est finalement portée candidate la semaine dernière pour l’accueillir une fois le jugement rendu.
L’ancienne puissance coloniale a soutenu la Cour spéciale sans relâche depuis sa création en janvier 2002 au terme d’un accord établi par les Nations unies et le gouvernement sierra léonais, en fournissant le gros des troupes et une part conséquente du budget. Selon une estimation interne du greffe, établie début avril, le procès devrait se chiffrer à quelque 13 millions de dollars, soit près d’un tiers du budget annuel de la Cour spéciale. Outre les infrastructures nécessaires à la tenue du procès, la venue des témoins aux Pays-Bas entraînera des coûts importants, liés, aussi, aux questions sensibles de protection. Le procureur a d’ailleurs obtenu que les noms des témoins ne soient pas encore divulgués à l’accusé. Charles Taylor devrait comparaître devant ses juges en début de semaine prochaine pour une première audience destinée à préparer le procès, dont l’ouverture effective n’est pas attendue avant plusieurs mois.