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Justice internationale

Le procès de Charles Taylor pourrait être délocalisé

Charles Taylor en 1997. Les crimes reprochés à l’ancien président libérien ont été commis entre 1997 et 2000.(Photo : AFP)
Charles Taylor en 1997. Les crimes reprochés à l’ancien président libérien ont été commis entre 1997 et 2000.
(Photo : AFP)
La Cour spéciale pour la Sierra Léone (CSSL) pourrait délocaliser le procès de l’ancien président du Libéria, Charles Taylor, à La Haye, pour des raisons de sécurité. Dans une déclaration à la Nation jeudi après-midi, la présidente libérienne Ellen Johnson Sirleaf a estimé nécessaire que l’ancien chef de guerre soit jugé hors de la région.

De notre correspondante à La Haye

« La paix est fragile, il y a beaucoup de loyalistes à M. Taylor dans notre pays où il y a beaucoup d’intérêts commerciaux », avait déclarée vendredi dernier la présidente libérienne Ellen Johnson Sirleaf devant le Conseil de sécurité à New York. Incarcéré mercredi soir dans la prison de la Cour spéciale à Freetown, le chef de guerre qui avait conduit l’une des guerres civiles les plus atroces au Libéria avant de l’exporter en Sierra Leone, dispose toujours de puissants réseaux et continue de constituer une menace pour la stabilité ouest africaine.

Les responsables de la Cour spéciale, créée par un accord bilatéral entre le gouvernement sierra-léonais et les Nations unies signé le 16 janvier 2002, ont entamé des discussions avec les autorités néerlandaises et la Cour pénale internationale (CPI). Si cette option était effectivement adoptée, Charles Taylor serait jugé par les magistrats de la Cour spéciale de Freetown, mais à La Haye. La Cour pénale internationale, qui n’a pas juridiction sur les crimes commis par le libérien, prêterait simplement ses infrastructures : salle d’audience, prison, etc. La décision doit d’abord être avalisée par une résolution du Conseil de sécurité des Nations unies, puis par un accord formel entre les autorités néerlandaises et la Cour de Freetown.

Une menace pour la paix

Depuis son inculpation le 3 mars 2004, le procureur de la Cour spéciale prévient : « Charles Taylor constitue une menace pour la paix et la sécurité dans la région ». Selon l’organisation américaine Coalition pour la justice internationale, le chef de guerre aurait effectué des transferts bancaires depuis son exil protégé du Nigeria vers ses partisans à Monrovia pour déstabiliser le pays lors des élections présidentielles d’octobre 2005. Or le président nigérian Olusegun Obasanjo ne lui avait accordé l’exil, en accord avec les Occidentaux, qu’en échange de son retrait de la vie politique régionale.

L’ex chef d’Etat qui bénéficie d’une amnistie pour les crimes commis au Libéria, est poursuivi pour crimes contre l’humanité et violations des Conventions de Genève pour extermination, viols, esclavage, conscription d’enfants, enlèvements et pillages en Sierra Léone, entre 1997 et 2000. Selon son acte d’accusation, il aurait financé, formé et armé les rebelles du Front révolutionnaire uni de Foday Sankoh. Inculpé, ce dernier avait été incarcéré par la Cour spéciale à Freetown en mars 2003, mais était décédé quelques mois plus tard d’une infection. Les deux hommes s’étaient connus à la fin des années 1980 en Libye, dans un camp d’entraînement militaire du gouvernement Kadhafi. Le numéro trois de cette alliance sanguinaire, Samuel Bockarie, dit Mosquito, avait été tué de cinq balles dans le cœur le 29 mai 2003, alors qu’il devait être arrêté et transféré à la Cour. Après enquête, le procureur de la Cour spéciale avait affirmé que Charles Taylor était l’auteur de cet assassinat.

Les diamants de sang

Or ce trio visait, selon le procureur, « à déstabiliser l’Etat sierra-léonais pour s’emparer des richesses diamantifères ». Le procureur avait lancé un appel à la coopération des Etats pour geler les comptes de l’accusé, fournis par le trafic de ces « diamants de sang ». « Mais cela demande des moyens d’enquêtes colossaux », estime un membre du parquet, « des moyens dont la Cour spéciale ne dispose pas ». L’ancien président dispose en tout cas des ressources pour s’entourer d’une puissante équipe d’avocats chevronnés.

Un contexte qui rendra plus difficile encore la tenue d’un tel procès. Charles Taylor a conduit ses crimes depuis Monrovia, en parrainant les rebelles du RUF et n’était pas physiquement présent sur les sites où ont été perpétrés les crimes. Le procureur devra s’appuyer sur des insiders, des hommes de l’intérieur, pour pouvoir démontrer ses accusations. La Cour spéciale de Freetown avait fait le pari de tenir les procès sur le territoire des victimes. Le départ de Charles Taylor aux Pays-Bas pourrait donc engendrer une certaine amertume. Les procès entendus devant la Cour de Freetown sont diffusés sur les radios et les victimes peuvent venir assister aux audiences, voir leurs bourreaux dans le box et comprendre qu’ici justice est rendue.


par Stéphanie  Maupas

Article publié le 30/03/2006 Dernière mise à jour le 30/03/2006 à 17:14 TU