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Pérou

Le chef historique du Sentier lumineux condamné à la prison à vie

Abimael Guzman «<em>mourra en prison</em>», écrit à propos du leader du Sentier lumineux, le quotidien populaire péruvien «<em>Ojo</em>». 

		(Photo : AFP)
Abimael Guzman «mourra en prison», écrit à propos du leader du Sentier lumineux, le quotidien populaire péruvien «Ojo».
(Photo : AFP)
Un an après le début du procès, Abimael Guzman, chef et fondateur de la guérilla maoïste du Sentier lumineux, a été condamné, vendredi 13 octobre, à passer le reste de sa vie derrière les barreaux, tout comme sa compagne et bras droit à la tête du parti, Elena Iparraguirre. Quant aux dix autres dirigeants jugés au cours de ce «méga procès», ils sont condamnés à des peines allant de 24 à 35 ans de prison.

De notre correspondante à Lima

«Ni oubli, ni pardon», titre le quotidien national La Republica (centre-gauche), samedi 14 octobre, au lendemain de la lecture du verdict du «méga procès» qui a jugé douze des plus haut dirigeants du Sentier lumineux, la guérilla marxiste-léniniste-maoïste à l’origine du conflit ayant fait plus de 69 000 victimes au Pérou entre 1980 et 2000.

L’ensemble de la presse péruvienne se félicite ainsi de la peine à laquelle a été condamné Abimael Guzman, chef et fondateur du mouvement, comme sa compagne Elena Iparraguirre, qui fut son bras droit. Ils passeront le reste de leur vie derrière les barreaux pour «terrorisme aggravé contre l’Etat et homicides qualifiés». «Ils mourront en prison», insiste le quotidien populaire Ojo.

Le chef historique du Sentier lumineux avait déjà été condamné à cette même peine par un tribunal militaire en 1993 mais le jugement avait été annulé en 2003, sur l’avis de la Cour interaméricaine des droits de l’homme (CIDH) estimant ces procès inéquitables.

Quatorze ans après son arrestation, cette fois c’est un tribunal civil, la cour pénale nationale, spécialisée dans les affaires de terrorisme, qui a condamné Abimael Guzman, 71 ans, à la prison à perpétuité. La cour l’a notamment jugé responsable du massacre de Lucanamarca, ayant causé la mort de soixante-neuf paysans, dont vingt enfants, en 1983.

Certains dirigeants du Sentier lumineux pourraient être libres en 2013

Si la condamnation appliquée à Abimael, comme on l’appelle au Pérou, fait l’unanimité, les peines appliquées aux autres dirigeants du Sentier lumineux, présents au tribunal,  provoquent la controverse. Alors que la procureure Carmen Ibanez réclamait la prison à perpétuité pour neuf des douze accusés, le tribunal a opté pour des peines allant de 24 à 35 ans pour sept membres de la direction du Sentier lumineux. «Cela signifie que si ces peines sont confirmées par la Cour suprême, ces terroristes, avec le décompte des années déjà passées en prison, pourront se retrouver en liberté, dans certains cas, dans sept ans», fustige le procureur pour les cas de terrorisme Guillermo Cabala. S’exprimant dans le quotidien Peru 21 (centre-droit), il s’avoue «déçu et préoccupé par la sentence indulgente» décrétée par le tribunal.

«Je ne comprends pas vraiment pourquoi tous les dirigeants du Sentier lumineux n’ont pas reçu la même peine, se demande à son tour Rosa Villaran de la Puente, secrétaire exécutive du mouvement citoyen «Para que no se repita» (Pour que cela ne se répète pas). «Malgré tout, l’important reste que les principaux responsables aient été durement punis, ce qui est un grand soulagement pour le pays. La peine de prison à perpétuité pour Abimael Gumzan est une sentence juste que tout le monde espérait».

Alors que beaucoup s’interrogent sur les raisons du verdict, Carlos Rivera Paz, de l’Institut de défense légal, s’avère lui en accord avec le tribunal. «Les peines appliquées aux autres dirigeants s’expliquent par le fait que nombre d’entre eux ont été arrêtés avant 1992. Or à ce moment là, la peine maximale était de 25 ans», assure l’avocat, selon lequel «cela reste des sentences graves». Pour Carlos Rivera, il s’agit surtout d’«un verdict historique». «Ce procès montre aussi que les membres du Sentier lumineux peuvent être jugés par les juges de la démocratie lors d’un procès juste et correct où les droits des accusés sont respectés», insiste le juriste.

Abimael condamné par les «juges de la démocratie»

«Tout cela prouve qu’en démocratie, on peut juger ce genre de crimes», souligne à son tour Gustavo Campos. Pour cet avocat qui représentait les victimes du massacre de Lucanamarca lors de la procédure, le jugement donné vendredi sera fondamental pour d’autres procédures en cours. «Le verdict montre qu’Abimael Guzman et Elena Iparraguirre ont ordonné et planifié ce massacre et qu’ils sont aussi responsables que ceux qui ont été tués. Cela a été clairement établi durant le procès, précise l’avocat. C’est donc un cas très important pour les prochains procès de violations des droits de l’homme accusant les dirigeants du Sentier lumineux».  

Après 85 sessions, le premier procès civil contre les chefs historiques de la guérilla maoïste du Sentier lumineux est donc terminé. Un «méga procès» qui aura peu retenu l’attention des médias et de la société, en un an de procédure. «Ce procès n’a pas eu l’intérêt de la presse péruvienne, ce qui est lamentable car l’on parle du principal responsable de la mort de milliers de victimes, s’insurge Rosa Villaran. Il était important que les médias traitent la nouvelle comme quelque chose de très important pour le pays mais cela n’a pas été le cas».

Un «méga procès» passé presque inaperçu

Les caméras ayant été interdites dans le tribunal après l’échec d’un premier procès en 2004, durant lequel les dirigeants de la guérilla avaient manifesté leur attachement au parti. Les médias péruviens ont vite perdu de l’intérêt pour une procédure qui se voulait pourtant historique, au grand dam de la plupart des analystes.

«Ce procès aurait du faire partie d’une stratégie de communication afin que le peuple péruvien sache exactement pourquoi on sanctionne Abimael Guzman, que l’on sache quels sont les outils de l’Etat péruvien pour le juger, juge Carlos Rivera, qui craint que «la seule chose qui reste de ce procès soit le nombre d’années de prison, infligées à Guzman». «Ce qui serait regrettable», conclut l’avocat.



par Chrystelle  Barbier

Article publié le 14/10/2006 Dernière mise à jour le 14/10/2006 à 18:54 TU