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Liberia

Vérité et réconciliation

Béatrice Kollie, violée par les assassins de son père. 

		(Photo : Zoom Dosso / RFI)
Béatrice Kollie, violée par les assassins de son père.
(Photo : Zoom Dosso / RFI)

La Commission vérité et réconciliation (TRC) vient de commencer à recueillir les témoignages de victimes, mais aussi ceux d'auteurs des atrocités qui ont marqué les 14 années de guerre fratricide qui ont déchiré le pays. Pendant six mois, chacun va raconter son histoire à la TCR comme c'est déjà le cas à Gbarnga, au centre du pays, dans l'ancien fief du président déchu et ex-seigneur de la guerre, Charles Taylor, où les récits de viols et d’agressions dominent dans les témoignages.


De notre correspondant au Liberia

Il est 8 heures et le soleil se lève sur Palala, ville de 6 000 habitants à 35 kilomètres au nord de Gbarnga. Assise sur un tabouret sous un manguier, Béatrice Kollie, 23 ans, porte un T-shirt rouge sur une grosse serviette qu’elle a attachée en lieu et place d’un pagne. Elle avait 16 ans quand elle a découvert à quel point l’être humain pouvait devenir bestial. «C’était en 1999. On était à Gbarnga quand les forces de l’ULIMO [faction dirigée alors par El Hadj Kromah] ont attaqué la ville. Ils ont tué mon père devant moi avec un couteau qui pénétrait difficilement dans la gorge de mon père…» Une pause, des larmes qui coulent sur sa joue, et elle reprend son récit. «Quelques jours après, le monsieur qui a égorgé mon père m’a demandé de coucher avec lui. Il a envoyé ses soldats, puisqu’il était le commandant, pour me dire d’être sa femme. J’ai dit non mais ils m’ont obligée…Après deux jours j’ai pris la fuite pour me réfugier dans la forêt. Il a donné l’ordre à ses hommes de me tuer si jamais ils m’apercevaient. Je suis resté trois mois dans la forêt avant de rejoindre ma mère dont on venait de me dire qu’elle s'était réfugiée dans un village lointain. C’est là bas que j’ai découvert que j’étais enceinte

«Celui qui l’a violée aurait pu être son petit-fils»

Elles sont des dizaines de milliers, voire des centaines de milliers de femmes à avoir été violées pendant la guerre civile. Nul n’en connaît le nombre exact. Mais une chose est certaine, c’est que chacune de ces victimes a une douloureuse histoire à raconter. Oretha allaitait son enfant âgé de 8 mois quand elle a été violée. «On se déplaçait pour quitter le centre de Monrovia où pendant plus de deux semaines les combats avaient continué sans pause. Arrivés à Douala [banlieue de la capitale], on nous a arrêté à une barrière du LURD. Le commandant de la barrière m’a demandé de le suivre dans la maison non loin de leur poste. Je lui ai dit que le bébé était encore très petit mais il n’a rien voulu comprendre. Pendant une semaine il a fait ce qu’il voulait sans se soucier des pleurs de mon bébé…»

Entre deux sanglots, Oretha reprend son récit. «Pendant tout ce temps, je saignais et la douleur était très forte dans mon bas ventre. J’ai terriblement souffert de cela. C’est un moment de ma vie que je ne pourrai jamais oublier. J’ai vécu une autre épreuve épouvantable avant de pouvoir accoucher après le viol. Dieu seul sait pourquoi je suis encore en vie. J’ai accouché de deux garçons, des jumeaux. Ce type qui m’a fait ça, je sais où il se trouve aujourd’hui. Une fois, je l’ai vu en ville, il était en uniforme scolaire. Il faut qu’on le traduise en justice. Parce qu’il avait violé ma mère aussi devant moi. La voilà assise là bas. Vous voyez comme elle est maigre, c’est du à ce qu’elle a subi parce que celui qui l’a violée aurait pu être son petit-fils. Souvent elle peut passer plus de deux semaines sans adresser un seul mot à quelqu’un. J’ai vraiment peur de la perdre.»

Les violeurs de sa mère sont ceux, aussi, qui ont abusé d'Oretha. C'est, accuse-t-elle, «le même groupe qui a tué mon père. Ils vont à l’école pour quoi faire. Et moi, mon père n’est pas là et ma mère est au bord du dérangement mental. Dire que les auteurs d’un tel acte sont encore libres dans ce pays, je ne peux pas vivre et voir cela. Il faut faire quelque chose. Mon copain, le père des enfants, m’a quitté. Il a dit qu’il ne peut pas rester avec moi en ayant le passé en tête. C'est-à-dire qu’il ne veut pas rester avec une femme qui a été violée

Des enfants, des adolescents ont été transformés en véritables machines à tuer, les combattants de la guerre civile se sont livrés aux pires atrocités qui puissent exister, viol, sodomie, torture ou même cannibalisme. Richard Tokpah est une de leurs victimes. En 2003, il a été battu a coups de bâtons par des combattants drogués. «Je passais à leur barrière et ils m’ont appelé pour savoir ce que j’avais dans mon sac. Je me suis approché d’eux et ils ont constaté que c’était seulement quelques grains de palme. Mais au moment même où je m’apprêtais à quitter leur bureau, un de leurs chefs rentrait. Je ne sais pas pourquoi, il m’a accusé d’avoir touché la veste qu’il tenait à l’épaule. Sans me laisser le temps de protester de mon innocence, le chef en question qui se nomme Morris Kanneh, a donné l’ordre à ses subordonnés de me battre. Certains ont pris des bâtons et d’autres se sont contentés de la crosse de leurs fusils pour me battre. Ils se sont employés à me frapper fort sur les deux jambes. Je me suis évanoui sous la douleur. Ils m’ont abandonné là

«Regardez un peu ce que je suis devenu»

«Regardez un peu ce que je suis devenu. Je ne peux plus me déplacer sur mes jambes. Je suis devenu une charge pour mon frère. C’est lui qui me trouve à manger alors que c’était tout à fait le contraire avant», lance Richard Tokpah. Son frère, Emmanuel, promet de se venger si l’agresseur de frère, originaire de la même ville, n’est pas traduit en justice. «Mon frère est un homme très travailleur. Il était toujours au champ. Il a un grand champ non loin de la ville. C’est lui qui nous donnait tous à manger», dit-t-il. Aujourd'hui, Richard se déplace difficilement. Il ne peut plus aller travailler la terre. Pire, il a commencé à boire excessivement. «Il passe son temps à boire. Il demande à ses amis de lui payer à boire et ces derniers n’hésitent pas à s’exécuter», poursuit son frère. «Il a toujours aidé ses amis. Alors, ils veulent un peu lui rendre la monnaie

Jacob Sackie, 36 ans, a été le témoin d’une scène insupportable. Sa mère a été tuée devant lui par un enfant-soldat. Une scène qui reste gravée dans sa mémoire comme si elle avait eu lieu aujourd'hui. «Ils sont venus dans notre village pendant la guerre et ils ont demandé à ma mère de leur trouver à manger parce qu’elle était la présidente des femmes du village», raconte Jacob. «Pendant plus d’une semaine elle était au four et au moulin à trouver à manger pour les rebelles. Quand tous les stocks de nourriture du village ont été épuisés, ma mère leur a dit qu’il n’y avait plus à manger. Alors ils l’ont accusée de cacher de la nourriture. Il y avait un tout-petit parmi eux . Ils l'appelaient Small Soldier. C’est lui qui a accusé ma mère le premier. Et c’est lui qui tiré sur elle à bout portant. Ma mère est tombée. Elle me regardait pendant qu’elle rendait l’âme», termine Jacob d’un air funeste, avant de se mettre à pleurer comme si sa mère venait de mourir à l'instant. L'assistance a pleuré avec lui. Un silence de mort a suivi.

«J'ai fait ce qu'ils ont fait à mes parents»

Il n’y a pas que les victimes qui témoignent. Ceux là mêmes qui ont perpétré des actes ignobles contre les civils pendant la guerre, vont eux aussi se confesser devant la Commission vérité et réconciliation. C’est le cas de Junior Gorqui, qui se présente vêtu d'un Jean crasseux et d'un T-shirt troué, une chevelure rasta. Ceux qui le connaissent disent qu'il est en train de perdre son équilibre mental. Il a 32 ans. Il en avait seulement 18 quand il a pris les armes pour combattre aux côtés des forces de Charles Taylor. «J’ai tué et j’ai aussi violé», reconnaît-il devant les agents de la CVR qui l’observent comme s’il était un extra-terrestre. «Je sais que vous n’allez pas aimer ce que je vais vous dire mais je vais le dire parce que c’est ce que vous nous demandez de faire. J’avais 18 ans quand je me suis vu dans l’obligation de prendre les armes. Je m’explique : Quand les rebelles de Charles Taylor avançaient vers notre ville, les soldats de Samuel Doe nous ont rendu visite. Ils ont torturé mes parents avant de les tuer. C’est ainsi que j’ai décidé de prendre les armes. Et c’est tout ce qu’ils ont fait à mes parents que moi j’ai refait contre les gens de Grand Gedeh d’où venait Doe et ses militaires. Voilà c’est mon histoire», conclut Junior.



par Zoom  Dosso

Article publié le 20/10/2006 Dernière mise à jour le 20/10/2006 à 14:26 TU