Afrique du Sud
L'attente des victimes de l’apartheid
Le premier procès intenté par les victimes de l’apartheid contre des multinationales accusées d’avoir collaboré avec l’ancien régime sud-africain s’est ouvert vendredi à New York. Le groupe informatique IBM et la banque Citibank seront sur la sellette, de même que les banques suisses UBS et le Crédit Suisse. Quatre victimes de l’apartheid ont choisi, pour plaider ce dossier épineux, l’avocat américain Ed Fagan, connu pour avoir obtenu, au nom des survivants de l’Holocauste, des compensations de 1,25 milliard de dollars des banques suisses pour leur rôle joué pendant la Seconde guerre mondiale.
De notre correspondante en Afrique du Sud
L’avocat américain Ed Fagan s’apprête à réclamer 50 milliards de dollars de compensations pour les quatre victimes qu’il représente face aux multinationales qui ont collaboré avec le régime de l’apartheid. Une démarche qui ne fait, semble-t-il pas, l’unanimité en Afrique du Sud. «C’est un peu la loterie», proteste ainsi Yasmin Sooka, porte-parole d’un autre groupe de victimes, Campagne pour les réparations et la dette de l’apartheid (ADRC). Lié à la branche sud-africaine de Jubilee 2000, une organisation non gouvernementale basée à Londres qui milite pour l’annulation de la dette des pays pauvres, l’ADRC a en effet adopté une autre démarche. Elle entend porter une «plainte plus générale» non seulement contre les firmes, mais aussi contre les pays qui ont continué à traiter avec Pretoria pendant les sanctions internationales imposées de 1985 à 1993 par les Nations unies à l’Afrique du Sud.
Retentissantes, ces plaintes n’occultent toutefois pas la colère des victimes contre leur propre gouvernement. Pas moins de 21 000 personnes attendent en effet toujours, huit ans après l’arrivée du Congrès national africain (ANC) au pouvoir, des réparations qui leur ont été promises dans le cadre de la réconciliation nationale. Aux côtés du président Thabo Mbeki, l’ancien président de la défunte Commission vérité et réconciliation (TRC), Desmond Tutu, a ainsi fait l’objet en juin dernier d’une plainte déposée devant un tribunal du Cap par un collectif de 4 000 victimes. Dénommé Groupe de soutien de Khulumani, ce rassemblement a demandé des informations précises sur la politique gouvernementale en matière de réparations. Les victimes reprochent aux autorités de n’avoir rien fait pour qu’elles touchent les indemnités annoncées en 1995, au début du processus de réconciliation. L’injustice paraît d’autant plus grande à leurs yeux que sur les 7 700 anciens bourreaux ayant accepté de témoigner devant la TRC, 1 200 ont bénéficié de mesures d’amnistie et 150 du «pardon» de la Commission.
Polémiques autour du rapport de la TRC
Quatre ans après la fin des travaux de la TRC, Desmond Tutu a déclaré «partager la frustration» des victimes. Pour l’instant en effet, un seul versement «intérimaire» de 48 millions de rands (4,8 millions d’euros) a été opéré. Près de 800 millions ont par ailleurs été mis de côté dans un Fonds présidentiel pour payer ces réparations. On est cependant loin des 3 milliards recommandés par la TRC pour le versement, pendant six ans, de réparations allant de 17 000 à 20 000 rands par an et par victime. «Beaucoup des victimes sont malades ou mourantes et certaines vivent encore avec des balles dans leur corps», proteste Maureen Thandi Mazibuko, l’une des responsables du Groupe de soutien de Khulumani.
Desmond Tutu a par ailleurs clairement rejeté la responsabilité du paiement des réparations sur l’équipe au pouvoir. «C’est le problème du gouvernement», a-t-il déclaré en juin dernier. Penuell Maduna, le ministre de la Justice, explique de son côté que les réparations, dont le montant reste pour l’instant «confidentiel», sont suspendues à l’ultime version du rapport final de la TRC. Annoncée pour ce mois d’août, cette copie définitive devrait être bientôt remise au président. Déjà, elle fait l’objet d’une polémique. Mangosuthu Buthelezi, ministre de l’Intérieur et leader du parti zoulou Inkhata, s’est opposé à ce rapport qui l’incrimine directement, dans les violations massives des droits de l’Homme commises pendant l’apartheid
Ces quatre dernières années, la TRC a mis la dernière main à son rapport, permettant au pouvoir politique de l’après-Mandela de temporiser. Epineuse, la question des éventuelles poursuites judiciaires contre les personnes reconnues responsables de crimes contre l’humanité par la TRC et qui n’ont ni demandé, ni obtenu l’amnistie, va de nouveau se poser. Outre Mangosuthu Buthelezi et d’anciens responsables blancs, des membres aussi éminents de l’ANC que Winnie Madikizela-Mandela, l’ancienne femme de Nelson Mandela sont concernés. En attendant de grands procès qui risquent de ne jamais être intentés, les victimes, elles, sont condamnées à prendre leur mal en patience.
L’avocat américain Ed Fagan s’apprête à réclamer 50 milliards de dollars de compensations pour les quatre victimes qu’il représente face aux multinationales qui ont collaboré avec le régime de l’apartheid. Une démarche qui ne fait, semble-t-il pas, l’unanimité en Afrique du Sud. «C’est un peu la loterie», proteste ainsi Yasmin Sooka, porte-parole d’un autre groupe de victimes, Campagne pour les réparations et la dette de l’apartheid (ADRC). Lié à la branche sud-africaine de Jubilee 2000, une organisation non gouvernementale basée à Londres qui milite pour l’annulation de la dette des pays pauvres, l’ADRC a en effet adopté une autre démarche. Elle entend porter une «plainte plus générale» non seulement contre les firmes, mais aussi contre les pays qui ont continué à traiter avec Pretoria pendant les sanctions internationales imposées de 1985 à 1993 par les Nations unies à l’Afrique du Sud.
Retentissantes, ces plaintes n’occultent toutefois pas la colère des victimes contre leur propre gouvernement. Pas moins de 21 000 personnes attendent en effet toujours, huit ans après l’arrivée du Congrès national africain (ANC) au pouvoir, des réparations qui leur ont été promises dans le cadre de la réconciliation nationale. Aux côtés du président Thabo Mbeki, l’ancien président de la défunte Commission vérité et réconciliation (TRC), Desmond Tutu, a ainsi fait l’objet en juin dernier d’une plainte déposée devant un tribunal du Cap par un collectif de 4 000 victimes. Dénommé Groupe de soutien de Khulumani, ce rassemblement a demandé des informations précises sur la politique gouvernementale en matière de réparations. Les victimes reprochent aux autorités de n’avoir rien fait pour qu’elles touchent les indemnités annoncées en 1995, au début du processus de réconciliation. L’injustice paraît d’autant plus grande à leurs yeux que sur les 7 700 anciens bourreaux ayant accepté de témoigner devant la TRC, 1 200 ont bénéficié de mesures d’amnistie et 150 du «pardon» de la Commission.
Polémiques autour du rapport de la TRC
Quatre ans après la fin des travaux de la TRC, Desmond Tutu a déclaré «partager la frustration» des victimes. Pour l’instant en effet, un seul versement «intérimaire» de 48 millions de rands (4,8 millions d’euros) a été opéré. Près de 800 millions ont par ailleurs été mis de côté dans un Fonds présidentiel pour payer ces réparations. On est cependant loin des 3 milliards recommandés par la TRC pour le versement, pendant six ans, de réparations allant de 17 000 à 20 000 rands par an et par victime. «Beaucoup des victimes sont malades ou mourantes et certaines vivent encore avec des balles dans leur corps», proteste Maureen Thandi Mazibuko, l’une des responsables du Groupe de soutien de Khulumani.
Desmond Tutu a par ailleurs clairement rejeté la responsabilité du paiement des réparations sur l’équipe au pouvoir. «C’est le problème du gouvernement», a-t-il déclaré en juin dernier. Penuell Maduna, le ministre de la Justice, explique de son côté que les réparations, dont le montant reste pour l’instant «confidentiel», sont suspendues à l’ultime version du rapport final de la TRC. Annoncée pour ce mois d’août, cette copie définitive devrait être bientôt remise au président. Déjà, elle fait l’objet d’une polémique. Mangosuthu Buthelezi, ministre de l’Intérieur et leader du parti zoulou Inkhata, s’est opposé à ce rapport qui l’incrimine directement, dans les violations massives des droits de l’Homme commises pendant l’apartheid
Ces quatre dernières années, la TRC a mis la dernière main à son rapport, permettant au pouvoir politique de l’après-Mandela de temporiser. Epineuse, la question des éventuelles poursuites judiciaires contre les personnes reconnues responsables de crimes contre l’humanité par la TRC et qui n’ont ni demandé, ni obtenu l’amnistie, va de nouveau se poser. Outre Mangosuthu Buthelezi et d’anciens responsables blancs, des membres aussi éminents de l’ANC que Winnie Madikizela-Mandela, l’ancienne femme de Nelson Mandela sont concernés. En attendant de grands procès qui risquent de ne jamais être intentés, les victimes, elles, sont condamnées à prendre leur mal en patience.
par Sabine Cessou
Article publié le 11/08/2002