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Afrique du Sud

Le scandale des prisons sud-africaines

L’opinion publique sud-africaine est sous le choc après la diffusion de plusieurs témoignages de prisonniers qui lèvent le voile sur leurs conditions de détention et sur les sévices sexuels que leur font subir les gardiens ainsi que d’autres prisonniers, en toute impunité jusqu’à aujourd’hui.
De notre correspondante à Johannesbourg

«Je ne me considère plus comme un être humain». Son identité n’a pas été dévoilée, mais le témoignage de ce prisonnier de 20 ans, qui a demandé un soutien psychiatrique, a bouleversé l’Afrique du Sud. Devant la Commission Jali, nommée par le président Thabo Mbeki pour enquêter sur la corruption dans plusieurs prisons, ce jeune homme a raconté, le 19 juillet dernier, son calvaire. A plusieurs reprises, un gardien de Grootvlei, un pénitencier de la ville secondaire de Bloemfontein, l’a violé et «offert» à d’autres, gardiens comme prisonniers, eux aussi adeptes de la sodomie.

Le témoignage de Wilson Mohodi, un autre détenu, a recoupé celui de la victime. Le même gardien, responsable d’une équipe de football formée par de jeunes prisonniers, se «payait» littéralement les garçons. En échange d’un rapport sexuel, il leur donnait une boîte remplie de cannabis, de produits cosmétiques et de vaseline. Wilson Mohodi a avoué avoir été son complice. Il a non seulement vendu pour son compte du cannabis et de l’alcool, mais il lui a aussi servi de proxénète.

«Lorsqu’il avait envie d’un garçon, il me donnait de l’herbe et je lui en amenais un», a avoué Wilson Mohodi. Il a également reconnu avoir lui-même abusé de co-détenus. Il suffit de 20 rands (2 euros), à Grootvlei, pour que des gardiens amènent des jeunes prisonniers dans les cellules des détenus plus âgés. Le règlement interdit pourtant tout contact entre les nouveaux arrivants et les anciens...


La diffusion des images à la télévision choque l’opinion


Les appels à l’aide répétés de la jeune victime ne lui ont valu que des ennuis. Des collègues du gardien incriminé ont tenté de le tuer, après son refus de retirer sa plainte contre lui. Les agressions, ensuite, n’ont fait que se multiplier, provoquant chez lui deux tentatives de suicide.

Inculpé pour vol, ce jeune n’avait pas pu payer les 500 rands (50 euros) de sa mise en liberté conditionnelle, en attendant son procès. Son histoire, malheureusement, relève de l’ordinaire dans l’Afrique du Sud d’aujourd’hui. Des centaines de jeunes qui «optent» pour le braquage ou le cambriolage, faute de travail, se retrouvent pendant des mois sous les verrous. Sur les 300 000 prisonniers que compte le pays, les deux tiers sont inculpés de vol. Ils sont 50 000 à n’avoir pas encore été jugés. Submergée, la justice suit très lentement son cours. L’attente peut durer plus d’un an, dans les pires conditions.

La diffusion, la semaine dernière à la télévision, d’une vidéo secrète fabriquée par les prisonniers de Grootvlei pour dénoncer les pratiques des gardiens a choqué l’opinion. Quant aux révélations obtenues par la Commission dirigée le juge Thabani Jali, dotée en août 2001 de 10 millions de rands pour enquêter dans 8 prisons, elles semblent embarrasser les autorités. Déjà, il a été décidé que son travail sera poursuivi par d’autres. C’est une Unité spéciale d’enquête (USE) dirigée par Willie Hofmeyr, avocat et ancien député de l’ANC, qui se penchera en effet sur la corruption dans les 138 établissements pénitentiaires du pays.

Des frictions se sont par ailleurs produites entre la Commission Jali et les autorités. Le ministère des Affaires correctionnelles a rétrogradé le directeur adjoint de Grootvlei, pour avoir permis aux prisonniers de fabriquer leur vidéo secrète. Quant au gardien accusé de viol, il est toujours en service, affecté à un autre département. «A l’homme de la rue, cela donne l’impression que le ministère ne s’attaque pas efficacement à la corruption», a affirmé Esthern Steyn, magistrat membre de la Commission.

Des doutes planent par ailleurs sur le résultat des enquêtes. Les mesures de discipline tardent à venir, depuis la remise, le 30 avril dernier, d’un rapport circonstancié sur les abus commis à la prison de Durban. Le trafic de drogue, l’absentéisme et les fraudes diverses pratiquées par les gardiens ont transformé la prison de Durban-Westwille en cauchemar. En tout et pour tout, cinq responsables ont été suspendus la semaine dernière.

Cet état de fait a poussé Vas Soni, l’inspecteur en chef de la Commission Jali, à décrire Grootvlei comme une «prison modèle», comparée à d’autres. «Au moins, les gardiens de Grootvlei portent des uniformes, se rendent à leur travail, et leurs crimes sont limités à l’enceinte de la prison», a-t-il affirmé. Prochaine étape des enquêteurs: Pollsmor, la grande prison du Cap. Un établissement d’où les détenus entrent et sortent à leur guise, affirme-t-on dans les townships de cette ville.



par Sabine  Cessou

Article publié le 25/07/2002