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Afrique du Sud

La nouvelle loi minière favorise le «black empowerment»

Syndicats, organisations patronales, associations de professionnels, partis politiques… A la veille du vote de la nouvelle loi minière, le 26 juin dernier, un front sans précédent d’intérêts noirs s’est formé pour soutenir Phumzile Mlambo-Ngcuka, la ministre des Mines et de l’Energie, aux prises avec les grandes maisons minières de son pays.
De notre correspondante en Afrique du Sud

Une telle mobilisation n’était pas, à proprement parler, nécessaire. Il était acquis que la nouvelle loi minière serait votée par la majorité du Congrès national africain (ANC) au Parlement, bien que contestée sur certains points par les géants miniers. La dimension politique et symbolique de la réforme était trop forte. Et pour cause : la Loi sur le développement des ressources minières et pétrolières a fait table rase du passé.

Le contrôle des richesses du sous-sol est passé, douze ans après la fin de l’apartheid, des mains du secteur privé à celles de l’Etat. Désormais, comme dans la plupart des pays dotés de richesses minérales, l’Etat aura compétence pour délivrer des licences d’exploration et d’exploitation des minéraux. Ce n’est pas ce changement majeur qu’ont contesté De Beers, Anglogold ou Anglo Platinum (Amplats), respectivement leaders mondiaux du diamant brut, de l’or et du platine. La clause qui a provoqué leur désaccord porte sur les efforts du gouvernement pour promouvoir le «black economic empowerment» (montée en puissance économique des Noirs) dans l’un des secteurs réputés les plus blancs et les plus conservateurs.

«Utilisez ou perdez»

Cette clause permet au ministre des Mines et de l’Energie d’exproprier les gisements détenus, mais non exploités, par de grandes compagnies, pour les redistribuer ensuite à des entrepreneurs noirs. Et ce, de manière à «réduire les inégalités héritées du passé», selon la formule officielle. Instaurée sur le principe du «use it or lose it» (utilisez ou perdez), cette nouveauté a été critiquée par les sociétés concernées pour son caractère flou, de même que son effet dissuasif pour l’investissement étranger et la carte blanche qu’il donne à un seul ministre pour intervenir dans un secteur clé de l’économie (8 % du PNB, 48 % des exportations).

«Si la loi reste aussi vague, il pourrait en coûter 8 milliards de rands d’investissements prévus par De Beers d’ici 2007, outre les quelque 78 milliards que l’industrie minière a prévu d’investir d’ici 2004», a lancé Jonathan Oppenheimer, le 12 juin dernier, à la tribune du Parlement. Face aux avertissements du fils de l’actuel président de De Beers, Phumzile Mlambo-Ngcuka n’a pas fléchi. Peu avant le vote de la loi, elle a déclaré ne pas «avoir l’intention de présenter des excuses au sujet de la transformation agressive que nous avons engagée».

Si la clause controversée est restée en l’état, le bras-de-fer a été évité grâce à un compromis. Amplats a, en effet, abandonné son recours en justice pour contester la constitutionnalité de la loi, après avoir obtenu des assurances du gouvernement sur des licences d’exploitation. De son côté, le gouvernement a accepté, pour garantir la visibilité des investissements miniers, qui se font à très long terme, d’octroyer des licences initiales d’exploitation pour des périodes allant jusqu’à 30 ans – une durée plus longue que la norme internationale.

La loi, décriée dans les coulisses par les industriels pour se résumer à une «nationalisation rampante», n’a pas été sans rappeler à certains, parmi les plus conservateurs, le programme de «redistribution rapide» des terres de Robert Mugabe, le chef de l’Etat zimbabwéen. L’ANC a cependant pris soin de garantir le droit à des compensations pour toutes les personnes ou sociétés qui seront expropriées. A l’adoption de la loi, avec une majorité écrasante de 243 voix (et seulement 35 voix contre), les députés de l’ANC se sont levés pour chanter et danser. Les grands groupes miniers, souvent accusés par l’opinion noire d’avoir profité de manière éhontée de l’apartheid, se sont montrés bons joueurs. La famille Oppenheimer n’a pas fait de commentaires, mais Bobby Godsell, le PDG d’Anglogold, s’est félicité de l’adoption de la nouvelle loi, qu’il a qualifiée «d’historique».



par Sabine  Cessou

Article publié le 30/06/2002