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Afrique du Sud

Condamnation des maîtres-chiens de la police

Pour les trois immigrés mozambicains agressés par des maîtres chien de la police, la partie est gagnée. Les peines de 4 à 5 ans de prison fermes auxquelles quatre policiers ont été condamnés hier ont satisfait leurs avocats. Tournées en janvier 1998 en vidéo amateur par les policiers eux-mêmes, les images de ces trois hommes noirs molestés par six policiers blancs et mordus par des bergers allemands ont fait le tour du monde, il y a un an.
De notre correspondante en Afrique du Sud

La cassette vidéo était parvenue trois ans plus tard à la South African Broadcasting Corporation (SABC) par les bons soins de l’épouse de l’un des policiers, alors en pleine procédure de divorce…

Ces quelques minutes d’une rare violence ont choqué, révélant au monde entier la persistance de brutalités policières dignes de l’ancien régime de l’apartheid. Inculpés pour coups et blessures, Jacobus Smith, Lodewyk Koch, Robert Henzen et Eugene Truter ont plaidé coupable et écopé des peines maximales. Pour l’exemple. Deux autres de leurs collègues, Nicolaas Loubser et Dino Guiotto, ont choisi de plaider non coupable. Leur procès se déroulera donc séparément, en juin 2002. En attendant, le message adressé à la police par les juges est clair : le temps de l’impunité est terminé.

C’est en vain que les avocats de la défense auront plaidé pour la «pratique courante». Ils ont en effet insisté sur le fait que de telles séances d’entraînement, pratiquées avec des suspects interpellés comme cobayes humains, ont été fréquentes au sein de la police. Et ce, même si la hiérarchie s’est désolidarisée des six policiers arrêtés, après la diffusion de la vidéo amateur. «Depuis leur arrestation, chaque commandant a fait semblant de n’avoir jamais entendu parler de cette pratique et a essayé de la circonscrire à une conduite raciste individuelle», a dénoncé l’avocat Peet Coetsee.

Le temps de l’impunité est terminé

Appelée à la rescousse par la défense, une criminologue a pour sa part présenté les maîtres-chiens comme les «victimes d’un système policier dans lequel une sous-culture de violence existe encore». Un système dans lequel des individus peuvent se fondre dans un groupe «devenu un monstre incontrôlable». «Nous savions tous que ce que nous faisions était mal», a témoigné Hannes Brits, un collègue des accusés, membre comme eux de l’unité de maîtres-chiens de l’East Rand, une grande banlieue de Johannesburg. «Mais nous pensions que c’était justifié dans le contexte de la criminalité, a poursuivi Hannes Brits, et que notre méthode servait une plus vaste cause».

Dans la salle, une représentante de la Commission sud-africaine des droits de l’homme (SAHRC) n’en a pas cru ses oreilles. «Il me paraît alarmant que des criminels soit considérés comme des animaux de foire dans le cadre d’un programme d’entraînement», a commenté Jody Kollapen, «comme si la police n’était pas concernée par l’évolution des droits de l’homme dans la société en général». Le procureur de la République, de son côté, a estimé que la brutalité des policiers, leur abus de pouvoir, les dommages causés à l’image de la police, sans oublier la vulnérabilité des victimes, raflées en ville et amenées en rase campagne pour l’entraînement des chiens, constituaient autant de circonstances aggravantes.

Présents pendant le procès, les trois victimes, Sylvester Cose, Pedro et Alexandre Timane n’ont soufflé mot. Encore traumatisés, la tête enfouie dans les mains, les trois hommes ont écouté avec attention les arguments de la défense. Les avocats ont sollicité la clémence des magistrats, estimant que les accusés avaient déjà «payé», en quelque sorte, depuis leur suspension de la police. D’une extrême fermeté, le procureur de la République a souligné la gravité des violations des droits de l’homme perpétrées à l’encontre des victimes, même si ces dernières avaient été arrêtées sans papiers.

Pour la justice sud-africaine, ce verdict représente un tournant important. Pour une fois, le bon vieux système des deux poids, deux mesures, n’aura pas fonctionné. Médiatisation oblige, la fraternité souvent observée entre magistrats et accusés appartenant à la même communauté blanche, notamment dans des affaires les opposant à des Noirs, n’aura pas pesé sur le verdict.



par Sabine  Cessou

Article publié le 30/11/2001