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Afrique du Sud

La complainte du fermier blanc

«Nous sommes la catégorie socio-professionnelle la plus frappée par les meurtres, avant les policiers». La complainte du fermier blanc sud-africain a été une fois de plus entonnée, lors de la conférence nationale sur la sécurité dans les zones rurales qui s'est tenue du 23 au 25 octobre dernier à Johannesburg. Et pour cause. Depuis l'avènement de la démocratie en 1994, les meurtres de fermiers blancs se poursuivent, à un rythme moyen d'une centaine par an.
De notre correspondante en Afrique du Sud

Une opinion répandue chez les Boers (fermiers afrikaners) veut que ces assassinats fassent partie d'un complot politique orchestré pour leur faire quitter leurs terres. La police, elle, penche pour des crimes crapuleux, parfois attisés par une volonté de revanche raciale. Les sociologues dénoncent de leur côté les lenteurs de la politique de redistribution des terres engagée par le gouvernement, mais surtout le rapport de domination qui existe encore entre les fermiers blancs et leur main-d'oeuvre noire, peu syndicalisée, taillable et corvéable à merci.

Complot ou pas, affirment des représentants de la centrale syndicale des grands exploitants Agriculture South Africa (Agri SA), le résultat est le même : avec les informaticiens, les médecins et les enseignants, les fermiers sont les plus nombreux à vouloir quitter l'Afrique du Sud pour s'installer à l'étranger.

Pire qu'au Zimbabwe

Johan van Rensburg, un grand exploitant de Kimberley, est d'accord avec le président Thabo Mbeki pour dire que la situation en Afrique du Sud est «pire» qu'au Zimbabwe voisin. Au pays de Robert Mugabe, les invasions de fermes commencées en février 2000 se sont soldées par de nombreuses violences, sans faire plus de 10 morts du côté des fermiers blancs. « Un bilan dérisoire, comparé à l'hécatombe en cours dans les campagnes sud-africaines », affirme Johan van Rensburg. Quant aux inégalités héritées du passé, force est de constater une situation beaucoup plus critique en Afrique du Sud, où plus de 85 % des terres arables sont aux mains de propriétaires Blancs, contre 65 % au Zimbabwe. Le tissu de petits fermiers noirs zimbabwéens cultivant des terres communales est inexistant en Afrique du Sud.

Bien qu'elles se soient déjà produites çà et là, de manière sporadique, les invasions ne représentent pas une réelle menace au pays de Thabo Mbeki. « La différence majeure avec le Zimbabwe, explique Anne-Lise Crosby, conseillère juridique du syndicat Agri SA, tient au fait que les autorités sud-africaines se sont engagées à respecter la Constitution et le droit à la propriété privée. A priori, la question des terres ne sera pas instrumentalisée à des fins politiques ».

Il n'empêche, les tensions économiques, sociales et raciales sont bien réelles. «La question des terres est une bombe à retardement pour le gouvernement», estime Eugene Roloefse, un Afrikaner septuagénaire de la province de l'Etat libre qui prend fait et cause pour les ouvriers agricoles noirs victimes des violences de leurs patrons. A son avis, il ne suffira pas de vendre des fermes ou de restituer des terres. «Il faudra bien que les fermiers se réveillent un jour, affirme-t-il, pour admettre que la plupart des meurtres dont ils sont les victimes sont perpétrés par leurs propres employés. Pourquoi les coups de fouet donnés aux hommes et les balles tirées sur des enfants ne sont-ils pas inclus dans la définition des attaques de fermes ?».

Les Boers, de leur côté, ont le sentiment d'être diabolisés par les médias et les «politiciens». Le fond du problème tient sans doute à un rapport d'autorité. Les 50 000 fermes que compte le pays sont autant de petits Etats dans l'Etat, gérés comme bon leur semble par de petits seigneurs mi-féodaux mi-coloniaux. Ces derniers ne se font pas prier pour relayer sur leur domaine la puissance publique, en construisant écoles, logements, en assurant l'électrification et l'approvisionnement en eau de ceux qu'ils appellent «leurs gens». Il leur est d'autant plus difficile d'accepter de nouvelles règles du jeu qu'ils s'estiment toujours aussi négligés que par le passé. Les nouvelles autorités, déplorent-ils, refusent de subventionner l'agriculture du pays, livrée à la concurrence internationale.



par Sabine  Cessou

Article publié le 30/10/2001