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Afrique du Sud

Pardon et impunité

Quelque dix ans après le démantèlement de l'apartheid, l'heure est aux bilans. Au terme de six années d'audition, le comité d'amnistie de la Commission Vérité et Réconciliation a cessé ses activités : sur plus de 7 000 demandes de pardon reçues par cette instance pour les crimes commis sous l'apartheid, moins d'un millier a été accordée. Le pays a fait son mea culpa mais les criminels sont en liberté.
Elle ne sera officiellement dissoute qu'en décembre prochain. La commission, qui devait réconcilier Blancs et Noirs et permettre de faire toute la lumière sur les crimes commis sous le régime de ségrégation raciale, rendra son tablier à la fin de l'année. En mars dernier, elle avait accordé 913 demandes d'amnistie sur les 7 100 demandes de pardon reçues pour crimes commis sous l'apartheid et en avait refusé 5 457. Le comité Amnistie, qui vient de cesser ses travaux, est composé de juges et d'avocats : il a entendu des dizaines de policiers et de fonctionnaires. Unique au monde, la Commission Vérité et Réconciliation aura mis face à face, pendant six ans, bourreaux et victimes et confronté les Sud-Africains à leur histoire. Tour à tour, les partis politiques, la presse, les médecins, les religieux et les hommes d'affaires sont venus expliquer leur rôle pendant ces sombres décennies.

Mise en place en 1995 après l'arrivée historique des Noirs au pouvoir, et présidée par l'un des symboles de la lutte contre l'apartheid, l'archevêque anglican Desmond Tutu, (Prix Nobel de la Paix), la Commission Vérité et Réconciliation a entendu près de 20 000 victimes. La loi lui a donné le pouvoir d'accorder le pardon à ceux qui confessent des crimes politiques entre 1960 et avril 1994.

Dès le début des ses travaux en avril 1996, ses auditions publiques ont donné lieu à des scènes poignantes, au cours de face à face entre bourreaux et victimes, retransmis à la télévision. La Commission a entendu des témoignages accablants, des récits des familles et des proches de victimes sur les assassinats. Les dérapages et les excès liés à la lutte contre l'apartheid ont également été consignés dans les rapports de la Commission : les actes de terrorisme de l'extrême-gauche, les bavures de la lutte de libération, les excès des camps militaires du Congrès National africain (ANC) à l'étranger, les actes de violences entre l'ANC et l'IFP (le parti zoulou Inkhata) ont été évoqués pendant ce vaste mea culpa général, qui fait figure de thérapie collective dans la mesure ou les injustices passées ont reçu une reconnaissance officielle. Mais les criminels courent toujours, faute de sanction.

Technologie meurtrière

C'est là l'un des principaux reproches faits à cette instance unique au monde qui n'a ni le pouvoir de sanctionner, ni celui de condamner pénalement. Ainsi les cas des meurtriers d'extrême-droite du dirigeant communiste Chris Hani et celui des tortionnaires de Steve Biko (mort en détention en 1977) ont-ils fortement mobilisé l'opinion publique. L'exemple le plus frappant d'impunité ou d'absence de poursuite est celui de Wouter Basson. Ce médecin cardiologue, surnommé «le docteur La mort» ou «le Docteur Mengele d'Afrique du Sud», a dirigé dans les laboratoires militaires de l'apartheid le programme «Project Coast».

Les Sud-Africains ont découvert que leur pays avait lancé un programme de recherche sur l'arme chimique et que le docteur Basson a été accusé d'avoir revendu certaines formules à des pays tiers comme la Libye ou l'Irak. Le sinistre programme de guerre chimique et bactériologique était également destiné, grâce à une technologie hautement meurtrière (empoisonnement, objets piégés, stérilisation des femmes à) à éliminer les Noirs d'Afrique du Sud dont Basson aurait été l'instigateur. Basson est accusé du meurtre d'au moins seize militants anti-apartheid et quatre-vingt-cinq chefs d'accusation sont retenus contre lui. Jugé par la Haute cour de Justice de Pretoria en octobre 1999, à la suite de nombreuses allégations faites devant la Commission Vérité et Réconciliation de la part de témoins, il plaide non coupable. Il est aujourd'hui libre, sous haute protection policière et des services secrets sud-africains. Les plaies de l'apartheid ne sont pas encore pansées.



par Sylvie  Berruet

Article publié le 04/06/2001