Afrique du Sud
Le long voyage de la Vénus hottentote
La «Vénus hottentote» devrait enfin connaître une sépulture décente dans son pays natal, l’Afrique du Sud. La jeune femme est morte à Paris en 1816, à l’âge de 27 ans, après y avoir été exhibée comme une bête curieuse. Aujourd’hui, elle est en Afrique du Sud le symbole de l’humiliation subie par son peuple durant la colonisation. Le parlement français a donné son feu vert jeudi au retour de sa dépouille en Afrique du Sud.
On la surnomme la «Vénus hottentote». Cette jeune femme, également connue sous le nom hollandais de Saartjie Baartman, est morte à Paris en 1816 après y avoir été exhibée tel un animal de foire et objet de curiosité sexuelle. Aujourd’hui, elle est devenue en Afrique du Sud le symbole de l’humiliation vécue par les ethnies sud-africaines durant la colonisation. Après presque deux cents ans d’absence, la Vénus sud-africaine devrait bientôt quitter les collections du Musée national d’histoire naturelle de Paris pour retourner sur sa terre natale. Le Sénat et la commission des Affaires sociales de l'Assemblée nationale française ont en effet adopté les 29 et 30 janvier une proposition de loi allant en ce sens. Et l'Assemblée s'est prononcée jeudi soir à l'unanimité en faveur du texte. Dès l'entrée en vigueur de cette loi, Saartjie devrait enfin retrouver une sépulture décente dans un délai de deux mois.
Saartjie Baartman est née en 1789, dans une Afrique du Sud sous domination boer, sur les bords de la rivière Gamtoos. D'origine hottentote, elle est capturée après le massacre de sa famille. Saartjie n'est alors qu’une enfant. Réduite en esclavage par un fermier hollandais du Cap, elle est amenée à Londres vers 1810 par un médecin de marine anglais. La jeune fille perd alors son identité pour devenir Saartjie Baartman: son prénom néerlandais signifie Sarah, et «Baartman», signifie «barbu». La jeune fille était alors persuadée qu'elle ferait fortune en montrant son corps aux Européens.
Mais un long calvaire commence pour Saartjie. En fait de fortune à Londres, elle est exhibée dans les cirques, les musées, les bars et les universités comme une véritable bête de foire. Jusqu’à ce qu’une organisation anti-esclavagiste, «l’institution africaine», porte plainte contre cette pratique. Mais si l’horreur cesse en Angleterre, elle se poursuit en France. Objet de curiosité sexuelle en raison de sa morphologie, Saartjie poursuit sa triste destinée, entre misère et prostitution, à Paris. Elle y est exhibée, notamment au Jardin des plantes, par un certain Réaux: un montreur d’animaux.
Au delà de son succès populaire, la jeune fille, âgée d’une vingtaine d’années, éveille l'intérêt des scientifiques. Ils l’appellent la «Vénus hottentote», surnom inspiré par ses particularités physiques, exagérées pour attiser la curiosité du public. Victime du colonialisme, du sexisme et du racisme, Saartjie ne résiste pas longtemps au sort qui lui est réservé et s’éteint en hiver 1816, probablement d’une pneumonie. Elle avait 27 ans.
L’Afrique du Sud attend toujours le retour de sa Vénus
Mais son histoire ne s’arrête pas là. Georges Cuvier, professeur d’anatomie comparée au Museum national d’histoire naturelle procède alors au moulage de son corps avant de le disséquer dans son laboratoire, en dépit d’une ordonnance impériale qui n’autorise cette opération qu’à l’hôpital de la Pitié. Le professeur Cuvier prélève alors la vulve du macabée, son anus et son cerveau, destinés a être conservés dans des bocaux. Et c’est ainsi que la Venus hottentote entre au Museum national d’histoire naturelle, conservée dans du formol. Du vivant de la jeune femme, le professeur Cuvier, qui avait déjà pu l’examiner, avait au préalable noté: «ses mouvements avaient quelque chose de brusque et de capricieux qui rappelait ceux du singe».
Au siècle suivant, le squelette de Saartjie est exposé au musée de l'Homme jusqu’en 1976, «comme un vulgaire trophée ramené d'Afrique». La dernière apparition publique du squelette de Saartjie date de 1994, lors d’une exposition au Musée d’Orsay. «Aujourd'hui, les restes de cette femme pourrissent dans une remise du Musée de l'Homme», conclut Nicolas About, sénateur des Yvelines et auteur de la proposition de loi.
Mais miss Baartman n’est pas encore rentrée, et n’a pas encore gagné son repos éternel. Lorsque Nicolas About évoque le retour de la Vénus hottentote en Afrique du Sud, le 6 novembre 2001, il lui est répondu que les «biens du domaine public» étant inaliénables, une loi est nécessaire. Une proposition est donc faite le 4 décembre. Entre temps, le ministre de la Recherche Roger-Gérard Schwartzenberg, rappelle que selon la loi sur la bioéthique de 1994, les restes humains ne peuvent pas être propriété de l’Etat, et qu’aucune loi n’est donc nécessaire pour le retour des restes de la Vénus sud-africaine.
A l’imbroglio juridique s’ajoute celui d’ordre diplomatique. Le gouvernement français invoque aussi une non-demande officielle des autorités sud-africaines, en dépit de nombreuses sollicitations orales au niveau gouvernemental, et ce, dès 1994. Le ministre sud-africain de la culture doit alors confirmer qu’il attend toujours la restitution des restes de Saartjie Baartman. Des restes dont il a fallu rappeler que l'origine de l'intérêt qui leur était porté était dû à des considérations plus racistes que scientifiques.
Enfin, la question en suspens est encore de savoir ce qu’il sera possible de rendre aux Sud-Africains. On sait que le squelette monté et le moulage en plâtre de Saartje sont au Musée de l’Homme. En revanche, les pièces anatomiques prélevées lors de la dissection auraient été accidentellement détruites au Museum national d’histoire naturelle, à cause de l’effondrement d’une étagère, en 1983 ou 1984. Mais le week-end dernier, nouveau rebondissement. Les bocaux, dont on n’avait nulle trace jusqu’à présent, figureraient bien (ou plutôt à nouveau) sur l’inventaire du musée de l’Homme. Néanmoins, à ce jour, personne ne les a vus.
En Afrique du Sud, Sartjie est bel et bien attendue. Il aura fallu près de dix ans aux Sud-africains pour voir renaître l’espoir de rendre à Saartjie ce qui lui est dû: les honneurs de son peuple et reposer en paix dans une sépulture décente. A l’annonce d’une perspective de retour de Saarjie, des représentants de la communauté Khoïsan, à laquelle appartient la jeune femme, ont même évoqué même l'hypothèse de funérailles «nationales» Car restituer leur Vénus aux Sud-africains, c’est leur restituer une partie de leur passé, déjà malmené par l’histoire coloniale.
Ecouter également:
Gérard Badou, auteur de L'énigme de la Vénus hottentote qui répond aux questions de Stanislas Ndayishimiye.
Saartjie Baartman est née en 1789, dans une Afrique du Sud sous domination boer, sur les bords de la rivière Gamtoos. D'origine hottentote, elle est capturée après le massacre de sa famille. Saartjie n'est alors qu’une enfant. Réduite en esclavage par un fermier hollandais du Cap, elle est amenée à Londres vers 1810 par un médecin de marine anglais. La jeune fille perd alors son identité pour devenir Saartjie Baartman: son prénom néerlandais signifie Sarah, et «Baartman», signifie «barbu». La jeune fille était alors persuadée qu'elle ferait fortune en montrant son corps aux Européens.
Mais un long calvaire commence pour Saartjie. En fait de fortune à Londres, elle est exhibée dans les cirques, les musées, les bars et les universités comme une véritable bête de foire. Jusqu’à ce qu’une organisation anti-esclavagiste, «l’institution africaine», porte plainte contre cette pratique. Mais si l’horreur cesse en Angleterre, elle se poursuit en France. Objet de curiosité sexuelle en raison de sa morphologie, Saartjie poursuit sa triste destinée, entre misère et prostitution, à Paris. Elle y est exhibée, notamment au Jardin des plantes, par un certain Réaux: un montreur d’animaux.
Au delà de son succès populaire, la jeune fille, âgée d’une vingtaine d’années, éveille l'intérêt des scientifiques. Ils l’appellent la «Vénus hottentote», surnom inspiré par ses particularités physiques, exagérées pour attiser la curiosité du public. Victime du colonialisme, du sexisme et du racisme, Saartjie ne résiste pas longtemps au sort qui lui est réservé et s’éteint en hiver 1816, probablement d’une pneumonie. Elle avait 27 ans.
L’Afrique du Sud attend toujours le retour de sa Vénus
Mais son histoire ne s’arrête pas là. Georges Cuvier, professeur d’anatomie comparée au Museum national d’histoire naturelle procède alors au moulage de son corps avant de le disséquer dans son laboratoire, en dépit d’une ordonnance impériale qui n’autorise cette opération qu’à l’hôpital de la Pitié. Le professeur Cuvier prélève alors la vulve du macabée, son anus et son cerveau, destinés a être conservés dans des bocaux. Et c’est ainsi que la Venus hottentote entre au Museum national d’histoire naturelle, conservée dans du formol. Du vivant de la jeune femme, le professeur Cuvier, qui avait déjà pu l’examiner, avait au préalable noté: «ses mouvements avaient quelque chose de brusque et de capricieux qui rappelait ceux du singe».
Au siècle suivant, le squelette de Saartjie est exposé au musée de l'Homme jusqu’en 1976, «comme un vulgaire trophée ramené d'Afrique». La dernière apparition publique du squelette de Saartjie date de 1994, lors d’une exposition au Musée d’Orsay. «Aujourd'hui, les restes de cette femme pourrissent dans une remise du Musée de l'Homme», conclut Nicolas About, sénateur des Yvelines et auteur de la proposition de loi.
Mais miss Baartman n’est pas encore rentrée, et n’a pas encore gagné son repos éternel. Lorsque Nicolas About évoque le retour de la Vénus hottentote en Afrique du Sud, le 6 novembre 2001, il lui est répondu que les «biens du domaine public» étant inaliénables, une loi est nécessaire. Une proposition est donc faite le 4 décembre. Entre temps, le ministre de la Recherche Roger-Gérard Schwartzenberg, rappelle que selon la loi sur la bioéthique de 1994, les restes humains ne peuvent pas être propriété de l’Etat, et qu’aucune loi n’est donc nécessaire pour le retour des restes de la Vénus sud-africaine.
A l’imbroglio juridique s’ajoute celui d’ordre diplomatique. Le gouvernement français invoque aussi une non-demande officielle des autorités sud-africaines, en dépit de nombreuses sollicitations orales au niveau gouvernemental, et ce, dès 1994. Le ministre sud-africain de la culture doit alors confirmer qu’il attend toujours la restitution des restes de Saartjie Baartman. Des restes dont il a fallu rappeler que l'origine de l'intérêt qui leur était porté était dû à des considérations plus racistes que scientifiques.
Enfin, la question en suspens est encore de savoir ce qu’il sera possible de rendre aux Sud-Africains. On sait que le squelette monté et le moulage en plâtre de Saartje sont au Musée de l’Homme. En revanche, les pièces anatomiques prélevées lors de la dissection auraient été accidentellement détruites au Museum national d’histoire naturelle, à cause de l’effondrement d’une étagère, en 1983 ou 1984. Mais le week-end dernier, nouveau rebondissement. Les bocaux, dont on n’avait nulle trace jusqu’à présent, figureraient bien (ou plutôt à nouveau) sur l’inventaire du musée de l’Homme. Néanmoins, à ce jour, personne ne les a vus.
En Afrique du Sud, Sartjie est bel et bien attendue. Il aura fallu près de dix ans aux Sud-africains pour voir renaître l’espoir de rendre à Saartjie ce qui lui est dû: les honneurs de son peuple et reposer en paix dans une sépulture décente. A l’annonce d’une perspective de retour de Saarjie, des représentants de la communauté Khoïsan, à laquelle appartient la jeune femme, ont même évoqué même l'hypothèse de funérailles «nationales» Car restituer leur Vénus aux Sud-africains, c’est leur restituer une partie de leur passé, déjà malmené par l’histoire coloniale.
Ecouter également:
Gérard Badou, auteur de L'énigme de la Vénus hottentote qui répond aux questions de Stanislas Ndayishimiye.
par Céline Boileau
Article publié le 22/02/2002