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Afrique du Sud

L’acquittement controversé du «<i>docteur de la mort</i>»

L’acquittement de Wouter Basson, prononcé le 11 avril dernier par la Haute cour de justice de Pretoria, provoque un tollé en Afrique du Sud. L’Etat fera appel contre le «docteur de la mort», un scientifique chargé par l’apartheid, entre autres, de mettre au point un poison ne tuant que les Noirs.
De notre correspondante en Afrique du Sud

Les yeux écarquillés et les sourcils levés, Wouter Basson lui-même, à l’annonce de son acquittement le 11 avril dernier, ne semblait pas en croire ses oreilles. «Je me sens comme un jeune de 16 ans avec une voiture neuve, mais qui n’a pas encore son permis», a-t-il ensuite déclaré, se gardant bien de parader après sa victoire.

Allant de la fraude au meurtre, aucun des 46 chefs d’inculpation retenus contre le maître d’oeuvre de la guerre chimique lancée par l’apartheid contre ses opposants n’aura été étayé par des preuves suffisantes, après deux ans et demi de procès. Ce verdict a été rendu par le juge blanc Willie Hartzenberg, accusé de parti pris en faveur du tristement célèbre «docteur de la mort». Il a choqué l’Afrique du Sud sans vraiment la surprendre.

Si l’Etat a aussitôt annoncé son intention de faire appel, les réactions ont été peu abondantes. Le Congrès national africain (ANC), qui fut la principale cible des recherches de Wouter Basson, a crié au scandale par voie de communiqué, sans aucun commentaire de ses responsables. Manifestement, indique-t-on de sources proches du parti au pouvoir, les procureurs de la République ont embarrassé le gouvernement, qui a payé la totalité de la facture de ce procès, quelque 40 millions de rands, en ne travaillant pas leur dossier comme il l’aurait fallu.

Seul Desmond Tutu s’est indigné

D’autres estiment que Wouter Basson reste intouchable, comme avant lui l’ancien ministre de la Défense Magnus Malan, acquitté en 1996, en raison des informations ultrasensibles qu’il détient. Et, peut-être, de la contribution qu’il peut encore apporter à des programmes chimiques qui ne seraient pas sans intéresser les autorités de la «nouvelle» Afrique du Sud.

Desmond Tutu, ancien président de la Commission vérité et réconciliation (TRC), est la seule personnalité à s’être publiquement indignée. L’archevêque a rappelé que le juge Hartzenberg avait clairement indiqué, dès le début du procès, qu’il ne croyait pas à la thèse de l’accusation. «Un coup très dur porté à la procédure judiciaire», a insisté Desmond Tutu.

Sans attendre de voir quelle tournure prendra l’appel intenté par l’Etat, de nouveaux tourments ont été promis à Wouter Basson. Une action disciplinaire pour non respect de l’éthique médicale a été envisagée par le Conseil sud-africains des professions médicales (HPCSA). Elle pourrait valoir au médecin, qui exerce toujours dans un hôpital de Pretoria, d’être suspendu à 60 ans, à l’âge de la retraite.

La Namibie a par ailleurs évoqué une procédure d’extradition pour juger l’expert de guerre bactériologique pour des crimes commis sur son territoire. Les audiences de la TRC ont en effet révélé que près de 200 membres de l’Organisation du peuple du sud-ouest africain (Swapo, l’ancien mouvement de libération nationale) ont été empoisonnés avec l’aide de Basson dans un camp de détention dans les années 1980, avant d’être jetés d’un avion dans l’Océan Atlantique. Wouter Basson a également été accusé de projeter la contamination par le bacille du choléra de l’approvisionnement en eau d’un camp de réfugiés de la Swapo.

La liste est longue, des exactions auxquelles Wouter Basson aurait participé. Elle va de la mort à laquelle Frank Chikane, l’actuel directeur de cabinet du président Thabo Mbeki, a échappé de justesse, après avoir été intoxiqué par un poison déposé sur ses vêtements, à l’approvisionnement massif des township du pays en mandrax, une drogue produite sur place par le régime de l’apartheid pour mieux étouffer toute velléité de révolte.

Le scientifique, de son côté, se prépare à la contre-attaque. Affirmant n’avoir «aucun regret» quant à sa «carrière militaire», il pourrait intenter à son tour des procès pour diffamation et même une atteinte aux droits de l’Homme. Il n’a pas pardonné au Bureau des crimes économiques (Oseo) l’humiliation subie le jour de son arrestation, les menottes lui ayant été passées aux poignets devant sa femme et ses enfants. «Dans une démocratie comme la nôtre, qui a été gagnée durement, je ne souhaite à personne ce type de traitement», a déclaré le 12 avril dernier Wouter Basson, en homme libre.



par Sabine  Cessou

Article publié le 16/04/2002