Israël
Un ultra à un poste-clé
(Photo : AFP)
C’est une personnalité aux positions extrémistes et aux déclarations fracassantes qui fait son entrée au gouvernement israélien. Le 21 janvier 2001, Avigdor Lieberman menaçait, en cas d’attaque palestinienne, de « bombarder Beit Jala (un faubourg de Bethléem – Cisjordanie), Téhéran, Le Caire et le barrage d’Assouan ». Dans son livre Ma vérité, le chef du parti Israël Beitenou (Israël est notre maison) se fait le champion de la colonisation et préconise, notamment, « de placer la plupart des Arabes sous autorité palestinienne en excluant les villages arabes des territoires sous souveraineté israélienne », de façon à créer « deux Etats ethniquement homogènes ».
Cet homme de 48 ans, originaire de Moldavie et dont l’électorat vient principalement de l’ancienne Union soviétique, n’est pas avare de solutions radicales et musclées, ce qui lui vaut l’hostilité farouche des partis de gauche et des Arabes israéliens (1,3 million de personnes). Ahmed Tibi, président du parti Raam-Taal, voit ainsi en Avigdor Lieberman l’expression du « fascisme et du racisme ». Dans un entretien au quotidien Haaretz (gauche), le député arabe israélien a déclaré que Lieberman était « l’équivalent israélien de Jean-Marie Le Pen et Joerg Haider », deux extrémistes de droite français et autrichien.
Ce n’est pas la première fois qu’Avigdor Lieberman obtient un portefeuille ministériel. Ancien haut dirigeant du Likoud (droite), il fut, notamment, en 2001, ministre des Infrastructures nationales dans le cabinet d’union dirigé par Ariel Sharon. Il démissionnera dès 2002, estimant que les mesures prises ne sont pas assez fermes à l’égard des Palestiniens. Ce qui ne l’empêche pas d’intégrer le nouveau gouvernement Sharon en février 2003, en tant que ministre des Transports. Puis de s’en faire exclure en juillet 2004, après avoir critiqué le plan Sharon de retrait unilatéral de la bande de Gaza.
« Je suis heureux de ce ralliement »
Aujourd’hui, c’est au moment où la popularité de sa formation monte fortement qu’il rejoint la coalition menée par le Premier ministre Ehud Olmert (parti Kadima, centre) et soutenue par le parti travailliste (gauche) du ministre de la Défense Amir Peretz. Une récente enquête d’opinion indique que le parti russophone obtiendrait pas moins de vingt députés, contre onze actuellement. Lundi, lors du vote du cabinet, vingt-deux ministres sauf un – le travailliste Ophir Pines-Paz, qui a ensuite démissionné – ont voté pour le ralliement d’Avigdor Lieberman, qui devient ministre des Affaires stratégiques, poste crée à son intention où il sera en charge du dossier nucléaire iranien.
« Je suis heureux de ce ralliement, s'est félicité Ehud Olmert. Et j'apprécie l'attitude des travaillistes (...) Ces développements vont renforcer notre coopération et donner une large assise au gouvernement ». Son cabinet peut en effet, désormais, compter sur 78 députés sur 120 à la Chambre, majorité confortable qui devrait lui permettre d’achever son mandat. Réuni dimanche soir dans un grand hôtel de Tel Aviv, le Comité central du parti travailliste avait voté, à une forte majorité, la motion défendue par Amir Peretz, partisan de rester dans le gouvernement malgré l’arrivée de l’extrême droite. Du reste, le parti de gauche avait déjà participé au gouvernement Sharon en 2001, aux côtés d’Israël Beteinou.
Si les pragmatiques travaillistes l’ont emporté sur les partisans d’un retrait, c’est que leur parti est actuellement en chute libre dans l’opinion. En se retirant, le parti de gauche se serait mis dans l’obligation de voter contre le budget 2007, ce qui aurait entraîné la chute du gouvernement, donc de nouvelles élections et une déroute quasi assurée. Amir Peretz, très critiqué, en tant que ministre de la Défense, pour les ratés de la guerre au Liban, a tenté de faire diversion : « Il faut faire preuve de responsabilité vis-à-vis de l’Etat d’Israël. En restant au gouvernement, nous empêcherons les vues extrémistes de Lieberman de devenir réalité ».
Un projet pour stabiliser la vie politique israélienne
Ehud Olmert n’est guère en meilleure posture. Malmené, lui aussi, dans les sondages, il se voit devancé, dans les intentions de vote, par le chef de l'opposition de droite, l’ancien Premier ministre Benjamin Netanyahu. Olmert est jugé responsable, lui aussi, de l’infructueux conflit contre le Hezbollah, cet été. Il est, en outre, impliqué, dans plusieurs affaires de corruption. Dimanche encore, la justice a ordonné l’ouverture d’une « enquête préliminaire » sur son éventuelle implication dans les délits liés à la privatisation d’une banque.
Politiquement fragilisé par un allié travailliste en proie à des divisions, le Premier ministre cherche donc à sécuriser son assise et à élargir sa coalition. En échange du ralliement des onze députés d’Avigdor Lieberman, Ehud Olmert lui a accordé, outre le poste ministériel, l’adoption d’un projet de réforme institutionnel défendu par le chef d’extrême droite et visant à stabiliser la vie politique israélienne. Le texte, qui prévoit notamment que le Premier ministre soit élu au suffrage universel afin d’empêcher son renversement par la Knesset, devra être soumis prochainement aux députés.
Selon le Jerusalem Post, Ehud Olmert cherche, à présent, à rallier également les six députés du Judaïsme unifié de la Torah (religieux orthodoxe). Le Premier ministre « envisage de tout mettre en œuvre dans les prochaines semaines (…) et estime avoir toutes ses chances de parvenir à un accord », écrit le quotidien.
En attendant, Avigdor Lieberman trouve l’occasion de polir son discours et de s’afficher en homme politique responsable, soucieux de l’avenir de son pays. Il dit vouloir travailler « pour le bien d’Israël ». Avec ses onze députés, il aurait pu exiger davantage d’Ehud Olmert. Mais il trouve là l’occasion de mettre en place sa stratégie en vue des prochaines élections et de disputer à Benjamin Netanyahu, dont il a été chef de cabinet, la première place à la droite de l’échiquier politique.par Philippe Quillerier
Article publié le 30/10/2006 Dernière mise à jour le 30/10/2006 à 17:02 TU