Guyane
Une zone de non-droit entre deux rives
(Photo : Frédéric Farine/RFI)
Armand Moussa et Soupé Poïté, deux orpailleurs français de Maripasoula ont été jugés par défaut mercredi à Cayenne pour enlèvement, tortures, actes de barbarie, vol et assassinat à l’encontre de deux ressortissants Brésiliens, dont l’un a perdu la vie. Les deux accusés ne se sont pas présentés à leur procès en cour d’assises où le ministère public avait requis la réclusion à perpétuité pour Poïté. Ce dernier a finalement été acquitté, Moussa étant sanctionné de trois ans de prison ferme pour «vol de papiers d’identité». Un verdict d’une surprenante clémence pour des accusés visiblement récidivistes. Le procureur de la République fait appel.
De notre correspondant à Cayenne
«C’est le procès de l’absence d’Etat de droit à Maripasoula», confiait René Kerhousse, l’avocat de la partie civile, la veille du procès. «J’espère que mon client viendra», indiquait pour sa part Emile Tshefu, l’avocat de l’un des deux accusés, Armand Moussa, ajoutant : «il nie les faits». Mercredi, à l’entame du procès, Me Tshefu a finalement renoncé à plaider. Les deux accusés ne sont pas venus. Le plaignant, Isaïs Souza Santos, non plus. «Cela m’inquiète, je n’ai plus de nouvelles de lui, alors qu’il a suivi la procédure jusqu’à son terme mi 2005», glissait peu avant l’audience son avocat.
Un homme est mort
Les faits remontent aux 25 janvier 2001. Ce jour là vers 17 heures, Isaïas Souza Santos et Agostinho Rodrigues Pereira, deux Brésiliens, accostent en pirogue à Maripasoula, une commune du Sud-Ouest guyanais, enclavée entre fleuve et forêt, à la frontière du Surinam. «A Maripasoula, les deux hommes suivent volontairement un groupe de Boschs, des Noirs marrons surinamais [sic] qui proposent de leur trouver du travail au Surinam», assure à la barre le gendarme Philippe Amiet, qui a entendu, le 2 février 2001 à l’hôpital de Cayenne, un Isaïas Souza «très diminué». La veille, ce dernier avait donné une toute autre version à deux journalistes venus à son chevet, expliquant qu’à peine arrivé dans un commerce de Maripasoula avec son compagnon de 61 ans «Maranhao» (le surnom de Pereira), les deux Brésiliens avaient été interpellés par un groupe d’hommes qui leur avaient confisqué leurs papiers avant de les contraindre à embarquer sur une pirogue.
Classée sans suite le 21 mai 2001, l’enquête est relancée par une plainte du Brésilien Isaïas Souza en juillet 2001. L’instruction repart. Selon son témoignage, lu à l’audience, les deux Brésiliens, à peine arrivés à Maripasoula sont abordés dans un magasin par des individus qui leur auraient lancé: «ici la police c’est nous», avant de les délester de leurs biens (les menottant, selon certains témoignages) et de les séquestrer. Selon l’arrêt de renvoi, Soupé Poïté, le second accusé a été identifié par plusieurs témoins à Maripasoula comme membre d’un groupe de «quatre Blacks, deux devant, deux derrière, encadrant deux Brésiliens et se dirigeant vers le fleuve».
Les deux Brésiliens sont emmenés en pirogue, sur une rive inhabitée du Surinam (en pleine forêt), passés à tabac, ligotés à un arbre et abandonnés avec plusieurs balles dans les jambes. Ils parviennent à ronger leurs liens mais Pereira décède. Isaïas Souza passe 4 jours seul en forêt avant d’être secouru par deux piroguiers moyennant la promesse de 30 grammes d’or. Il est emmené par hélicoptère à l’hôpital de Cayenne, où «son incapacité de travail sera évaluée à 9 mois», note le président de la cour.
Des récidivistes saute-frontières qui se jouent de la justice française
Mercredi, il a été rappelé à l’audience qu’Isaïas Souza a affirmé avoir revu plus tard et identifié celui qui avait «contrôlé puis confisqué» ses papiers à Maripasoula en 2001, Armand Moussa. Et cela, le 18 juin 2002, alors qu’il assistait à Cayenne au procès de quatre orpailleurs de Maripasoula accusés d’avoir séquestré et torturé pendant 4 jours, en novembre 2000, un chercheur d’or brésilien qu’ils soupçonnaient d’être mêlé à un braquage sur un site aurifère. Confronté à Souza, Moussa nie alors les faits. Dans l’affaire de 2000, Moussa avait été condamné à 5 ans de prison ferme avec les trois autres prévenus parmi lesquels, déjà, Soupé Poïté absent à l’audience.
Dans l’affaire d’enlèvement du 25 janvier 2001, l’arrêt de renvoi présente Soupé Poïté comme «le chef de la sécurité» d’un patron orpailleur de Maripasoula, Jean Bena. Le 28 mars 2006, ce dernier a été condamné par défaut à deux ans de prison ferme pour exploitation aurifère illégale. Il s’est depuis réfugié dans sa propriété de Métal, au Surinam… à 20 minutes de pirogue de Maripasoula. Dans l’enquête sur l’enlèvement de 2001, l’un de ses employés brésiliens de Métal affirme avoir surpris une conversation radio fin janvier 2001 entre «Keni» un autre employé de Bena et Soupé Poïté, dans laquelle Poïté se vante de l’assassinat de deux Brésiliens. Selon ce témoignage Jean Bena aurait aussi entendu cette conversation et interdit à Poïté de se rendre à Maripasoula.
«C’était une pratique courante des gens de Métal de prendre le passeport des Brésiliens qui travaillaient pour eux», a lâché un ancien gendarme de Maripasoula cité à l’audience mercredi. «Le groupe armé de Bena faisait régner la terreur avec la bénédiction des autorités au nom de la protection de sites aurifères le plus souvent illégaux», affirme de son côté maître René Kerhousse, l’avocat de la partie civile, ajoutant que «Poïté venait d’être impliqué en décembre 2000 dans le meurtre d’une grand-mère amérindienne dont la maison avait été mitraillée à Maripasoula par une bande armée et en treillis ! ». Une troisième affaire dans laquelle l’expertise balistique avait révélé la présence de balles tirées par des armes de guerre. En outre, il apparaît qu’en 1999, ce même Poïté avait été condamné par contumace à 7 ans de prison pour le viol aggravé d’une Brésilienne. Un crime commis à Maripasoula en 1997.
Des orpailleurs brésiliens asservis en Guyane
Mercredi, Me Kerhousse a réclamé 50 000 euros de dommages et intérêts pour Isaïs Souza: «un miraculé, un religieux qui croit en l’homme et qui venait à Maripasoula pour la première fois de sa vie», plaide-t-il. «C’est une affaire épouvantable ! Savez-vous que ce dossier a fait l’objet d’une question au Parlement brésilien sur la situation d’orpailleurs de ce pays réduits à l’esclavage en Guyane», renchérit l’avocat général Jean-Francis Créon en s’adressant à la cour avant de requérir «la perpétuité pour M. Poïté dont la société doit se protéger (…) 3 ans ferme pour M. Moussa pour vol de papiers car, si je ne dis pas qu’il n’est pas coupable du reste, je n’en ai pas la preuve».
Après une courte délibération, les trois juges professionnels ont acquitté Soupé Poïté et condamné Armand Moussa à 3 ans ferme «pour vols de papiers des 2 victimes» et 2500 euros d’amende dont 1500 de frais de procédure. Abasourdi, le vice-procureur Créon a demandé au président Bernard Picou de répéter l’énoncé du verdict. Trois heures plus tard, le procureur général de Fort de France (Martinique) a fait appel de l’ensemble des décisions civiles et pénales rendues à l’issue de ce procès.
par Frédéric Farine
Article publié le 10/11/2006 Dernière mise à jour le 10/11/2006 à 17:45 TU