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Espionnage

Le mystère Litvinenko

Selon les autorités sanitaires britanniques, l'espion russe serait mort suite à un contact avec du polonium 210, une substance hautement radioactive. 

		(Photo : AFP)
Selon les autorités sanitaires britanniques, l'espion russe serait mort suite à un contact avec du polonium 210, une substance hautement radioactive.
(Photo : AFP)
Alexandre Litvinenko est mort sans que les médecins aient pu faire quoi que ce soit contre l’inexorable détérioration de son état de santé. L’ex-agent russe, qui s’était réfugié depuis un certain temps en Grande-Bretagne, a été empoisonné. Il enquêtait sur l’assassinat de la journaliste russe Anna Politkovskaïa.

De notre correspondante à Londres

Voilà maintenant près d’une semaine que le Royaume-Uni et surtout ses journalistes, se passionnent pour l’histoire tragique d’Alexandre Litvinenko, ex-espion russe empoisonné en plein coeur de Londres début novembre alors qu’il enquêtait sur le meurtre de la journaliste Anna Politkovskaïa. Las, après avoir vécu au rythme de ses bulletins de santé de plus en plus alarmants, le public a finalement appris jeudi soir que l’ancien colonel du FSB (ex-KGB) était mort à 21h21 dans l’unité de soins intensifs du University College Hospital, sans que les médecins aient jamais pu trouver la cause de son état… On aurait pu penser dès lors que l’intérêt retomberait quelque peu, oui mais voilà, entre temps, les proches de Litvinenko ont, en toute hâte, rendu publique une lettre posthume cinglante à l’encontre du président Poutine, et de son côté la police a relancé la piste d’un poison radioactif…

Une affaire digne d’un roman policier

Mais avant de poursuivre, résumons-nous : l’affaire a éclaté le week-end dernier lorsque l’on a appris l’admission à l’hôpital pour empoisonnement d’Alexandre Litvinenko, ancien agent russe de 43 ans, réfugié à Londres depuis 2001 et ayant tout récemment acquis la nationalité britannique. De sa chambre d’hôpital, le transfuge a fait savoir à des médias britanniques, alléchés par une histoire semblant tout droit sortie d’un roman d’espionnage, qu’il s’était senti mal après avoir rencontré le 1er novembre un contact italien dans un restaurant de sushis à Picadilly, un certain Mario Scaramella, qui devait lui donner les noms des assassins de la journaliste russe Anna Politkovskaïa.

Quelques heures plus tard, l’un de ses proches mettait hors de cause l’universitaire italien et se disait persuadé que l’ancien lieutenant-colonel du FSB, avait en fait été empoisonné après avoir pris le thé dans un hôtel du centre de Londres avec deux Russes, dont un ancien agent du KGB. Depuis ce moment-là, la famille et les amis d’Alexandre Litvinenko n’ont jamais cessé d’accuser les services secrets russes, et derrière eux, le Kremlin, de vouloir éliminer un virulent opposant de Vladimir Poutine.

Mais avec quoi et comment, c’est là que ça se complique et c’est aussi ce qui a maintenu le suspense jusqu’à présent. En effet, le jour où la presse publiait la photo d’un Alexandre Litvinenko au regard douloureux, ayant perdu tous ses cheveux et gisant sur son lit d’hôpital, le corps traversé de multiples sondes, la thèse d’abord avancée d’un empoisonnement au thallium, un métal toxique, inodore et incolore, entrant dans la composition de la mort aux rats, était déjà battue en brèche par celle d’une substance radioactive. Le mystère devait s’épaissir quelques heures plus tard après une sévère détérioration de l’état de santé de la victime et alors que les médecins écartaient définitivement l’usage de thallium ou d’un produit radioactif, mais sans pour autant réussir à trouver la cause de son mal.

Entre temps, les services hospitaliers avaient dû apporter un démenti formel aux informations selon lesquelles un examen aux rayons X avait montré trois petits «objets de matière dense» dans les intestins du malade. Les ombres repérées sur ces radios étaient en fait dues à du bleu de Prusse, un agent thérapeutique non toxique administré dans le cadre de son traitement. Une clarification pour tenter de mettre fin aux folles spéculations qui agitaient depuis des heures les médias britanniques. En effet la présence de ces corps étrangers avait amené certains commentateurs à se demander si Litvinenko n'avait pas ingéré lui même des substances toxiques, ou s'il pouvait s'agir d'antidotes, avalés après qu'il se fut senti mal le 1er novembre.

Puis l’agonie très médiatique d’Alexandre Litvinenko a brutalement pris fin jeudi soir après que les médecins eurent assisté impuissants à la détérioration les uns après les autres de ses organes vitaux. Alors, rideau? Loin de là, leur ressentiment décuplé par la mort de leur ami, les proches mais aussi porte-paroles improvisés de la victime depuis le début, ont continué à dominer la scène ce vendredi en lisant devant les médias une lettre dictée sur son lit de mort par cet ancien homme fort du FSB devenu l’ombre de lui-même en quelques jours. Il s’y adresse directement au président Vladimir Poutine qu’il accuse de l’avoir assassiné: «Vous réussirez peut-être à faire taire un homme. Mais un concert de protestations venant du monde entier va se faire entendre, M. Poutine, et résonner dans vos oreilles pour le restant de votre vie. Que Dieu vous pardonne pour ce que vous avez fait», conclut ainsi Litvinenko, qui qualifie le président russe «d’être barbare et sans pitié».

Une matière hautement radioactive

Un message posthume que Moscou a accueilli, comme toutes les accusations précédentes, en démentant toute implication et en qualifiant ces propos «d’insensés». Quant au gouvernement de Tony Blair qui s’emploie depuis 6 jours à se distancier de cette affaire, ses responsables affirment s’en tenir aux dénégations formelles de Moscou et laissent à Scotland Yard le soin de résoudre ou de classer le cas Litvinenko. Scotland Yard s’appuie désormais sur les dernières découvertes des autorités sanitaires britanniques. Pour elles, l’ex-agent russe a été probablement empoisonné par du polonium 210, une matière hautement radioactive, après l’avoir ingérée, l'avoir inhalée, ou avoir été contaminé par une blessure. Des traces de radioactivité ont d'ailleurs été découvertes dans le restaurant et l'hôtel où l'ex-espion s'était rendu.

Du coup, la police procède à des fouilles dans plusieurs endroits et notamment dans la maison de la victime. Quoi qu’il en soit, les enquêteurs, qui n’ont pour l’instant produit aucun développement significatif, sont certainement engagés dans une entreprise aussi fastidieuse que délicate au vu des possibles conséquences sur les relations diplomatiques entre la Grande-Bretagne et la Russie et il est fort possible que cette affaire ne soit jamais élucidée.



par Muriel  Delcroix

Article publié le 24/11/2006 Dernière mise à jour le 24/11/2006 à 19:22 TU