Hongrie
Ces espions restés dans le froid
La révélation du passé d’agent secret du Premier ministre hongrois a jeté un pavé dans la mare. A Budapest, les coups de théâtre se succèdent et éclaboussent la droite comme la gauche. Qui a été espion, et qui a servi d’informateur à la police politique ? L’histoire proche n’a jamais été dévoilée aux Hongrois mais, à la suite des récentes affaires, 73% d’entre eux souhaitent connaître le passé de leurs hommes politiques.
De notre correspondante à Budapest
«L’agent D-209 est promu au grade de lieutenant-chef» énonce la fiche, estampillée Top secret, et portant le chiffre III/2 du contre-espionnage hongrois. D-209, officier des services secrets de 1978 à 1982, n’est autre que Péter Medgyessy, l’actuel Premier ministre (socialiste, ancien communiste) porté au pouvoir par les élections d’avril dernier. En publiant ce document le 18 juin dernier, le quotidien de droite Magyar Nemzet a bien failli faire tomber le gouvernement. Le leader de la droite, Viktor Orban (parti de la Fidesz, Jeunes démocrates) a d’ailleurs admis que son objectif était de «renverser le gouvernement d’ici quelques mois». Péter Medgyessy a toutefois tenu bon. «En travaillant pour le contre-espionnage, j’ai défendu mon pays et ma patrie» a-t-il déclaré, soulignant qu’il n’avait jamais travaillé pour le renseignement interne, c’est-à-dire la police politique connue en Hongrie sous le code III/3. Soutenu par sa majorité, le Premier ministre l’a aussi été par l’opinion publique puisque 67 % des Hongrois interrogés ne souhaitent pas sa démission.
Mais la boîte de Pandore, ouverte par la droite, n’est pas près de se refermer. Le scandale éclabousse aussi les conservateurs. Après la révélation que son père avait été un indicateur de la police politique, le n° 2 de la Fidesz, Zoltan Pokorni, a démissionné de son poste. De plus, les premiers travaux d’une commission parlementaire qui enquête sur le passé des ministres en poste depuis 1990, indiquent que les gouvernements de droite auraient compté plus d’anciens «indics» que le gouvernement socialiste (1994-1998) (1). Cela parce que le parti communiste ne recrutait pas d’informateurs parmi ses membres. «En 1989, au moment du changement de régime, la plupart des anciens agents ont rejoint les partis de droite. C’était la meilleure cachette ! Il est probable qu’un tiers des députés siégeant au premier parlement (1990-1994) avaient été des informateurs», observe Andras Galszécsy, ancien ministre chargé des services secrets de 1990 à 1992.
La Hongrie face à son passé
D’où le peu de hâte des nouveaux élus à mener à bien la «lustration», c’est-à-dire l’épuration, des anciens collaborateurs du communisme. En outre, avant d’être dissoute, la police politique a brûlé beaucoup de dossiers et les fiches de quelque 4000 opposants ont disparu. Contrairement à l’Allemagne de l’est ou à la République tchèque, la Hongrie n’a jamais vraiment fait face à son passé. A Prague, les anciens agents ont été exclus de la fonction publique pendant cinq ans. En Allemagne, chacun a pu lire le nom des mouchards dans les archives de la police politique, la Stasi, ouvertes en grand. Rien de tel en Hongrie où la législation sur la lustration est finalement entrée en vigueur en 1997 mais «n’a pris en compte que les petits informateurs, et a évité de cibler les véritables agents», critique l’historien Janos Kenedi. Conséquence: environ 600 personnes, ministres, juges, ont été passés au crible mais sans autre dommage que quelques départs discrets.
Ces demi-mesures, ce passé soigneusement refoulé sont dus au fait que «la démocratie est née d’un compromis entre anciens communistes, réformistes, et toutes les autres forces politiques. Le compromis poussait à assurer la continuité de l’Etat, y compris dans les services secrets. On a choisi d’éliminer quelques personnes de la vie publique, et on en a laissé bien d’autres dans l’ombre» analyse l’historien Mihaly Fülöp. «Tout cela est compréhensible car notre histoire a quelques similitudes avec celles de Vichy. En 1989, aucun révolutionnaire n’arpentait les rues de Budapest, prêt à l’assaut du siège du parti. Au contraire, le parti communiste comptait 800 000 membres, et les Jeunesses communistes un million d’adhérents. Toute la société était mouillée. Or douze ans plus tard, vous ne trouvez plus un seul communiste ! On fait comme si le communisme n’avait jamais existé».
Ouvert en 1997, l’Institut hongrois des archives historiques représente la première tentative d’éclaircir le passé: 3200 Hongrois ont pu y consulter leur dossier. Mais l’Institut n’a hérité que de maigres fonds; 90% provient des dossiers épargnés par la police politique, le reste des autres services secrets qui gardent jalousement l’essentiel de leur archives. Les chercheurs de l’Institut, pas assez nombreux, n’ont informatisé jusqu’ici que 10 % des données. Autre point noir: contrairement à l’ex-Allemagne de l’Est, où l’accès aux archives avait été interdit aux anciens officiers de la Stasi, afin d’éviter qu’ils ne manipulent ou fassent chanter leurs victimes, rien n’interdit aux anciens «agents» hongrois de feuilleter les dossiers de l’Institut. «La loi ne les en empêche pas» reconnaît son directeur, György Marko.
Pour la première fois cependant, la Hongrie a l’occasion de faire face à son histoire. Désireux de clore l’affaire une fois pour toutes, le gouvernement a déposé un projet de loi sur l’ouverture de l’ensemble des archives: espionnage, contre-espionnage, et renseignement militaire. «Il faut les ouvrir, précisément parce qu’une grande partie des dossiers de la police politique a disparu; un homme public ne peut cacher son passé» juge l’ancien dissident Ferenc Köszeg, président du comité Helsinki. Le chercheur Janos Kenedi est toutefois pessimiste sur l’avenir de la loi à l’étude: «En excluant du texte les espions et contre-espions, les législateurs sont déjà en train de le vider de son contenu. J’espère qu’on ne se contentera pas de dire: Mr X a été un informateur mais que l’on ouvrira vraiment toutes les archives au public. C’est à cette condition que chacun pourra découvrir pourquoi et comment il a été surveillé, pourquoi, un beau jour, on lui a refusé un appartement ou on l’a écarté de l’Université. Sinon, la loi n’offrira une fois de plus qu’une parodie de transparence».
«L’agent D-209 est promu au grade de lieutenant-chef» énonce la fiche, estampillée Top secret, et portant le chiffre III/2 du contre-espionnage hongrois. D-209, officier des services secrets de 1978 à 1982, n’est autre que Péter Medgyessy, l’actuel Premier ministre (socialiste, ancien communiste) porté au pouvoir par les élections d’avril dernier. En publiant ce document le 18 juin dernier, le quotidien de droite Magyar Nemzet a bien failli faire tomber le gouvernement. Le leader de la droite, Viktor Orban (parti de la Fidesz, Jeunes démocrates) a d’ailleurs admis que son objectif était de «renverser le gouvernement d’ici quelques mois». Péter Medgyessy a toutefois tenu bon. «En travaillant pour le contre-espionnage, j’ai défendu mon pays et ma patrie» a-t-il déclaré, soulignant qu’il n’avait jamais travaillé pour le renseignement interne, c’est-à-dire la police politique connue en Hongrie sous le code III/3. Soutenu par sa majorité, le Premier ministre l’a aussi été par l’opinion publique puisque 67 % des Hongrois interrogés ne souhaitent pas sa démission.
Mais la boîte de Pandore, ouverte par la droite, n’est pas près de se refermer. Le scandale éclabousse aussi les conservateurs. Après la révélation que son père avait été un indicateur de la police politique, le n° 2 de la Fidesz, Zoltan Pokorni, a démissionné de son poste. De plus, les premiers travaux d’une commission parlementaire qui enquête sur le passé des ministres en poste depuis 1990, indiquent que les gouvernements de droite auraient compté plus d’anciens «indics» que le gouvernement socialiste (1994-1998) (1). Cela parce que le parti communiste ne recrutait pas d’informateurs parmi ses membres. «En 1989, au moment du changement de régime, la plupart des anciens agents ont rejoint les partis de droite. C’était la meilleure cachette ! Il est probable qu’un tiers des députés siégeant au premier parlement (1990-1994) avaient été des informateurs», observe Andras Galszécsy, ancien ministre chargé des services secrets de 1990 à 1992.
La Hongrie face à son passé
D’où le peu de hâte des nouveaux élus à mener à bien la «lustration», c’est-à-dire l’épuration, des anciens collaborateurs du communisme. En outre, avant d’être dissoute, la police politique a brûlé beaucoup de dossiers et les fiches de quelque 4000 opposants ont disparu. Contrairement à l’Allemagne de l’est ou à la République tchèque, la Hongrie n’a jamais vraiment fait face à son passé. A Prague, les anciens agents ont été exclus de la fonction publique pendant cinq ans. En Allemagne, chacun a pu lire le nom des mouchards dans les archives de la police politique, la Stasi, ouvertes en grand. Rien de tel en Hongrie où la législation sur la lustration est finalement entrée en vigueur en 1997 mais «n’a pris en compte que les petits informateurs, et a évité de cibler les véritables agents», critique l’historien Janos Kenedi. Conséquence: environ 600 personnes, ministres, juges, ont été passés au crible mais sans autre dommage que quelques départs discrets.
Ces demi-mesures, ce passé soigneusement refoulé sont dus au fait que «la démocratie est née d’un compromis entre anciens communistes, réformistes, et toutes les autres forces politiques. Le compromis poussait à assurer la continuité de l’Etat, y compris dans les services secrets. On a choisi d’éliminer quelques personnes de la vie publique, et on en a laissé bien d’autres dans l’ombre» analyse l’historien Mihaly Fülöp. «Tout cela est compréhensible car notre histoire a quelques similitudes avec celles de Vichy. En 1989, aucun révolutionnaire n’arpentait les rues de Budapest, prêt à l’assaut du siège du parti. Au contraire, le parti communiste comptait 800 000 membres, et les Jeunesses communistes un million d’adhérents. Toute la société était mouillée. Or douze ans plus tard, vous ne trouvez plus un seul communiste ! On fait comme si le communisme n’avait jamais existé».
Ouvert en 1997, l’Institut hongrois des archives historiques représente la première tentative d’éclaircir le passé: 3200 Hongrois ont pu y consulter leur dossier. Mais l’Institut n’a hérité que de maigres fonds; 90% provient des dossiers épargnés par la police politique, le reste des autres services secrets qui gardent jalousement l’essentiel de leur archives. Les chercheurs de l’Institut, pas assez nombreux, n’ont informatisé jusqu’ici que 10 % des données. Autre point noir: contrairement à l’ex-Allemagne de l’Est, où l’accès aux archives avait été interdit aux anciens officiers de la Stasi, afin d’éviter qu’ils ne manipulent ou fassent chanter leurs victimes, rien n’interdit aux anciens «agents» hongrois de feuilleter les dossiers de l’Institut. «La loi ne les en empêche pas» reconnaît son directeur, György Marko.
Pour la première fois cependant, la Hongrie a l’occasion de faire face à son histoire. Désireux de clore l’affaire une fois pour toutes, le gouvernement a déposé un projet de loi sur l’ouverture de l’ensemble des archives: espionnage, contre-espionnage, et renseignement militaire. «Il faut les ouvrir, précisément parce qu’une grande partie des dossiers de la police politique a disparu; un homme public ne peut cacher son passé» juge l’ancien dissident Ferenc Köszeg, président du comité Helsinki. Le chercheur Janos Kenedi est toutefois pessimiste sur l’avenir de la loi à l’étude: «En excluant du texte les espions et contre-espions, les législateurs sont déjà en train de le vider de son contenu. J’espère qu’on ne se contentera pas de dire: Mr X a été un informateur mais que l’on ouvrira vraiment toutes les archives au public. C’est à cette condition que chacun pourra découvrir pourquoi et comment il a été surveillé, pourquoi, un beau jour, on lui a refusé un appartement ou on l’a écarté de l’Université. Sinon, la loi n’offrira une fois de plus qu’une parodie de transparence».
par Florence La Bruyère
Article publié le 17/08/2002