Médias
France 24 : c’est parti !
(Photo : J.M. Turpin/France 24)
Le 7 mars 2002, quelques semaines avant les élections, le président Jacques Chirac, s’exprimant au Sénat, devant les représentants des Français de l’étranger, affichait très clairement son ambition de doter la France d’une grande chaîne d’information internationale en continu, susceptible de rivaliser avec ses concurrentes anglophones, CNN et la BBC. Presque cinq ans plus tard, au moment où France 24 démarre enfin ses programmes, il faut ajouter Al-Jezira, la concurrente arabe qui a monté en puissance avec l’intervention américaine en Irak, en mars 2003, et qui a commencé à émettre en anglais le 16 novembre dernier. La guerre en Irak allait d’ailleurs renforcer la conviction de Jacques Chirac de doter la France de ce nouveau moyen de faire entendre sa voix, dissonante en l’occurrence. Une date était alors avancée pour ce qui était plus que jamais devenu une « ardente obligation »: la nouvelle chaîne pourrait voir le jour d’ici à la fin 2004... Deux ans de plus allaient être nécessaires.
Une histoire mouvementée
Dès décembre 2002, une « mission d’information commune sur la création d’une télévision française d’information à vocation internationale» avait été mise sur pied à l’instigation des présidents des commissions des Affaires culturelles, familiales et sociales, et des Affaires étrangères, considérant que «l’Assemblée nationale ne saurait demeurer extérieure à un tel projet qui, pour être crédible, ne pourra procéder de la seule volonté de l’exécutif ». En mai 2003, les parlementaires rendaient un premier rapport d’étape adopté à l’unanimité des membres de la mission, issus des quatre groupes de l’Assemblée nationale, avant de jeter l’éponge en octobre de la même année, après la décision du gouvernement de donner la préférence au projet élaboré par le député-maire UMP de Cannes, Bernard Brochand, à qui une mission avait été entre temps confiée par le premier ministre Jean-Pierre Raffarin. Le plus piquant dans l’histoire - ou saumâtre, selon le point de vue - c’est que Bernard Brochand faisait partie de la mission d’information parlementaire … Le désaccord portait autant sur la méthode que sur le fond : alors que le projet des députés misait sur un partenariat public-privé dans lequel les opérateurs publics auraient été majoritaires, celui du député-maire de Cannes confiait la nouvelle chaîne à une société détenue à égalité par le groupe privé TF1 et le groupe public France-Télévision, dont le fonctionnement était entièrement pris en charge par l’Etat, à hauteur de 70 millions d’euros, alors que la CF2I (Chaîne française d’information internationale) ne serait pas visible en France.
A l'époque, les critiques fusent : les parlementaires dénoncent notamment un cadeau fait à la direction de TF1, tandis que les syndicats parlent de démantèlement de l'audiovisuel public et que le Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA) fait remarquer qu'il n’a pas été saisi «officiellement». Dominique de Villepin, encore ministre des Affaires étrangères, tente d’arrondir les angles en minimisant la portée du projet Brochand («ce n’est qu’une première étape ») tandis que Jacques Chirac tente de maintenir le cap sur fin 2004 pour le démarrage de la chaîne. Mais début 2005, tout laisse penser que le projet est enterré : le budget initial de la C2I - 70 millions d’Euros, soit trois fois moins que la BBC - c’est encore trop en ces temps de rigueur budgétaire et on a bien l’impression que le projet est repoussé aux calendes grecques, ou du moins après les élections de 2007.
De la CFII à France 24
Et puis, fin novembre 2005, le phoenix renaît de ses cendres. La France a obtenu le feu vert de Bruxelles concernant la participation de l’Etat au montage financier de la nouvelle société et le nouveau PDG de France Télévision, Patrick de Carolis, a obtenu que son groupe ait un rôle moteur, en détenant la présidence du Conseil de surveillance de la CFII chargée de nommer le président du directoire, l’organe de gestion au quotidien de la chaîne internationale. Quant au financement, 65 millions d’euros sont prévus dans le projet de loi de finances 2006 auxquels s’ajoutera une enveloppe de 30 millions d’euros votée en 2005. Jacques Chirac a assuré, en conseil des ministres, que la future chaîne «bénéficiera de moyens financiers publics à la mesure de son ambition». Dominique de Villepin, devenu entre temps Premier ministre, signe la convention permettant la création de la CFII qui sera opérationnelle «avant la fin 2006».
C’est un publicitaire, Alain de Pouzilhac, ancien PDG d’Havas et ancien collaborateur de Bernard Brochand, qui est nommé président du directoire. Et la chaîne commence à recruter : près de 6 000 CV sont envoyés des quatre coins du monde au siège de France 24, installé dans des locaux flambant neufs, à Issy-les-Moulineaux, dans la toute proche banlieue parisienne, dans une rue rebaptisée rue des Nations unies. Tout un symbole puisque la chaîne – rebaptisée elle, entre temps, France 24 – reçue dans un premier temps en Europe, au Proche et au Moyen-Orient et en Afrique, le sera aussi à New York, siège désigné des Nations unies le 5 décembre 1946. On pourra aussi la regarder à Washington.
Un défi à relever
D’abord disponible en français et en anglais, France 24 le sera en arabe, d’ici quelques mois, à raison de quatre heures par jour, en attendant, plus tard, l’espagnol. Avec un effectif de 380 personnes, dont une équipe rédactionnelle de 170 journalistes de 28 nationalités différentes (et une moyenne d’âge de 30 ans), la chaîne, qui ambitionne de couvrir l’actualité internationale 24 heures sur 24 et sept jours sur sept, devrait toucher «potentiellement» dès son lancement 80 millions de foyers, soit près de 200 millions de téléspectateurs. Elle dispose pour cela de moyens financiers nettement inférieurs à ceux de ses concurrents, même si elle peut compter sur ceux de ses deux maisons-mères, mais aussi sur les spécialistes de l’information internationale que sont l’Agence France presse (AFP) et Radio France internationale (RFI), avec notamment leurs réseaux de correspondants. Cela sera-t-il suffisant pour répondre à l’enjeu du projet qui est, pour reprendre les termes de la présidence française, «de porter partout dans le monde les valeurs de la France et sa vision du monde » ? Des valeurs qui selon France 24, sont « l’ouverture à la diversité du monde », «l’attention particulière portée à la culture, l’art de vivre et la patrimoine», le «traitement approfondi de problématiques telles que l’Europe, l’environnement, l’humanitaire», et «l’invitation à découvrir ou redécouvrir les richesses et spécificités de la France». Vers quel auditoire ? En priorité les «décideurs» de l’élite intellectuelle mondiale.
par Danielle Birck
Article publié le 05/12/2006 Dernière mise à jour le 05/12/2006 à 20:01 TU