Liban
Echec de la médiation d'Amr Moussa
(Photo: AFP)
De notre correspondant à Beyrouth
Les euphémismes du secrétaire général de la Ligue arabe ne cachent pas le fait qu’il a quitté Beyrouth sans parvenir à trouver une solution à la crise qui secoue le Liban depuis le 1er décembre. Amr Moussa a parlé de «progrès», du lancement d’une «dynamique», «d’espoirs», mais il n’a pas réussi à arracher aux protagonistes de concessions majeures. Le gouvernement refuse toujours la formation d’un cabinet d’union nationale avec le tiers des sièges réservés à ses adversaires, et l’opposition est déterminée à rester dans la rue jusqu’à ce que ses revendications soient satisfaites.
Amr Moussa n’a pas pour autant perdu son temps à Beyrouth. Depuis mardi, il a eu des dizaines d’heures d’entretien avec les différents acteurs politiques. Il a rencontré à plusieurs reprises le Premier ministre Fouad Siniora ainsi que les principales figures de la coalition du 14 mars, soutenue par l’Occident : le chef sunnite Saad Hariri, le leader druze Walid Joumblatt et le dirigeant du parti chrétien des «Forces libanaises», Samir Geagea. Il a également été reçu par les chefs de l’opposition : le général chrétien Michel Aoun et le secrétaire général du Hezbollah, Hassan Nasrallah, ainsi que les présidents de la République, Emile Lahoud et de la Chambre, Nabih Berry, qui en sont proches.
Amr Moussa a lancé son initiative avec l’appui de l’Arabie saoudite, de l’Egypte, des Etats-Unis et de la France. Sa démarche consiste en un package deal (accord global) concernant toutes les questions litigieuses entre la coalition du 14 mars et l’opposition : la constitution du tribunal international pour juger les assassins de Rafic Hariri; la présidentielle anticipée pour remplacer le président Emile Lahoud, proche de la Syrie; la formation du gouvernement d’union nationale; l’adoption d’une nouvelle loi électorale. Il s’agit d’une combinaison des revendications des deux parties. Les deux premiers points sont réclamés par le gouvernement, les deux derniers par l’opposition.
Une question de priorités
L’initiative de Moussa parait donc équilibrée, puisqu’elle prend en compte les demandes des uns et des autres. Mais tout dépend de l’ordre dans lequel tous ces points seront mis en œuvre. Si, par exemple, l’élection présidentielle anticipée a lieu avant les législatives, cela signifie que c’est le Parlement actuel, dominé par la coalition du 14 mars, qui élira le nouveau chef de l’Etat. Si, au contraire, elle a lieu après les législatives, cela veut dire que le successeur d’Emile Lahoud sera élu par le prochain Parlement, au sein duquel l’opposition actuelle aura de fortes chances de devenir majoritaire.
Autre exemple : l’opposition souhaite la formation d’un cabinet d’union nationale qui sera chargé, entre autres, d’examiner et de voter le projet du tribunal international. Mais la coalition du «14 mars» souhaite le processus inverse, car elle craint que le gouvernement, au sein duquel l’opposition détiendrait une minorité de blocage, n’empêche l’adoption de ce projet qui constitue la pierre angulaire de son action politique. Il s’agit donc d’un problème de priorités, aggravé par une crise de confiance aigue.
Amr Moussa a fait état de progrès sur les questions du tribunal et du cabinet d’union. Gouvernement et opposition sont parvenus à un accord sur la formation d’un comité mixte, composé de six personnes, pour examiner le projet du tribunal. L’opposition craint que cette cour ne soit utilisée comme instrument politique par les Etats-Unis et la France. Ce comité serait formé de deux députés, de deux juges et de deux experts en droit international nommés par les deux parties. Concernant le gouvernement, Amr Moussa a proposé une formule de 30 ministres : 19 pour la coalition du 14 mars, 10 pour l’opposition et une personnalité «indépendante»… choisie par l’opposition. Pour le reste, les désaccords restent trop profonds.
Le secrétaire général de la Ligue arabe a annoncé son retour à Beyrouth dans «quelques jours» et a espéré un règlement de la crise dans les deux prochaines semaines. Certes, il n’a pas obtenu l’arrêt du sit-in illimité observé par l’opposition dans le centre-ville de Beyrouth, où des milliers de personnes campent dans un millier de tentes dressées à 100 mètres du sérail gouvernemental. Mais il a reçu des «promesses» qu’il n y aurait pas d’escalade, telles les manifestations géantes du 1er et du 10 décembre, qui ont réuni des centaines de milliers de personnes. Il a aussi obtenu des assurances que les campagnes médiatiques réciproques s’arrêteront. Cela est d’autant plus nécessaire que les médias contribuent à exacerber les tensions politiques, sectaires et communautaires.
Le «14 mars» soupçonne l’opposition, regroupée autour du Hezbollah et du général chrétien Michel Aoun, de vouloir «torpiller le tribunal international pour protéger la Syrie», accusée d’avoir fait assassiner Rafic Hariri. Le Hezbollah, pour sa part, accuse le «14 mars» d’avoir comploté contre lui pendant la guerre de juillet-août et d’avoir même encouragé Israël à lancer son offensive. Le conseiller politique de Hassan Nasrallah a montré à la presse, mercredi, une lettre écrite de la main de l’adjoint de Saad Hariri, pendant la guerre, demandant au chef du Hezbollah de promettre «sur son honneur» de rendre les armes après la fin des combats, comme condition préalable à l’arrêt des attaques israéliennes. Un conseiller de M.Hariri n’a pas démenti l’existence de cette lettre, mais en a différemment interprété le contenu : «Saad Hariri voulait une promesse que le Hezbollah accepterait de discuter du sort de ses armes sur la table du dialogue après la fin de la guerre.» Pour restaurer la confiance réciproque, les remèdes classiques ne suffiront certainement pas.
par Paul Khalifeh
Article publié le 14/12/2006 Dernière mise à jour le 14/12/2006 à 19:14 TU