Liban
Ultimatum de l'opposition
(Photo : AFP)
L'opposition libanaise a organisé ce dimanche une manifestation qui a rassemblé dans le centre de Beyrouth des centaines de milliers de personnes. S'adressant à ce rassemblement sans précédent, l'un des chefs de l'opposition, le général chrétien Michel Aoun, a donné «quelques jours» au gouvernement pour accepter de former un Cabinet d'union nationale. Passé ce délai, l'opposition aura recours à l'escalade.
De notre correspondant à Beyrouth
La crise libanaise est entrée dans une phase extrêmement dangereuse qui risque de plonger le pays dans une période de troubles aux conséquences désastreuses. L'un des chefs de l'opposition, le général chrétien Michel Aoun, a lancé ce dimanche un ultimatum au gouvernement de Fouad Siniora, soutenu par Washington, Paris et l'Arabie saoudite. Si d'ici à «quelques jours» le Premier ministre n'acceptait pas de former un cabinet d'union nationale, l'opposition compte durcir son mouvement de protestation.
Michel Aoun a laissé entendre que les manifestants, qui campent dans le centre de Beyrouth depuis le 1er décembre, pourraient marcher sur le Grand Sérail, où sont retranchés Fouad Siniora et une partie de ses ministres. Cette imposante bâtisse de style ottoman est juchée sur une colline et n'est séparée des protestataires que par des fils barbelés gardés par des unités de l'armée. «Lorsque la foule a pris d'assaut le Parlement serbe, ils [les Occidentaux] ont appelé cela un mouvement démocratique, a dit le général Aoun. Et lorsque les manifestants ont investi les bâtiments officiels en Ukraine, ils ont applaudi la révolution Orange. Soit ils se résignent à écouter la voix du peuple, soit nous désignerons un gouvernement de transition qui sera chargé d'organiser des élections législatives anticipées».
Le discours de Michel Aoun a été retransmis sur écrans géants devant plusieurs centaines de milliers de personnes, rassemblées sur les deux plus grandes places de Beyrouth et dans toutes les artères qui y mènent. Une source de l'armée libanaise, qui a déployé 20 000 hommes pour garantir la sécurité, a parlé d'un «rassemblement sans précédent», plus important encore que la manifestation géante du 1er décembre.
Participation massive des chrétiens
La foule a commencé à affluer vers le centre de Beyrouth dès les premières heures du matin. A bord de bus, de voitures ou même à pied, les manifestants venaient surtout des régions chrétiennes du centre et du nord du Liban ou des bastions chiites du sud et de l'est du pays. Journalistes et observateurs ont été étonnés de l'ampleur sans précédent de la participation chrétienne qui intervient au lendemain de la publication par l'Eglise maronite de «constantes nationales» qui rejoignent les revendications du général Aoun.
Ces «constantes» mettent l'accent sur «la démocratie consensuelle mise en œuvre au Liban» et appellent à la formation d'un cabinet d'entente ou d'un gouvernement transitoire qui serait chargé d'organiser des élections législatives anticipées, conformément à une loi basée sur les petites circonscriptions, une vieille revendication chrétienne au Liban. L'Eglise propose aussi d'élire un nouveau président de la République pour remplacer le chef de l'Etat actuel, Emile Lahoud, proche de la Syrie. Ce document a visiblement encouragé les chrétiens, qui étaient quelque peu hésitants, à participer massivement au mouvement de protestation aux côtés du Hezbollah.
Chiites et chrétiens constituent la colonne vertébrale de l'opposition, avec des partis druzes et sunnites de moindre envergure. La communauté sunnite, elle, s'est rangée dans sa majorité derrière le Premier ministre qui est également soutenu par le principal leader druze, Walid Joumblatt, et des formations chrétiennes moins représentatives que le Courant patriotique libre (CPL) du général Aoun. Ce dernier préside le plus important bloc parlementaire chrétien (21 députés sur 128)
«Le changement arrive»
Arrivée dans le centre-ville de Beyrouth, les manifestants ont rangé les fanions et les symboles de leurs partis respectifs pour brandir le drapeau libanais rouge et blanc frappé d'un cèdre vert. «Le changement arrive» ou «nous voulons être représentés, pas faire de la représentation», proclamaient des banderoles, pendant que les hauts-parleurs déversaient des discours du chef du Hezbollah, Hassan Nasrallah, et du leader du CPL. La foule a rejoint les milliers de partisans de l'opposition qui campent dans quelque 800 tentes dressées à 100 mètres du Grand Sérail.
Le président sunnite de la municipalité de Saida, la ville d'origine du Premier ministre, Abdel Rahmane el-Bizri, et un autre notable de la ville, le député sunnite Oussama Saad, ont harangué la foule, réclamant le départ de Fouad Siniora. Ils ont ensuite cédé la place au secrétaire général adjoint du Hezbollah, cheikh Nairn Kassem, qui a juré que «le Liban ne sera jamais contrôlé par les Etats-Unis».
Dix jours après le début du sit-in et l'échec des initiatives politiques, les Libanais s'attendaient à des mesures d'escalade de la part de l'opposition. Selon la presse, ces actions pourraient prendre la forme d'un blocage des administrations, de l'aéroport de Beyrouth et de routes principales. Le ministre des Télécommunications, Marwan Hamadé, un des ténors de la coalition pro-occidentale du 14 mars, a affirmé que son mouvement ne resterait pas les bras croisés. «S'ils bloquent des routes, nous ferons de même dans leurs régions», a-t-il dit.
Le pape «profondément inquiet»
Pour sa part, Fouad Siniora a mis en garde contre une éventuelle escalade de la violence. De telles actions de la part de l'opposition équivaudraient à «une violation du droit à l'expression» et celle-ci «jetterait le pays dans un cycle de violence qui n'est dans l'intérêt de personne», a déclaré le Premier ministre. Il a promis dans un discours que son gouvernement «surmonterait la crise». «Notre régime politique et démocratique est confronté à un défi, a-t-il ajouté. Mais il est capable de faire face à de tels défis sans tomber à nouveau sous tutelle étrangère». Il a voulu minimiser les divisions qui menacent le Liban, assurant «qu'il n'y a pas de divorce entre les Libanais» et a lancé un nouvel appel au dialogue. «Notre main est tendue. Nous ne fermerons aucune porte», a affirmé M. Siniora.
Au moment où l'opposition rassemblait une foule immense à Beyrouth, une grande manifestation pro-gouvernementale avait lieu à Tripoli, deuxième ville du pays et bastion sunnite du Liban-Nord. Pendant que Paris et Washington multipliaient les marques de soutien à Fouad Siniora, le Vatican a tiré la sonnette d'alarme. Au cours de son apparition dominicale hebdomadaire, le pape Benoît XVI a fait part de sa profonde inquiétude face à la situation, exhortant la communauté internationale à trouver des «solutions urgentes» à la crise libanaise.
«Le Liban mérite une mention spéciale. Aujourd'hui, comme hier, des gens de différentes cultures et religions sont appelés à y vivre pour construire une nation de dialogue et de cohabitation», a lancé le pape, exhortant les Libanais et leurs dirigeants à «avoir à coeur exclusivement le meilleur pour leur pays et l'harmonie entre ses communautés», espérant que cela «inspire leur engagement envers cette unité qui est de la responsabilité de chacun et exige de nous patience et persévérance, ainsi qu'un dialogue permanent et confiant». Un appel qui semble être tombé dans des oreilles de sourds.
par Paul Khalifeh
Article publié le 11/12/2006 Dernière mise à jour le 11/12/2006 à 10:01 TU