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Amérique

La tortilla augmente, les Mexicains au pain sec

Les Mexicains des classes populaires consomment 180 kilos de tortilla par an. 

		(Photo : Patrice Gouy/RFI)
Les Mexicains des classes populaires consomment 180 kilos de tortilla par an.
(Photo : Patrice Gouy/RFI)
Les prix du maïs s'envolent et la tortilla, aliment de base des Mexicains les plus pauvres, devient de plus en plus chère. La faute aux monopoles des grands producteurs de maïs. Le nouveau gouvernement de Felipe Calderon doit faire face au mécontentement de la population et tente de résoudre la crise par les importations, quitte à mettre en péril l'indépendance alimentaire du pays.

De notre correspondant à Mexico

La tortilla, cette petite galette de maïs que mangent tous les Mexicains, a encore doublé de prix depuis le début de l'année, passant de 5 à 10 pesos le kilo. Cette hausse de 100% accentue la crise alimentaire qui touche les classes populaires, en particulier les 18 millions de personnes qui vivent avec moins de deux dollars par jour. C’est en effet la nourriture de base des Mexicains, qui en consomment en moyenne 60 kg par an et par personne. Un chiffre qui monte à 180 kg dans les foyers les plus pauvres. Une hausse scandaleuse alors que le salaire minimum vient d’être augmenté d’à peine 3,89%.

La faute aux monopoles

Les responsables de cette crise sociale, la première depuis l’arrivée au pouvoir de Felipe Calderon le 1er décembre dernier, sont les grands producteurs mexicains de maïs : Minsa, Cargill et Maseca qui se sont emparés du marché en quelques années. Anticipant la hausse des cours internationaux du maïs, ils ont spéculé, ne mettant en circulation que de faibles quantités de grain. Les cours se sont envolés : Cargill a acheté en novembre dernier la tonne de maïs à 175 dollars et l’a revendu en janvier à 350 ! Ce ne sont pas les coûts intermédiaires qui déterminent les prix mais le pouvoir qu’ont ces entreprises sur le marché. Ce sont elles qui contrôlent les achats nationaux ou internationaux de maïs mais surtout qui tiennent le réseau de distribution de la «masa», la pâte préparée pour les «tortillerias» qui vendent les galettes au détail.

En 1994, juste avant la signature de l’Alena (l’accord de libre échange nord-américain), le kilo coûtait 80 centimes de pesos, le Mexique importait 2 millions de tonnes de maïs. Avec un salaire minimum, on pouvait acheter 28 kg de tortilla. Aujourd’hui, le kilo de maïs coûte 10 pesos et le salaire minimum ne permet plus d’en acheter que 5 kg. Les dérégulations et la concentration du monde rural voulues par les gouvernements libéraux ont entraîné une constante augmentation du volume des importations qui s’est traduite, sur le terrain, par une émigration massive des paysans aux Etats-Unis.

Recours aux importations

Cette hausse du prix de la tortilla, véritable drame social pour les plus défavorisés, a mis en évidence la faiblesse du gouvernement mexicain. Pour tenter de résoudre cette crise, Felipe Calderon a aussitôt annoncé l’importation sans taxes douanières de milliers de tonnes de maïs. Une mesure d’urgence qui ne résout rien puisque ce sont toujours les trois entreprises monopolistiques qui fabriqueront et distribueront les tortillas. C’est un avant-goût de ce qui va se passer en 2008. L’Alena prévoit en effet que le maïs américain, fortement subventionné, pourra entrer librement au Mexique. Le prix de la tortilla devrait donc baisser, mais à condition que le gouvernement réorganise une production nationale compétitive en mettant fin à ces monopoles. D’autre part, l’augmentation des importations n’est pas sans risque. En s’en remettant aux fermiers américains, le Mexique n’aura plus aucune souveraineté alimentaire. Il sera donc à la merci de Washington qui aura une arme supplémentaire à sa disposition pour faire pression sur le gouvernement mexicain.

L’opposition estime donc que le gouvernement doit relancer les petites exploitations agricoles familiales et constituer un grenier national qui permette à l’Etat de stoker 20 % de la consommation de maïs pour en réguler les cours. Le sénateur Ricardo Monreal a annoncé que d’ici une semaine les partis de gauche allaient proclamer un «état d’urgence économique» et exiger la démission du ministre de l’Economie pour ne pas avoir été capable de contrôler l’augmentation des produits de première nécessité. Si rien n’est fait d’ici là, la gauche appellera les Mexicains à de grandes manifestations populaires.

par Patrice  Gouy

Article publié le 17/01/2007 Dernière mise à jour le 17/01/2007 à 09:12 TU