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Colombie

L'otage évadé devient chef de la diplomatie

Fernando Araujo, ancien otage des Farc, a été nommé ministre des Affaires étrangères par le président Uribe. 

		(Photo : AFP)
Fernando Araujo, ancien otage des Farc, a été nommé ministre des Affaires étrangères par le président Uribe.
(Photo : AFP)
Ce 19 février, le président Uribe a nommé ministre des Affaires étrangères Fernando Araujo, l'otage qui s’était échappé, il n’y a même pas deux mois, d’un campement de la guérilla des Forces armées révolutionnaires de Colombie (Farc) où il était retenu prisonnier depuis six ans. Un retour étonnant dans le gouvernement colombien pour l'ex-otage qui a déjà été  ministre dans les années 90 mais qui n'a rien pu savoir des affaires du monde ces dernières années.

Pour Fernando Araujo, le XXIe siècle commence le 5 janvier 2007. Ce jour-là, c’est un homme famélique, aux traits tirés mais au sourire éclatant, qui se présente devant une foule de journalistes, à Bogota. Il vient de rentrer de six ans de captivité au terme d’une marche de cinq jours à travers la jungle, qui a failli lui coûter la vie. Et l’histoire qu'il raconte a des airs de série B. 

Une «décision de vie ou de mort»

Le 31 décembre 2006, vers 10 heures du matin, Fernando Araujo doit prendre une «décision de vie ou de mort» quand des hélicoptères de l’armée colombienne attaquent l'un des campements des Farc, non loin de San Juan Nepomuceno, dans le département de Bolivar, au nord de la Colombie. Araujo se trouve là, otage de rebelles qui le trimballent depuis six ans déjà à travers la jungle, de cachette en cachette. Mais pour la première fois, l’attention de ses ravisseurs est détournée par l’attaque des hélicoptères gouvernementaux. C’est le moment où jamais : Fernando Araujo rampe, court et se cache, se frayant à mains nues un chemin à travers la végétation hostile de la jungle. Son retour à la civilisation durera cinq jours, sans nourriture, sans eau.

Quand les guérilleros des Farc l’ont enlevé, un matin de décembre 2000, il était en train de faire du jogging le long de la plage de Cartagena, sa ville natale. Fernando Araujo, ingénieur de formation, venait tout juste de terminer une carrière en tant que membre du gouvernement. Soupçonné de corruption dans une affaire de spéculation immobilière, il avait démissionné de son poste de ministre du Développement économique sous le président Andreas Pastrana, (1998-2002). Son départ de la vie politique n’avait pourtant pas empêché les Farc de ranger Araujo parmi leurs cibles potentielles. Après son enlèvement, il faisait partie des 58 otages des Forces armées révolutionnaires, avec l’ancienne candidate à la présidentielle Ingrid Betancourt, trois ressortissants américains, de nombreux autres fonctionnaires ainsi que des soldats et des policiers. En échange, les Farc espèrent extorquer la libération d’environ 500 de leurs membres qui se trouvent actuellement dans des prisons colombiennes.

Visiblement éprouvé par la captivité et sa fuite à travers la jungle, Fernando Araujo a indiqué, au début de cette année, devant les journalistes, qu'il avait besoin de repos et de temps pour retrouver sa famille. Mais la légende du sauvetage miraculeux de l’ancien ministre s'est propagée en Colombie comme une trainée de poudre, des rumeurs affirmant que le héros se porterait candidat à la mairie de Cartagena.

Finalement, Fernando Araujo n’aura pas le temps de se présenter devant les électeurs de sa ville natale. Il n’aura même pas vraiment eu le temps de retrouver sa famille. On a besoin de lui à Bogota. C’est le président de la Colombie en personne, Alvaro Uribe, qui l’appelle et le nomme ministre des Affaires étrangères.

Scandale de la parapolitique

Fernando Araujo succède à la tête de la diplomatie colombienne à Marie Consuelo Araujo (une homonyme sans lien familial). Madame Araujo abandonne son bureau au ministère des Affaires étrangères contre son gré. Elle est en effet devenue la première victime, au sein du gouvernement, de ce qu’on appelle désormais en Colombie le «scandale de la parapolitique». Celui-ci concerne une soixantaine de personnalités colombiennes - dont un ancien ministre, des militaires et des hauts fonctionnaires - soupçonnées d’entretenir des liens étroits avec les groupes paramilitaires. Ces puissantes milices d’extrême droite ont été créées il y a vingt ans pour défendre les exploitations de grands propriétaires terriens contre les attaques de la guérilla. Depuis, Alvaro Uribe a réussi, dans le cadre d’un plan de paix, à démobiliser 31 000 d'entre eux. Mais différentes organisations des droits de l’homme assurent que leurs chefs sont parvenus à maintenir intacts leurs réseaux criminels.

Au début du moins de février s’est ouvert devant la Cour suprême de Bogota un procès pour établir les liens entre les groupes de paramilitaires et des personnalités importantes de la société colombienne. Depuis, les têtes tombent au sein des élus. Ce sont aussi les investigations contre son frère et son père qui ont fait tomber Marie Consuelo Araujo de son poste de ministre. L’atmosphère autour du président commence aussi à être de plus en plus irrespirable. Après l’arrestation de onze membres de sa majorité et la démission de sa diplomate favorite, Uribe craint pour son propre destin politique, mais aussi pour un accord de libre-échange qu'il souhaite conclure avec les Etats-Unis. Son homologue américain, George W. Bush, a d’ailleurs annoncé sa visite au mois de mars.  

Dans ce contexte, tout le monde soupçonne désormais tout le monde. Qui mieux qu’un homme coupé du reste du monde ces six dernières années pourrait donc représenter la Colombie à l’étranger ? Uribe a désigné le nouveau héros national, celui qui s’est échappé courageusement de l’enfer des Farc, sans se soucier, par exemple, du fait que Fernando Araujo n’a appris l’existence des attentats du 11 septembre 2001 qu’à sa libération. Pour autant, le nouveau chef de la diplomatie colombienne n’est probablement pas si immaculé qu’il veut bien le faire croire. En 2000, il avait quand même été soupçonné de corruption. Mais qu’importe ? Pour Fernando Araujo, le XXIe siècle commence en 2007.      



par Stefanie  Schüler

Article publié le 20/02/2007 Dernière mise à jour le 20/02/2007 à 16:35 TU